5G et risques sanitaires : « on ne peut pas démontrer qu’il n’y a pas de risques »

Rien ne le prouve pas
Mobilité 14 min
5G et risques sanitaires : « on ne peut pas démontrer qu’il n’y a pas de risques »
Crédits : Olivier Le Moal/iStock

La question des risques sanitaires de la 5G s’est invitée au Sénat ce matin. Chaque camp a pu présenter ses arguments, tandis que l’Arcep en a profité pour s’expliquer sur le maintien des enchères à septembre. Plusieurs sénateurs ont demandé à la FFT et à l’Anses d’« accorder [leurs] discours », assez divergents il faut bien le reconnaitre.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat vient d'organiser des tables rondes autour des polémiques entourant la 5G. Des représentants de tous les horizons étaient présents, notamment le président de l’Arcep, un responsable de l’Anses, le président de la Fédération française des télécoms et de l’association Agir pour l'Environnement. De quoi dresser un panorama complet des attentes et craintes des uns et des autres.

Le rapport de l’Anses au cœur des débats

Le début du débat était l’occasion pour l’Anses de revenir sur son rapport préliminaire autour des risques sanitaires liés à la 5G. Il a pour rappel été publié au début de l’année, suite à une saisie de l’Agence sanitaire en février 2019 par les ministères en charge de la santé, de l’environnement et de l’économie.

Pour résumer, l’Anses faisait face à un problème après un premier tour d’horizon : « peu de publications ont étudié les effets d’exposition à des fréquences comprises entre 3 et 6 GHz », déjà utilisée pour les connexions par satellite ou encore le Wi-Fi par exemple. Un point inquiétant pour certains alors que les déploiements devraient commencer dans quelques mois. 

Cela concerne aussi la bande des 26 GHz qui doit être utilisée dans un second temps, alors qu'elles sont actuellement exploitées notamment pour les stations météo. Cela ne sera d'ailleurs pas sans poser quelques problèmes techniques.

Lors de la table ronde, Olivier Merckel, responsable de l’unité évaluation des risques liés aux agents physiques de l’Anses, rappelait qu’il y a un changement du « comportement des ondes électromagnétiques vis-à-vis du vivant » entre 6 et 10 GHz : les ondes à ces fréquences « pénètrent moins profondément » dans les tissus du corps.

À 3,5 GHz on est en dessous de cette fourchette, mais « l’interaction avec le vivant bouge beaucoup », expliquait-il. Le problème étant qu’il y a peu de données « car il y a très peu de déploiement dans cette bande-là ». Pour répondre à la question d’un risque, l’Agence étudie une piste : « est-ce qu’on peut adapter/transposer/extrapoler les données nombreuses jusqu’à 2,5 GHz sur les 3,5 GHz ? » La réponse n’est pas encore connue.

« De nouvelles modalités très complexes à appréhender »

Il en profitait pour rappeler que la 5G change la donne sur la partie technique : « On va passer d’une exposition relativement stable dans l’espace et le temps à une situation ou les antennes vont pouvoir focaliser les émissions », avec donc une « variabilité dans le temps et l’espace ». Ce sont, pour l’Anses, « de nouvelles modalités très complexes à appréhender ».

Juste avant la fin de la table ronde, il douchait les espoirs de ceux qui attendent une réponse ferme, définitive et sans ambiguïté dans la version finale du rapport, attendue pour début 2021 : « on ne peut pas démontrer qu’il n’y a pas de risques, on ne pourra jamais [...] la science ne peut pas donner une réponse totalement tranchée sur ces questions ». 

Et même lorsque le rapport sera finalisé, « l’évaluation [des risques sanitaires] ne sera pas terminée […] Ce travail est amené à durer au fur à mesure des déploiements ». Le chef d’unité de l’Anses rappelait tout de même que « tous les travaux menés jusqu’à présent par l’Anses ne mettent pas en évidence de risques avérés liés à l’exposition notamment aux antennes relais de téléphonie mobile (2G, 3G et 4G) ». « On a toujours souligné que le téléphone mobile, de par la proximité de cette source d’émission de radiofréquence par rapport au corps était finalement la source la plus préoccupante », ajoutait-il.

C'est ce qui explique la limitation du DAS, justement renforcée ce 1er juillet. Une évolution prévue de longue date. 

