L’open science en transition : des pirates à la dérive ?

Coûteux accès ouvert
Tech 8 min
L’open science en transition : des pirates à la dérive ?
Crédits : miljko/iStock

Depuis des années, institutions et scientifiques ont lancé de grandes manœuvres pour passer à l'open access. Si la science ouverte progresse, on reste loin des objectifs et les budgets consacrés aux publications scientifiques explosent. 

Mi-juin, l’Université de Californie concluait un accord open access avec l’une des cinq multinationales de l’édition scientifique, Springer-Nature. Il suit notamment ceux signés en mai par les universités hollandaises et suisses avec l’autre mastodonte du secteur, Elsevier. Le MIT annonçait quelques jours plus tôt mettre fin aux négociations avec Elsevier pour un nouveau contrat d’abonnement à ses revues scientifiques, mettant en avant « les principes de l'open access » pour se justifier.

Depuis 2010, le rapport de force entre le mouvement de l’open science et les grands éditeurs scientifiques pourrait paraître complètement renversé. Cette année-là, le MIT s’était senti obligé de collaborer activement (tout en faisant mine d’adopter une position neutre) à l’enquête contre son jeune étudiant Aaron Swartz.

Il était accusé d’avoir téléchargé des millions d’articles scientifiques sur le site de la bibliothèque numérique JSTOR. Avec la suite que l'on connaît. Effectivement, depuis, les choses ont évolué et les institutions finançant la recherche poussent l’accès gratuit aux articles scientifiques.

Une institutionnalisation de l’open

En 2016, l’Europe a imposé aux chercheurs qu’elle finance la publication des articles scientifiques en accès ouvert sous un délai de six mois (12 mois pour les sciences humaines et sociales).

En 2018, la Commission européenne lançait une coalition de fonds nationaux autour du « Plan S » pour que toute recherche bénéficiant d’un financement public soit obligatoirement publiée en open access. Enfin, la Commission a annoncé, en mars dernier, la création d’une plateforme de publication ambitionnant de gérer la totalité du processus de publication des articles scientifiques que l’Europe finance.

En France, la loi République Numérique votée aussi en 2016 a autorisé, mais sans contrainte, les chercheurs à publier leurs articles après un délai équivalent à celui imposé par l’Europe. En 2018, la France a lancé un plan du gouvernement pour atteindre 100 % de publications scientifiques en accès ouvert, accompagné d’un fonds pour la science ouverte.

Le CNRS s’est fixé l’objectif très ambitieux d’atteindre ces 100 % cette année. Ils étaient seulement 50 % en 2019.

Le coût de l'open access

Mais si les articles scientifiques sont de plus en plus accessibles en ligne gratuitement, les éditeurs n’ont pas cédé à n’importe quel prix. En 2002, les pionniers du mouvement voulaient libérer l'accès, mais aussi baisser les coûts. « Une telle opportunité d’économiser des fonds et d’étendre, dans le même temps, le public visé par la diffusion de la recherche, a fait naître une forte motivation [...] pour adopter le libre accès » proclamait l’Initiative de Budapest pour l’Accès Ouvert, l’un des textes fondateurs du mouvement. Mais c’est l’inverse qui s’est passé.

Les prix des abonnements aux revues des grands éditeurs scientifiques n’ont cessé d’augmenter sur les dix dernières années. En parallèle, les éditeurs ont imposé le paiement de frais supplémentaires par les auteurs pour que leurs articles soient en accès ouvert, ceux liés à leur traitement (Article Processing Charges, APC, en anglais).

La revue open access Nature Communications fait par exemple payer aux chercheurs 4 380 euros pour publier un article. Au final, le coût de ces APC n’est pas négligeable : le consortium Couperin, qui négocie avec les éditeurs pour les institutions de recherche françaises, l’a estimé à 3 262 869 euros pour 2015.

En 2017, il aurait augmenté de plus de 70 % en passant à 5 595 087 euros. Payant des abonnements d’un côté et des frais de publication de l’autre, les institutions ont vu leurs budgets liés aux publications scientifiques exploser et les multinationales de l’édition scientifique en profitent.

Autre point important, les relectures avant publications pour les revues se font par des pairs, et donc d’autres scientifiques qui doivent prendre du temps sur leur recherche sans être payés pour ces travaux.

Des accords pour encadrer l’explosion des budgets

C’est pourquoi les institutions de recherche, comme l’Université de Californie ou le MIT, essayent d’imposer dans des contrats dit « publish & read » un prix tenant compte à la fois des abonnements des revues qui ne sont pas en open access et des APC des articles qui le sont.

« Pour le moment, en France, nous n’en avons fait qu’un seul avec EDP [Édition Diffusion Presse, ndlr] Science », nous explique Marin Dacos, conseiller scientifique Science Ouverte au ministère de la recherche et co-créateur de la plateforme publique de revues en sciences humaines et sociales revues.org devenue depuis OpenEdition.

