Du fait de sa proximité avec le Soleil et sa vitesse, Mercure ne se laisse pas étudier facilement. Elle est l’une des quatre planètes telluriques de notre Système solaire, et la seule avec la Terre à disposer d’un champ magnétique. Deux sondes seulement l'ont étudiée, deux autres sont en route.
Dans une série d’articles, nous partons à la découverte de notre Système solaire. Après avoir étudié de près l’élément central qu’est le Soleil, continuons avec la première des huit planètes : Mercure. Elle est aussi la plus petite parmi les quatre telluriques – les planètes rocheuses – que sont Venus, la Terre et Mars.
Elle doit son nom au « Messager ailé des Dieux », car elle « se déplace très rapidement autour du Soleil et effectue un tour complet en seulement 88 jours terrestres. Elle tourne toutefois très lentement sur elle-même (sa période de rotation à l'équateur est de 58,6 jours). C'est exactement les deux tiers de sa période orbitale », explique l’ESA.
Ce n’est pas anodin, et ses particularités ne s'arrêtent pas là.
Lire notre dossier sur le Système solaire :
- Le Soleil : élément central et « catalyseur » de la vie
- Mercure : une mystérieuse planète « sans équivalent »
- Vénus : une planète étrange, quasi-jumelle de la Terre, qui « a mal tourné »
- Terre : minuscule point dans l’Univers, seule planète à abriter la vie… jusqu’à preuve du contraire
- Mars : cousine de la Terre, objet de toutes les convoitises et de fantasmes
- Un détour par la ceinture d'astéroïdes et les lacunes de Kirkwood
- Jupiter : planète géante dépourvue de surface solide, protectrice du Système solaire
- Saturne et ses anneaux : « joyau » du Système solaire, surprenante à plus d’un titre
Elle file à 170 000 km/h, une journée solaire dure 176 jours (terrestres)
On a souvent du mal à se représenter la taille et l’espace séparant les planètes et notre étoile. Voici de quoi se remettre en perspective : le diamètre du Soleil est de 1 400 000 km, celui de Mercure est de… 4 900 km environ (286 fois moins). C'est un peu plus que notre Lune et ses 3 400 km, mais aussi 2,6 fois moins que la Terre (12 700 km).
Lorsqu’elle passe au plus près de la Terre, elle en est séparée de 90 millions de km. Elle n’est pas facile à observer du fait de sa « proximité » avec le Soleil : 57,9 millions de km (en moyenne). « Même dans le meilleur des cas, elle se trouve à proximité de l'horizon et n'est visible que pendant quelques heures après le coucher du soleil ou avant le lever du soleil ».
Autre problème : sa vitesse orbitale moyenne autour du Soleil, qui est proche des 170 000 km/h.

Mercure ne possède pas de satellite naturel. D’humeur frivole en 2012, la NASA avait annoncé en avoir découvert un le 31 mars 2012... mais il ne s’agissait que d’un poisson d'avril.
« Elle n’est pas en rotation synchrone autour du Soleil (comme la Lune autour de la Terre [ce qui explique qu‘on voit toujours la même face, ndlr]), mais est en résonance spin-orbite 3/2 », détaille l’Observatoire de Paris. Dans une vidéo sur l’histoire de l’exploration de Mercure, Benoît Langlais, directeur de recherche CNRS, donne des explications :
« La rotation autour du Soleil est en résonnance avec sa période de rotation (la rotation de Mercure sur elle-même). Quand Mercure fait un tour sur elle-même (en 59 jours a peu près) elle fait 2/3 d’un tour autour du Soleil […] Une journée, qui est définie par le lever et le coucher du Soleil, dure deux années autour du Soleil. Donc on a des journées solaires qui sont très très longues, autour de 176 jours terrestres », soit 88 jours de nuit et autant avec le Soleil.
Un noyau, un manteau, une croûte et une exosphère
Mercure dispose d’un noyau liquide de 3 600 km de diamètre, qui occupe 61 % de son volume, contre seulement 17 % pour la Terre. On trouve ensuite un manteau de 600 km d’épaisseur, composé de roches semi-fondues et largement moins dense que le noyau. Enfin, une croûte épaisse de plusieurs dizaines de km parachève la construction de la planète.
« Sa surface est recouverte de cratères d’impact, pouvant atteindre plusieurs centaines de km de diamètre pour quelques km de profondeur », explique le CNES qui note une autre particularité : « la présence d'escarpements [comme des falaises, ndlr], hauts de 1 à 3 km et longs de plusieurs centaines de km. Ils se seraient formés lors du refroidissement de la planète ».
La Photothèque Planétaire d’Orsay explique à partir d’une photo prise lors du deuxième survol par la sonde MESSENGER :
« Les géologues planétaires utilisent le terme latin « rupes » pour définir les escarpements sur Mercure. Des structures comme celle-ci ont été identifiées partout sur la planète. La présence de beaucoup de falaises élevées et étendues suggère une histoire de Mercure différente de celle des autres planètes du Système solaire.
On pense que ces escarpements gigantesques se sont formés quand l’intérieur de Mercure s’est refroidi et la planète entière s’est légèrement contractée, fracturant les surfaces rocheuses et provoquant le chevauchement de blocs de croûte planétaire le long des grandes failles ».
MESSENGER (MErcury Surface, Space ENvironment, GEochemistry and Ranging) est pour rappel une mission de la NASA lancée en 2004, arrivée à destination en 2011. Elle s’est terminée en 2015 avec l’écrasement au sol volontaire de la sonde, à court de carburant. « Pour la première fois de l'histoire, nous avons une bonne connaissance de Mercure qui révèle une planète fascinante dans notre système solaire », affirmait alors John Grunsfeld, directeur des missions scientifiques.
Mercure n’avait été visité que par la sonde Mariner 10 auparavant, dans les années 70. De nombreuses questions restent en suspens, et la relève est attendue avec impatience. Ce sera le cas avec la mission BepiColombo.