La Fédération française des télécoms brandit des rapports…

Pour Nicolas Guérin, nouveau président de la Fédération française des télécoms (FFT), la question serait déjà presque tranchée : « On a plus de quatorze autorités dans le monde qui se sont prononcées sur les questions de l’impact sur la santé, dans des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, la Norvège, le Danemark, l’Irlande et les Pays-Bas et que toutes ces autorités ont conclu à la même chose : il n’y a pas de raison de remettre en cause les analyses qui ont été faites notamment dans le cadre de la 4G et il y a lieu de les appliquer à la 5G ».

« Il n’y a rien de nouveau, à la fois dans les natures des bandes de fréquences et la façon de les exploiter, qui justifie que l’on remette en question ce qu’on appelle les seuils d’exposition. C’est ça pour nous le cœur et la solution […] on va les respecter […] ils sont suffisants et efficaces pour protéger la santé », expliquait-il.

 … qui se font remballer par l’Anses

Mais l’Anses n’était pas sur la même longueur d’onde : « on a certaines difficultés à récupérer des infos sur les expositions, notamment à l’étranger ». Olivier Merckel ajoute que dans certains pays « qui ont commencé à déployer, il y a peut-être moins de questions qui se posent et donc moins eu l’opportunité de réaliser des études, notamment sur l’exposition ».

L’Agence est revenue sur les exemples cités qui « s’appuient notamment sur l’hypothèse que tout est transposable directement des données qu’on connait déjà sur la bande des 3,5 GHz ». Il convient que cette hypothèse est « raisonnable », mais l’Anses « va l’examiner » avant de se prononcer, comme elle l’avait déjà expliqué dans son rapport préliminaire.

Le Sénateur Patrick Chaize (LR), vice-président de la commission et président de l'Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l’Audiovisuel (AVICCA) demandait si on dispose de retours d’expériences d’autres pays sur la focalisation des ondes avec la 5G : « encore assez peu, vraiment ça fait partie de toutes ses données dont on a besoin nous », lui répondait l’Anses.

Cette dernière, avide de données sur la 5G, expliquait avoir besoin de construire des scénarios avec les opérateurs : « à telle échéance, on aura tant de personnes connectées dans un environnement et que du coup ça produira tels niveaux d’exposition, en lien avec ces fameuses nouvelles technologies d’antennes qui vont forcément beaucoup changer la manière dont on est exposé par rapport à aujourd’hui ».

Nicolas Guérin de la FFT rétorquait que « la modulation du signal telle qu’elle va être faite dans la 5G est déjà utilisée par un grand nombre de technologies aujourd’hui en France : le Wi-Fi des box, le DVBT, le DAB… c’est le même type de modulation, le même type d’usage ». Des technologies comme le beamforming et le massive MIMO sont certes déjà disponibles, mais pas sur les mêmes bandes de fréquences (notamment les 3,5 GHz). On en revient donc au problème de l'Anses.

Pour Nicolas Guérin il y a néanmoins une certaine urgence : « en 2022, les réseaux/fréquences 4G qu’on a seront saturés ».

L’Arcep n’est « pas volontariste sur le lancement de la 5G » 

Lors de son discours, Sébastien Soriano (président de l’Arcep) a commencé par affirmer que le régulateur « n’est pas volontariste sur le lancement de la 5G ».  L’autorité reconnait qu’elle était « partie prenante de ce que l’on peut appeler un techno-enthousiasme, qui est au fond ce qui a porté l’Arcep depuis son origine : la promotion des meilleures technologies de communications » ces dernières années. Mais les choses ont changé : « depuis le début de l’année, compte tenu des appréhensions dans la population, nous avons souhaité opter pour une posture de neutralité ». 

Il est ensuite revenu sur ses auditions (Sénat et Assemblée nationale) de début 2015 pour la validation de sa nomination : « j’ai toujours dit que l’Arcep serait à l’écoute des priorités de la nation ». Le régulateur est certes une « autorité indépendante qui prend ses décisions en indépendance », mais « c’est le pouvoir politique de manière ultime qui peut traduire un certain nombre de priorités nationales ». Il est d'ailleurs à noter que ces dernières années, certains reprochaient à l'Arcep de ne pas aller assez vite sur le sujet, alors qu'on lui demande désormais de tirer sur le frein à main.

