Après les députés, les sénateurs ont adopté en dernière ligne droite la proposition de loi contre les violences conjugales. Dans le lot, des mesures destinées à lutter contre l’exposition de la pornographie aux mineurs. Le CSA gagne pour l’occasion de nouvelles compétences, dont celle d'initier une procédure de blocage judiciaire contre les sites X.
Les sénateurs ont adopté ce 21 juillet la proposition de loi contre les violences conjugales. Le texte déjà voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale, son berceau originel, est prêt à être ratifié et publié au Journal officiel.
Issue des rangs LREM, elle accroit le quantum des peines en cas de consultations des sites pédopornographiques. Actuellement, cette consultation habituelle est punie de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Demain, ce seront cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Toujours dans le secteur des nouvelles technologies, les parlementaires ont opté pour le même rehaussement s’agissant des messages malveillants adressés à une victime. Aujourd’hui, « les appels téléphoniques malveillants réitérés, les envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques ou les agressions sonores en vue de troubler la tranquillité d'autrui sont punis d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ». La proposition prévoit que lorsque ces faits sont commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Les simples déclarations de majorité ne valent plus rien
Le texte prévoit surtout une mesure destinée à lutter contre l’exposition de la pornographie aux yeux des mineurs. Soutenant que les jeunes ont de plus en plus tôt accès à ces messages réservés aux adultes, les parlementaires ont imaginé un dispositif couplant mesures techniques et intervention du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Tout se déroule à l’article 11, devenu article 22, de la proposition de loi. Il prévoit que les infractions prévues à l’article 227-24 du Code pénal seront « constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui‑ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix‑huit ans. »
Un peu d’explications.
Actuellement, cet article 227-24 du Code pénal réprime le fait de fabriquer, transporter, diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support « un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger ».
Ces faits sont alors punis de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, dès lors que ce contenu (texte, vidéo, photo...) est « susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».
Ce qui est réprimé n’est donc pas la diffusion en elle-même de ces catégories de messages, mais leur accessibilité par les mineurs. Nuance. Selon le rappel de la Commission des lois à l’Assemblée nationale, ce régime fut introduit lors de l’essor du minitel rose dans les années 90. « Initialement centrée sur la violence et la pornographie, elle a depuis été élargie aux messages incitant au terrorisme ou à des jeux mettant le mineur en danger » expose son rapport parlementaire.
En l’état, la jurisprudence n’est pas bien dense. Relevons qu’en 2005, la Cour de cassation avait validé la condamnation d’un professeur qui avait placé des images pornographiques sur le réseau interne d’un collège, non protégées par mot de passe et donc susceptible d’être vues par des mineurs.
Cinq ans plus tôt, le même article était appliqué cette fois à l’encontre de l’éditeur d’une revue ayant offert à ses lecteurs un CD-ROM pornographique. Les contenus étaient certes protégés, mais « des enfants pouvaient [y] accéder en se présentant comme majeurs par l’intermédiaire d’un serveur télématique pour obtenir la clé de cryptage » résume la commission des lois.
« Il faut cependant constater, déplore-t--elle, que les poursuites diligentées sur le fondement de l’article 227-24 du Code pénal ne concernent pratiquement pas les activités qui ont lieu sur Internet alors même que la découverte de la pornographie par les mineurs emprunte désormais très majoritairement, voire quasi exclusivement, les voies numériques ».
Cette obligation de précaution n’a été que rarement mobilisée à l’égard des sites internet, même si l’on peut mentionner le cas d’un site pornographique et zoophile, jugé par la cour d’appel de Paris en 2002. « Il appartient à celui qui décide à des fins commerciales de diffuser des images pornographiques sur le réseau Internet dont les particulières facilités d’accès sont connues, de prendre les précautions qui s’imposent pour rendre impossible l’accès des mineurs à ces messages », exposaient alors les juges. L’élément intentionnel de l’infraction fut alors caractérisé dès lors que l’éditeur avait conscience « que les précautions prises, aussi nombreuses soient elles n’empêchaient pas que ces sites soient susceptibles d’être vus par des mineurs ».
Pour codifier cette jurisprudence et éviter aussi de longues discussions devant les tribunaux dont les solutions ne sont jamais assurées, la proposition de loi contre les violences conjugales introduit une précision au 227-24 du Code pénal : les infractions prévues par cet article seront toujours « constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages (...) résulte d’une simple déclaration de celui‑ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix‑huit ans ».
