EPI : une carte de paiement oui, mais européenne !

Le putsch tranquille
Internet 8 min
EPI : une carte de paiement oui, mais européenne !
Crédits : AJ_Watt/iStock

Huit ans après un premier échec, 16 banques européennes relancent l’idée d’un réseau de paiement international indépendant de Visa et Mastercard.

Décidément, l’Europe a Mastercard et Visa dans le collimateur… Huit ans après l’échec du projet « Monnet » visant à réaliser une carte bancaire à l’échelle de la zone SEPA, voici EPI ou European Payement Initiative. Annoncée par surprise le 2 juillet, cette initiative réunit seize grandes banques issues de cinq pays de la zone euro. Parmi elles, on trouve pour la France les groupes BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Société Générale et Banque Postale.

L’objectif de l’EPI n’est rien moins que créer un nouveau standard européen des paiements, transfrontaliers et intérieurs, capable de s’affranchir de prestataires étrangers, comme Mastercard et Visa, mais aussi de nouveaux venus comme Apple Pay ou Google Pay.

Plus précisément, selon le faire-part officiel de naissance (ou dossier de presse), il s’agit « de créer une solution de paiement paneuropéenne unifiée s’appuyant sur les paiements instantanés/SEPA Instant Credit Transfer (SCT Inst), proposant une carte bancaire aux consommateurs et commerçants à travers l’Europe, un portefeuille numérique et des solutions de paiement “peer-to-peer” (P2P). ». Tout un programme.

Pour cela, les 16 banques impliquées se mettent d'accord sur une même base technique, qui doit « devenir un nouveau standard de paiement pour les consommateurs et les commerçants européens pour tous les types de transactions, y compris en magasin, en ligne, pour les retraits d’espèces et le P2P ». Il vient « en plus des solutions des schémas de paiement internationaux  ». Comprendre Visa et Mastercard. Quid de CB et autres banques « néo » dans tout ça ?

Une carte bancaire où raccrocher toutes les solutions de paiement

La zone euro doit donc être dotée d’une nouvelle carte à laquelle viendront se greffer tous les cas de paiements actuels ou futurs. Selon un porte-parole de Crédit Agricole, cela « apportera des services aux consommateurs avec des formules de paiement adaptées à ses besoins (paiement immédiat, paiement en x fois, paiement en fin de mois…) et aux commerçants avec des services à valeur ajoutée tels que des reportings personnalisés, une disponibilité immédiate des fonds, etc. »

En pratique, le système sera plus facile à décrire qu'à réaliser. Il va falloir mettre en place un nouveau schéma de cartes avec ses règles d’utilisation, son infrastructure technique pour traiter les demandes de paiement et son réseau d’acceptation de commerçants physiques ou en ligne, y compris son réseau de distributeurs de billets en propre ou en s’appuyant sur ceux déjà existants des banques.

Et donc... mettre à jour l’ensemble des terminaux de paiements, distributeurs et autres systèmes de billettique pour prendre en compte cette nouvelle norme monétique. Autant dire que l'opération ne se fera pas en quelques mois.

Bonjour l’Open banking, au revoir CB !

Et ce n’est pas tout ! Selon Régis Folbaum, directeur des paiements de La Banque Postale, le but est « d'avoir un seul schéma de paiement dans l’Eurozone en plus des schémas internationaux et une seule base applicative pour tous les nouveaux usages de paiement avec un système d’API pouvant être inclus dans les applications bancaires ». Il devra être ouvert.

Concrètement, il va falloir préparer les commerçants à intégrer ce nouveau réseau en plus des réseaux Visa et Mastercard.  Mais pas seulement. Car « la solution européenne a vocation à remplacer les solutions et systèmes nationaux. Les banques devront donc organiser la migration des clients par l’émission de cartes sous standards EPI » indique un porte-parole d’une grande banque française.

Soit, pour la France, laisser tomber le schéma national historique porté par Groupement CB. Celui-ci étant en général moins cher que ses concurrents, il faudra voir quelle sera la stratégie commerciale d'EPI. 

Commission d'interchange
Le schéma est l'organisme qui opère la transaction entre les banques du client et du commerçant, financé par une part de l'interchange

Contacté dès le 3 juillet, ce dernier s’est déclaré ne pas « être habilité à commenter l’initiative EPI, seules les six banques fondatrices le sont ». Il semblerait donc que ledit groupement se soit retrouvé devant le fait accompli, comme des enseignants en pleine pandémie face aux décisions gouvernementales, pris totalement au dépourvu.

L’une des banques fondatrices se veut néanmoins rassurante : « nous allons à la fois travailler sur EPI et maintenir Groupement CB qui est un actif critique de la monétique française jusqu’à ce qu’EPI prenne le relais. Dans le groupement, il y a des talents et des compétences qui seront mis à contribution chez EPI ».