Sur la question d’un recalage du calendrier de la 5G, Sébastien Soriano expliquait avoir été « à l’écoute du gouvernement » : « Si le gouvernement nous dit que pour des raisons de priorité nationale, quelles qu'elles soient (c’est au politique de le dire, je n’ai pas à en juger) il faut changer le calendrier de la 5G, nous l’aurions fait ». Il a laissé la porte ouverte à un report si besoin : « Si le gouvernement change d’avis, nous le ferons ». 

Mathieu Weill, chef du Service de l’Économie numérique à la Direction générale des entreprises (DGE) était également présent durant le débat, il représentait donc une des directions du ministère français de l'Économie et des Finances. Ceux qui attendaient des justifications sur le maintien des enchères en étaient pour leurs frais.

Son discours était complètement aseptisé : « On reste dans une approche d’examen prudent de l’ensemble des risques et facteurs d’enjeux de la 5G depuis plusieurs années […] cette démarche prédate de la 5G ». Bref, circulez, il n’y a rien à voir.

À quoi va servir la 5G ? « Je n’en sais rien » (Sébastien Soriano)

Sébastien Soriano revenait ensuite sur les usages de la 5G. À la question « à quoi ça va servir ? », la réponse était aussi courte qu’expéditive : « je n’en sais rien ». Mais pour le président de l’Arcep c’est la même histoire qui se répète : « quand la 4G est arrivée, on a entendu la même chose », et c’était déjà le cas pour la 3G, l’ADSL, etc.

« On ne sait pas à quoi vont servir les technologies avant qu’elles se déploient […] Quand on parle de technologie de communication, ce sont les usages de la société qui s’approprient cette technologie ». Il taclait au passage les pouvoirs publics : « On a passé beaucoup de temps au sein des pouvoirs publics à se demander comment organiser l’enchère, est-ce qu’il fallait des blocs de telle ou telle taille. Je pense qu’à l’avenir (c’est une leçon intéressante), il faudra aussi se préoccuper de pouvoir l’expliquer et la partager […] Il y a un enjeu d’appropriation et de partage ». 

Il donnait quelques pistes de réflexion sur le sujet : « Peut-être qu’il y a des choses à faire sur des modèles différents, alternatifs aux opérateurs. Regarder un peu du côté des fréquences libres, de mouvements citoyens qui pourraient s’approprier davantage cette technologie et rassurer sur le fait qu’il ne s’agisse pas d’un plan d’un État ou de grands opérateurs privés ».

Agir pour l’environnement « sidéré de la dissonance » des discours

Stéphen Kerckhove, directeur général de l'association Agir pour l'environnement (Ape), prenait la parole au bout de 45 minutes de débat : « je suis un peu sidéré de la dissonance » entre les opérateurs et l’Anses. Il n’était d’ailleurs pas le seul : le sénateur Guillaume Gontard (CRCE) expliquait être « un peu gêné entre les différences de discours ».

Il détaillait son propos « Connaitre : on nous dit qu’on ne sait pas encore, car les études sont en cours. Évaluer : vous nous dites elle va se faire au cours des installations et on n’a pas les retours. Sur la protection, on peut donc se poser des questions ». Il demandait donc à l’Anses et à la FFT d’« accorder [leurs] discours » ; un avis partagé par d’autres parlementaires, notamment par la sénatrice Marta de Cidrac (LR) qui parlait de « discours divergents ». 

Vers plus de points atypiques en 5G ?

Stéphen Kerckhove se faisait ensuite l’écho d’informations qui lui auraient été données dans le cadre du Comité de dialogue de l’ANFR : « Les évaluations qui sont faite sur les sites expérimentaux, dans l’hypothèse de l’ajout d’émetteurs 5G au déploiement futur 4G, le niveau d’exposition moyen augmente d’environ 30 % et génère environ 50 % de zones supérieures à 6 V/m ». Avec la 5G « nous avons une augmentation des points atypiques, évidemment on ne dépassera pas le seuil de 60 V/m ».

Cette limite de 6 V/m correspond à la définition des points « atypiques » de l’ANFR « définis par la loi n° 2015-136 du 9 février 2015 comme les lieux dans lesquels le niveau d'exposition aux champs électromagnétiques dépasse substantiellement celui généralement observé à l'échelle nationale […] Les critères retenus à ce jour par l’ANFR conduisent à considérer comme atypique un niveau global d’exposition supérieur ou égal à 6 V/m ». Ils font l’objet d’une surveillance accrue, de la publication d’un observatoire dédié et de tentatives de les résorber. La limite légale, elle, est bien plus élevée : 61 V/m.