Les cibles du texte sont notamment les tubes pornographiques où ces simples déclarations peuvent, après un clic de l’internaute, lui permettre d’accéder à ces contenus, quand bien même serait-il mineur.
« Une perception moraliste et pudibonde de la production pornographique »
En séance au Sénat, Esther Benbassa s’est interrogée sur l’inclusion d’une telle disposition dans une proposition de loi contre les violences conjugales. « L’article 11 fait un lien entre la consommation de pornographie et les violences qui sont perpétrées dans un cadre conjugal. Cette corrélation est pour le moins discutable et hasardeuse. Elle semble par ailleurs fondée sur une perception moraliste et pudibonde de la production pornographique », a expliqué la sénatrice EELV.
« Celle-ci n’est pourtant pas toujours uniforme et toutes les productions en la matière ne sauraient être perçues comme violentes, forcément dégradantes pour ses protagonistes féminins et masculins ». Et l’élue de relever, en appui de son amendement de suppression, que « de nouvelles plateformes progressistes, amateurs et féministes émergent actuellement dans ce domaine, loin des stéréotypes oppressifs avilissants pour la condition féminine ».
Adrien Taquet, secrétaire d’État, s’est opposé victorieusement à cet amendement de suppression : « Les enfants nous disent eux-mêmes qu’ils reproduisent les scènes qu’ils voient. Accéder à de la pornographie à cet âge-là façonne votre conception de la sexualité, votre rapport à l’autre, votre rapport au corps, votre rapport au consentement, que ce soit pour les hommes comme pour les femmes ».
Ce 9 juin, le représentant du gouvernement affirmait dans la foulée que « le sujet des violences sexuelles au sein du couple et celui de la surexposition des jeunes aux contenus pornographiques ne sont pas totalement étanches ».
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel et le blocage des sites XXX
Le texte ne s’arrête pas là, puisqu’une brique complémentaire vient muscler la répression de ces sites trop accessibles aux mineurs.
Il instaure une procédure inspirée de la loi sur les jeux d'argent en ligne en confiant les clefs de la régulation de l’accès au porno au Conseil supérieur de l’audiovisuel. « Si cela marche pour les jeux en ligne, pourquoi pas pour les sites pornographiques ? », s’est ainsi interrogée faussement la sénatrice Marie Mercier (LR), à l'origine de l’amendement introduisant ce nouveau régime.
Lorsqu’il constatera qu’un site « permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227‑24 du Code pénal » (par exemple YouPorn.com), le président du CSA pourra donc lui adresser une mise en demeure.
Elle enjoindra au site « de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé ». Toute mesure, sauf… l'insertion d'une déclaration d’âge sur sa page d'accueil puisque celle-ci est démagnétisée par la proposition de loi !
Concrètement, les sites devront donc installer des garde-fous suffisants, mais la loi ne les précise pas. Chaque site devra se débrouiller pour s'assurer que ce visiteur est bien majeur. Dit autrement, il leur reviendra d’imaginer la solution qui satisfera le CSA pour contrôler l’âge d’un internaute situé à des centaines ou des milliers de kilomètres de là.
C'est là que la réforme ouvre une brèche. Par exemple, exiger copie de la carte d’identité – à supposer qu’elle ne soit pas maquillée – offrira à l'éditeur une connaissance détaillée sur les orientations sexuelles d’un majeur désigné. En sollicitant cette fois copie d’une carte bancaire, l’ensemble des sites pornos accessibles dans le monde devront accepter de se mettre à jour pour se conformer à la législation française, sachant néanmoins que ces moyens de paiement sont également à disposition des mineurs… Et que l'obligation va devenir un véritable appeau pour les arnaques en ligne.
Le site aura en tout cas 15 jours pour adresser ses observations. À l’expiration de ce délai, si le contenu porno reste accessible aux mineurs, alors le président du CSA pourra saisir celui du tribunal judiciaire de Paris. Cette procédure aura pour finalité le blocage du site entre les mains des fournisseurs d’accès et/ou le déréférencement par les moteurs.
Notons que n’importe quelle personne, même morale, pourra saisir le président du CSA et espérer que soit initiée une telle procédure. Une jolie opportunité pour les éditeurs payants installés en France, qui pourront faire disparaitre leurs concurrents trop accessibles sur l’autel de la protection des mineurs.