Justice : pour Free, les FAI n'ont pas à supporter le coût du blocage des sites pirates

Le revanche des sith
Droit 5 min
Justice : pour Free, les FAI n'ont pas à supporter le coût du blocage des sites pirates

Par deux requêtes introduites au Conseil d’État, Free réclame du ministère de la Culture et de Matignon un système de compensation pour les frais de blocage des sites contrefaisants. Le Premier ministre n’ayant pas répondu dans les temps, et la Rue de Valois lui ayant opposé son véto, le fournisseur d’accès attaque ces décisions. 

La semaine prochaine, le 8 juillet, le Conseil d’État examinera les requêtes du FAI visant à annuler ces deux décisions. Dans le jargon, Free veut que soient adoptées des dispositions réglementaires « mettant en place un mécanisme de compensation des surcoûts engagés par les fournisseurs d’accès à Internet au titre de la mise en œuvre par ces opérateurs de mesures de blocage, de déréférencement ou d’effacement de données en application des dispositions de l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle ».

Explication. Cet article L.336-2 du CPI a été introduit dans notre droit interne suite à un amendement porté par Franck Riester, alors rapporteur du projet de loi Hadopi en 2009. Le texte, en sortie, permet depuis aux ayants droit de réclamer au juge « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

L’article a servi et sert encore de levier à de nombreuses procédures de blocage de sites contrefaisants, puisqu’elles font partie des mesures propres à « prévenir » ou à faire « cesser » une atteinte à leurs catalogues. Et systématiquement, ces actions sont dirigées contre les fournisseurs d’accès et le plus important des moteurs, Google.

Seulement, le blocage de site n’est jamais neutre. Outre qu’il peut engendrer des risques de surblocage (l’étude de 2009 sur le sujet), il occasionne aussi des coûts pour les intermédiaires. Ceux-ci se voient finalement endosser la casquette d’auxiliaires de justice au profit des ayants droit, alors que leur ADN est avant tout de relier des abonnés à Internet, non de les en empêcher.

free conseil d'état

Les soubresauts jurisprudentiels de l’affaire Allostreaming

La question des coûts est régulièrement soulevée à l’occasion de ces procédures. Dans le long dossier Allostreaming, dont nous avions suivi chacune des audiences, le tribunal de grande instance de Paris avait jugé le 23 novembre 2013 que ces coûts devaient intégralement reposer sur les épaules des demandeurs, ici l’industrie du cinéma.

L’argument était imparable : « le coût des mesures ordonnées ne peut être mis à la charge des défendeurs qui ont l’obligation de les mettre en œuvre » exposait le jugement rendu en la forme des référés. Le 15 mars 2016, en appel, changement de cap. La cour de Paris opte pour une solution inverse, en s’appuyant cette fois sur l’arrêt Kino de la Cour de justice de l’Union européenne rendu en mars 2014 et portant sur les modalités de blocage. 

Décision européenne dans une main, les juges français estimaient que les ayants droit avaient été dans la nécessité d’agir face aux contrefaçons massives, alors que leur équilibre économique « déjà menacé par ces atteintes, ne [pouvait] qu’être aggravé par l’engagement de dépenses supplémentaires ».

Ils relevaient en outre que FAI et moteurs sont « à l’origine de l’activité de mise à disposition de l’accès à ces sites ». Mieux, ils « tirent économiquement profit de cet accès (notamment par la publicité s’affichant sur leurs pages) ». Conclusion : « il est dès lors légitime et conforme au principe de proportionnalité qu’ils contribuent financièrement aux mesures de blocage ou de déréférencement ».

Le 6 juillet 2017, la Cour de cassation confirmait cette grille de lecture : ce n’est que « dans l’hypothèse où une mesure particulière devait s’avérer disproportionnée, eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, au point de compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique des intermédiaires techniques, qu’il conviendrait d’apprécier la nécessité d’en mettre le coût, en tout ou en partie, à la charge du titulaire de droits ».

Sans la démonstration d’un tel risque financier, les coûts peuvent donc être laissés sur les épaules des fournisseurs d’accès et des moteurs. 

Une ligne suivie par les juridictions du fond

Depuis, plusieurs décisions ont suivi cette jurisprudence. Par exemple, le 16 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris ordonnait le blocage de 37 sites dont Time2Watch, à la seule charge des fournisseurs d’accès, dont Free.

Un an plus tôt, le 23 mai 2019, le tribunal de grande instance de Paris exigeait le blocage d’une ribambelle de sites de streaming, là encore en décidant que « le coût des mesures de blocage sera à la charge des fournisseurs d'accès internet ». Même décision le 15 décembre 2017 à l’égard d’autres sites comme Zone Telechargement, Papystreaming et Sokrostream. 

Free espère malgré tout que Matignon ou la Rue de Valois prenne des dispositions pour inverser le sens de l’histoire et finalement revenir à la logique posée par la décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2000.

Les neuf Sages exposaient alors que « s'il est loisible au législateur, dans le respect des libertés constitutionnellement garanties, d'imposer aux opérateurs de réseaux de télécommunications de mettre en place et de faire fonctionner les dispositifs techniques permettant les interceptions justifiées par les nécessités de la sécurité publique, le concours ainsi apporté à la sauvegarde de l'ordre public, dans l'intérêt général de la population, est étranger à l'exploitation des réseaux de télécommunications ».

Le « CC » en déduisait que les dépenses afférentes ne pouvaient en aucun cas être supportées par les FAI. Dans le dossier Allostreaming, néanmoins, la Cour de cassation avait repoussé cette jurisprudence constitutionnelle, étrangère aux intérêts privés des ayants droit.

Une QPC déjà rejetée par la juridiction administrative

Free n’en est pas à sa première tentative. En 2019 déjà, il avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre du recours en excès de pouvoir examiné la semaine prochaine et introduit le 25 février 2019.

Si le FAI opposait des violations de plusieurs normes fondamentales, comme le droit de propriété, la liberté d’entreprendre et le principe d’égalité, le Conseil d’État avait rejeté sa demande au motif que « les dispositions de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ». Faute de circonstance nouvelle, il n’était donc pas possible de rouvrir ce dossier.

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