« Nous envisageons d’en faire d’autres mais c’est un sujet très compliqué parce que, quand vous passez d’abonnements pour lire à des abonnements pour publier, vous changez en profondeur les raisons pour lesquelles vous vous abonnez et vous changez du coup en profondeur le modèle économique. Vous pouvez devenir encore plus dépendant de l’éditeur, puisqu’il devient financé au prorata du nombre de vos articles qu’il publie ». Il considère que « nous sommes quand même dans une phase dans laquelle le rapport de force entre acheteur et vendeur s’est rééquilibré ». Pour l’instant, si ce rééquilibrage existe, il ne se fait pas encore ressentir dans les rapports financiers des géants de l’édition scientifique.

Comme le montre dans sa thèse Célya Gruson, docteure en sciences de l'information et de la communication spécialisée sur les questions d’open access/science, « l’open et l’adaptation aux outils numériques [sont] un moyen pour les organismes publics de reprendre la main sur les infrastructures de gestion, de traitement et de diffusion des ressources scientifiques (publications mais aussi données de la recherche aujourd’hui), mais cela tout en restant dans un contexte néolibéral ».

Si l’institutionnalisation de l’open access a permis l’accès gratuit à une plus grande partie de la littérature scientifique, elle n’a pas chamboulé le monde économique du secteur. Ainsi, la marge opérationnelle d’Elsevier sur la publication scientifique a, par exemple, encore augmenté de 2 % (à monnaie constante) en 2018 à 37,1 % du chiffre d’affaires. 

Débordés par les pratiques

Si la science ouverte s’est institutionnalisée, paradoxalement, « des scènes en huis clos restent toujours présentes », selon Célya Gruson. En parallèle, les pratiques continuent d’évoluer.

La bibliothèque scientifique pirate Sci-hub gagne toujours en notoriété chez les jeunes chercheurs et notamment chez les Français, qui « considèrent ne rien faire de mal en utilisant cette plateforme car ils enfreignent les règles pour une bonne raison, accroître l'accès aux connaissances scientifiques », selon David Nicholas qui a fait une étude sur le sujet.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a bien obligé, l’année dernière, les principaux fournisseurs d’accès français à bloquer le site, mais un simple changement de DNS permettait de passer outre. Cette décision juridique n’ayant été prise que pour un an, les chercheurs français peuvent y accéder de nouveau sans problème et ne s’en privent pas.

Pendant la pandémie, les prépublications, une autre pratique d’open access, a vu sa côte de popularité monter en flèche. Mettre en ligne des articles qui ne sont pas encore relus et validés par d’autres chercheurs, la pratique n’est pas récente. Les physiciens le font depuis 1991 sur le site de prépublication ArXiv.

Mais, avec la pandémie, la médecine et la biologie ont fait exploser les compteurs. En 6 mois, plus de 15 000 articles étudiant la Covid-19 ont été déposés sur des serveurs de prépublication, rendant leur analyse très compliquée. Et des solutions commerciales (Kopernio, Anywhere Access) ou à but non lucratif (Open Access Button, Unpaywall) ont émergé pour faire le lien entre articles publiés dans les revues et leurs versions sur les serveurs de prépublication, créant au passage d’énormes bases de données.

Prépublication scientifiques medecine
Crédits : Nicholas Fraser et Bianca Kramer

Des publications à la data

Les données sur le monde de la recherche sont aussi au cœur de la bataille de l’open science. L’Initiative de Budapest ne revendiquait pas seulement la gratuité de lecture des articles scientifiques mais aussi la possibilité de « les disséquer pour les indexer, s’en servir de données pour un logiciel, ou s’en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet ».

Mais les multinationales de l’édition scientifique ont remarqué qu’elles pouvaient aussi s’en servir pour vendre des outils d’analyse managériale aux institutions de recherche très friandes de classements. D’ailleurs, sur son site internet, Elsevier ne se présente plus comme un éditeur mais comme « une entreprise d’analyse de données qui aide les institutions, les professionnels de santé et des sciences à améliorer leurs performances pour le bien-être de l’humanité ».

Les institutions ont, pour beaucoup, bataillé pour que ce que l’on appelle le « text & data mining » sur les articles scientifiques soit possible pour les chercheurs. Mais elles n’ont pas investi pour traiter elles-mêmes ces données et préfèrent encore sous-traiter ces analyses aux multinationales de l’édition. Si l’ouverture de la science devient de plus en plus réelle, les chercheurs ne se sont toujours pas réapproprié les outils de son traitement et de son analyse.


À noter : Martin Clavey a travaillé entre 2012 et 2015 au sein d’OpenEdition sous la responsabilité de Marin Dacos. L’interview de Marin Dacos a été réalisée par Sébastien Gavois.

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