Selon le directeur général d’Agir pour l’environnement, « les opérateurs font tout pour augmenter ce niveau de seuil atypique, pour le passer de 6 à 9, 10 ou 15 V/m », probablement dans le but de ne pas être identifié comme point atypique. Nous tâcherons de voir avec l’ANFR si des travaux sont en cours sur ce sujet.

Si vous n’utilisez pas la 5G, êtes-vous « exposé aux ondes 5G » ?

Dans son dernier bilan sur l’Évaluation de l’exposition du public aux ondes électromagnétiques 5G datant d'avril, l’Agence ne fait pas mention de ces chiffres et nous ne les avons pas trouvés dans d’autres documents.

Elle explique que, « après allumage des antennes 5G mais en l’absence de trafic, le niveau moyen d’exposition créé par la 5G dans la bande 3,4 – 3,8 GHz est apparu très faible : il a été mesuré en moyenne à 0,06 V/m, et au maximum à 0,36 V/m », contre moins de 0,01 V/m (aussi bien en moyenne qu’en maximum) auparavant.

Une petite hausse donc, qui vient contredire une déclaration de Nicolas Guérin de la FFT ce matin : « la 4G elle diffuse par zone, elle arrose tout le monde – en mode parapluie – la 5G elle va se connecter et cibler un client qui utilise un service 5G. S’il n’utilise pas de service 5G, il ne recevra pas d’ondes ni quoi que ce soit. Vous utilisez un service 5G, l’antenne va vous suivre et suivre l’objet connecté pour le raccorder, vous n’utilisez pas d’objet connecté, vous n’utilisez pas de service 5G, vous n’êtes absolument pas exposé aux ondes 5G ».

L’ANFR définit un « modèle d’usage prévisible de la 5G »

Le niveau d’exposition du public après allumage des antennes 5G reste « très faible », mais comment le mesurer pour différents cas d'usages ? Ici, la méthode de relevé diffère de la 4G notamment du fait de la focalisation. La mesure ne peut pas être faite dans une zone afin de vérifier comment elle est « arrosée » par le signal.

Il faut donc mettre en place un protocole spécifique, prenant en compte le comportement de l'utilisateur. Si l’antenne émet « en continu à pleine charge dans une direction donnée » on passe à 6 V/m ou plus dans trois des six villes pilotes : 6 V/m à Nozay, 8,3 V/m à Toulouse et 9 V/m à Mérignac.

Mais des mesures avec des émissions « en continu à pleine charge » sont-elles représentatives ? Pas vraiment pour l’ANFR, qui propose un indicateur pour « mieux refléter l’exposition réelle créée par les réseaux 5G à faisceaux orientables ». Il se fonde sur « un modèle d’usage prévisible de la 5G, qui se traduit par l’envoi, dans une direction donnée, d’un gigaoctet de données toutes les 6 minutes ». La vitesse est de 500 Mb/s, le transfert dure donc environ 15 secondes (4 % des 6 minutes).

Les relevés de 6, 8,3 et 9 V/m passent alors à 1,6, 0,8 et 1,1 V/m pour le transfert de 1 Go de données en 5G.

Santé des réseaux vs santé de l’usage

Enfin, interpelé par Stéphen Kerckhove sur les usages des réseaux, Nicolas Guérin défendait la position des opérateurs :

« Il y a une distinction à faire entre la santé des réseaux et la santé de l’usage. Vous parlez de surexposition des enfants aux écrans, les opérateurs ne sont pas responsables de ça, ce n’est pas eux les fournisseurs de contenus, de services, qui envoient en permanences des emails aux abonnés pour télécharger des films, utiliser des services.

Eux ils fournissent une connectivité, un abonnement qui permet d’accéder à ces services. On est tout à fait d’accord, tous opérateurs confondus, pour travailler activement sur la question de la sobriété numérique ».

Notez enfin que la réunion de ce matin était suivie d’une seconde sur les enjeux environnementaux de la 5G, nous aurons l’occasion d’y revenir prochainement.

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