D'ailleurs, au sein de CB, il y a également « d’autres activités qui resteront indispensables une fois EPI installé comme la lutte contre la fraude, les cartes de tests ou les services d’acceptation ». D’ici à ce que le logo CB disparaisse de la majorité des cartes bancaires françaises, il devrait donc s’écouler quelques années...

Les premières transactions EPI en 2022 ?

Car même si la déclaration d’intention est faite, il reste encore beaucoup de pain sur la planche. Comme nous l’explique un porte-parole de Société Générale, la première étape « se concrétisera dans les prochaines semaines grâce à la création d’une société intérimaire à Bruxelles (Belgique) ».

C'est elle qui « définira des livrables clairs, notamment la finalisation de la feuille de route technique et opérationnelle et le lancement des travaux de mise en œuvre pour parvenir à la meilleure expérience utilisateur possible. Les réalisations de cette société intérimaire seront évaluées par chaque banque avant de souscrire à la structure d’entreprise finale d’EPI. Un lancement potentiel est envisagé au premier trimestre 2022 ».

À très court terme, c’est-à-dire d’ici la fin octobre 2020 au plus tard, il faudra créer la société intérimaire et en recruter le personnel, issu ou non des banques fondatrices, mais également des différents schémas nationaux. Puis EPI entrera dans une phase de préparation : rédaction des règles, choix des standards, définition des services, mise en œuvre de l’infrastructure centrale, définition de la gouvernance, adhésion de nouveaux actionnaires, etc.

Elle devra être terminée à la fin du premier trimestre 2021 avec la création de la structure de gouvernance finale dans la foulée, permettant ainsi aux adhérents à la solution d’émettre et accepter des transactions aux standards et obéissant aux règles EPI dès la fin 2021. En off, l’une des banques françaises à l’initiative du projet nous a confié qu’il faudrait bien 18 à 24 mois uniquement pour poser les bases d’EPI et plutôt compter deux à trois ans pour avoir un début de migration.

Elle devrait prendre deux à trois ans pour s’achever, « le temps que les anciennes cartes cobrandées ne soient plus valides ».

Une ouverture au-delà des acteurs historiques, qui peine à convaincre

Les initiateurs de ce projet sont néanmoins prévenus : il faut éviter les ratés de la précédente initiative, le projet Monnet. Portée par les banques « classiques », elle s’était effondrée faute de consensus.

Comme le notent nos confrères des Échos, les besoins des banques et les systèmes monétiques de chaque pays de la zone euro sont loin d’être identiques. Et certaines, notamment allemandes ou italiennes, pour des raisons propres à leur marché intérieur, trainent des pieds. Or, le coût de création et de maintien d’un schéma n’est pas rentable uniquement avec les transactions frontalières, il faudra donc pour le financer que tous les pays concernés jouent le jeu.

Et si l’une des solutions était d’ouvrir la gouvernance d’EPI ? La même banque française nous précise que « pour l’instant, on est 16 grandes banques de l’Eurozone, on espère qu’on sera beaucoup plus avant longtemps. On parle d’un vrai projet industriel pour garantir l’Europe dans son indépendance économique. Donc il faut du fiable à 100 % ».

Un propos qui résonne après la débandade de Wirecard. Mais notre interlocuteur est clair : « ce n’est clairement pas un projet exclusif. Toutes les banques, y compris les fintechs, les grands acquéreurs (Worldline en a déjà parlé) et autres sont les bienvenus ». Pour autant, les différentes fintechs interrogées se sont révélées très frileuses.

Interrogées et habituellement prolixes vis-à-vis de la presse, Lydia, Qonto ou Revolut n’avaient pas de communication à faire sur le sujet. N26, par l’intermédiaire d’un porte-parole, se contente d’un classique : « N26 a une position assez neutre sur les débats en cours, car nous restons concentrés sur notre mission d’offrir la meilleure expérience bancaire à nos clients tout en garantissant un coût attractif ».

La startup se dit néanmoins, non sans ironie, « ravie de voir que le secteur européen souhaite développer une alternative aux deux leaders que sont Visa et Mastercard, convaincue que la concurrence est la meilleure chose qui puisse arriver à nos clients ». Chez bunq, le chef de produit Michael Brackpool pense que « cette nouvelle initiative complètera nos services », mais aucune décision n’a encore été prise pour savoir s’ils intégreront ce nouveau schéma. « Si nous pensons que cela sera profitable à nos clients, alors, bien entendu, nous y réfléchirons »

Quant à Bertrand Godin, directeur des opérations chez iBanFirst, il rappelle que « la plupart des néobanques n’intègrent même plus de système domestique si l’on y regarde plus près, il s’agit uniquement de cartes Visa ou Mastercard. Une carte émise par un nouveau système de paiement devra donc être acceptée en Europe, mais également dans le monde entier afin d’éviter aux particuliers d’avoir 2 cartes dans la poche ».

Et étendre le réseau d’acceptation hors de la zone euro peut s’avérer presque aussi problématique que de mettre toutes les banques et les commerçants européens d’accord autour d’un nouveau système de paiement...

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