Il n’y aura pas de grande loi sur l’audiovisuel. Le texte va être dépecé, éparpillé, intégré dans d’autres véhicules pour cause d’agenda surchargé. C’est dans ce contexte qu’une proposition de loi déposée au Sénat par des députés LR entend combattre le piratage des contenus sportifs. Elle fut l’une des briques de la loi avortée.
La pandémie de Covid-19 a eu aussi raison de la loi promise avant l’été. Ce qui devait être l’un des grands chantiers de l’actuelle législature ne va devenir qu’une myriade de dispositions, éclatées ici et là, avec d’éventuelles pertes dans son sillage.
Pour écarter ce risque, des sénateurs LR ont ainsi déposé une proposition de loi pour « lutter contre le piratage du sport ». Le texte, enregistré le 18 juin 2020, reprend l’argumentaire et le contenu du projet de loi sur l’audiovisuel.
Selon l’exposé des motifs, l’impact économique de ces actes serait de 500 millions d'euros « pour les ayants droit (fédérations, ligues) ainsi que pour les diffuseurs, avec des pertes de plusieurs centaines de milliers d'abonnés ».
Au-delà, c’est le financement même du sport professionnel et amateur qui serait malmené, puisque l’univers puise de précieuses ressources via la « taxe Buffet », une ponction sur les cessions de droits télévisés d’évènements sportifs inscrite au Code général des impôts.
« La spécificité du piratage sportif est que, à la différence des oeuvres audiovisuelles telles que le cinéma ou les séries, la valeur économique d'une rencontre sportive s'épuise dès lors que celle-ci se termine » affirment le sénateur Michel Savin et plusieurs élus LR, signataires de la « PPL ». « C'est la raison pour laquelle il est primordial que les mesures de lutte contre le piratage soient adaptées à ce type de diffusion, afin que des mesures de protection puissent être prises très rapidement ».
Dans leur proposition, ils ont donc imaginé un dispositif lourdement inspiré du projet de loi sur l’audiovisuel. Lorsqu’auront été constatés des actes de piratage en ligne « graves et répétés » visant les droits d’exploitation d’une exploitation audiovisuelle, une armada de mesures pourra être mise en place pour prévenir ou remédier à d’autres répliques provenant du même site.
Une armada de mesures
Concrètement, le titulaire de droits, une chaîne de TV, ou une ligue professionnelle pourra saisir le président du tribunal judiciaire afin de voir mettre en œuvre « toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».
Dans cet encrier législatif, le champ lexical est suffisamment généreux pour faire miroiter des mesures de blocage ou de filtrage d’accès dans l’ensemble de la constellation Internet : FAI, hébergeurs, fournisseurs de noms de domaine ou moteurs de recherche en passant par les réseaux sociaux. N’en jetez plus !
La suite est connue pour ainsi dire, nous l’avions déjà décrite dans ses grandes lignes. Le demandeur fournira au président du tribunal le calendrier à venir des matchs (foots, baskets, J.O., Formule 1, peu importe). Et sur les 12 mois suivants, il pourra exiger de l’ensemble de ces acteurs des mesures de blocage, de retrait ou de déréférencement.
Pour balayer d’un coup de main les surcharges de la procédure judiciaire, la loi exige que le juge, à compter de sa saisine, se prononce « dans un délai permettant la mise en œuvre utile des mesures ordonnées pour assurer la bonne protection des droits ».
Toutes mesures, toutes personnes… Le terrain du possible n’a pour frontières que la proportionnalité des restrictions à mettre en œuvre au regard de l’objectif poursuivi : la fermeture du robinet.
Des mesures qui frapperont les sites futurs, une première
Mieux, ces mesures pourront frapper le site initial, mais également n’importe quel autre site futur non encore identifié. C’est une première dont bénéficiera le monde du sport, sous les yeux jaloux de l’industrie culturelle.
Il reviendra en pratique au demandeur de communiquer au défendeur « les données d’identification nécessaires ». Et au juge d’exécuter l’extension du serrage de vis. Cette mise à l’index des sites futurs, reprenant ces contenus, se fera selon des « modalités » recommandées par la Hadopi. Et non l’Arcom, puisque la fusion de la Hadopi avec le CSA est mise sous cloche pour l’instant.
Pour graisser les rouages, cette haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet se verra chargée d’adopter des modèles d’accords types. Ces accords seront ouverts à la signature de toutes les parties intéressées. Au menu, des informations sur la violation des droits, des mesures que ces personnes s’engagent à prendre pour faire cesser ces atteintes, et l’« intervention, si nécessaire, de l’autorité pour constater l’existence de telles violations et la répartition du coût de ces mesures ».
Des agents de la Hadopi masqués sur Internet
Pour aiguiser ses connaissances sur le marché du streaming de compétitions sportives, les agents de la Hadopi se voient reconnus le droit de constater la matérialité de ces faits, sur saisine du titulaire de droits, de la ligue professionnelle ou de la chaine de télévision. Ils pourront participer sous pseudonyme à des échanges, reproduire des œuvres, conserver les preuves, étudier les matériels (par exemple les box Kodi).
Ces agents pourront, s’ils le souhaitent, communiquer aux prétendues victimes « tout document utile à la défense de leurs droits ».
Dans une réponse parlementaire du 16 juin dernier, Franck Riester a considéré que « le juge doit pouvoir intervenir en amont des compétitions, afin que les sites soient bloqués dès que commence la retransmission du sport en direct. Ces nouveaux pouvoirs donnés au juge ont toute leur importance ».
Si un examen de la constitutionnalité de ces mesures est en cours, le locataire de la Rue de Valois a donné le cap : « il faut renforcer encore, si c’est possible, le dispositif de lutte contre le piratage des contenus sportifs en ligne ». Et le ministre de la Culture d’indiquer qu’il entendait faire passer ces dispositions par ordonnances. Une promesse qui n’a pas convaincu les sénateurs LR qui ont donc préféré consacrer cette réforme par le biais d’une proposition de loi.