Pour terminer sur la composition de Mercure, sachez qu'elle « possède également une atmosphère dynamique très fine, appelée exosphère, résultat du bombardement de la surface par le vent solaire. Elle subit, par conséquent, d'importants écarts entre le jour et la nuit : de –180°C à +430 °C, une amplitude thermique sans équivalent dans le Système solaire ».
La température moyenne à la surface est de 169 °C. Si on comprend aisément les hautes températures par la proximité du Soleil, il est plus étonnant d’arriver à -180 °C, mais l’explication est simple : « En raison de l’inclinaison extrêmement faible de l’axe de la planète, les fonds de cratères météoritiques des pôles ne reçoivent aucune lumière directe du soleil ». Selon plusieurs études, on y trouverait aussi des traces de glace d’eau.
Le champ magnétique de Mercure : « on cherche à comprendre pourquoi »
« On pensait que Mercure était une toute petite planète, que son énergie s’était évacuée il y a très très longtemps et que c’était une planète morte. Je n’aime pas le terme morte, mais une planète inactive. Heureusement que quelqu’un a pensé à mettre un magnétomètre [sur la sonde Mariner 10, ndlr] parce qu’on a détecté un champ magnétique sur Mercure, qui aujourd’hui ne s’explique pas. On ne sait pas pourquoi aujourd’hui on a une dynamo [au sens astrophysique, c’est-à-dire à cause du mouvement du fer liquide dans le noyau, ndlr] sur Mercure », détaille Benoît Langlais durant sa conférence
« Le noyau est gros certes, mais le manteau est très très fin et conduit très bien l’énergie entre le noyau et la surface de Mercure. Donc la dynamo dans Mercure aurait dû s’arrêter il y a très longtemps. Donc aujourd’hui on cherche à comprendre pourquoi ». Des sondes sont d’ailleurs en route dans l’espace pour tenter de percer ce mystère.
L’Observatoire de Paris ajoute que « le champ magnétique de Mercure est beaucoup moins intense que celui de la Terre, ne dépassant pas 1 % de l’intensité du champ magnétique terrestre. L’explication de cette faible valeur et la description détaillée des mécanismes de création de ce champ magnétique de Mercure sont encore à l’étude dans les laboratoires ».
Le CNES rappelle un élément important : « Mercure est la seule planète tellurique autre que la Terre qui possède un champ magnétique dans le système solaire ». De quoi rehausser, s’il en était besoin, son intérêt auprès des scientifiques.
La présence d’un champ magnétique implique plusieurs choses : « En présence d’un champ magnétique intrinsèque, une cavité magnétique se crée dans l’espace, une magnétosphère, et de nombreux phénomènes de transport et d’accélération de particules s’y déroulent », détaille Dominique Delcourt, directeur de recherches CNRS et directeur du Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace (LPC2E).

Et maintenant BepiColombo (arrivée prévue en 2025)
Mercure intéresse donc les scientifiques. L’ESA (Agence spatiale européenne) et la JAXA (Japan Aerospace Exploration Agency) ont ainsi lancé en 2018 – avec 4 ans de retard sur le premier calendrier « plausible » – la mission BepiColombo (en hommage à l’Italien Giuseppe Colombo, surnommé Bepi). Elle est toujours en route et n’arrivera à destination qu’en 2025.
Une mission « attendue depuis 30 ans » par la communauté scientifique française. Pour la petite histoire, elle a survolé la Terre à 12 700 km le 10 avril, en pleine période de confinement. Des photos ont été prises pour l’occasion.
Alors que Mercure se trouve à moins de 90 millions de km de la Terre au plus proche, BepiColombo va parcourir près de 9 milliards de km, mais l'assistance gravitationnelle « permettra d’économiser beaucoup d’énergie/de carburant grâce à l’attraction gravitationnelle ».
En tout, cette technique sera utilisée neuf fois : une autour de la Terre, deux autour de Vénus (octobre 2020 et août 2021) et six autour de Mercure (d’octobre 2021 à janvier 2025). Dans cette vidéo, le CNES explique l’assistance gravitationnelle (qui permet d’accélérer ou de ralentir une sonde suivant les cas) :
BepiColombo comprend deux sondes, chacune sous la supervision d’une des deux agences partenaires du projet :
- MPO (Mercury Planetary Orbiter, développée par les Européens) dont la mission sera « de réaliser une cartographie complète de Mercure, d’étudier sa composition et sa structure interne ». Elle se positionnera sur une orbite basse circulaire polaire (entre 400 et 1 500 km d’altitude)
- MMO (Mercury Magnetospheric Orbiter, développé par les Japonais), renommée Mio par la JAXA, devra « analyser son champ magnétique et sa magnétosphère (la magnétosphère est la zone située autour d'un corps céleste dont les caractéristiques physiques sont régies par le champ magnétique émis par ce dernier) ». La sonde sera sur une orbite elliptique inclinée entre 400 et 12 000 km d’altitude.
« Les données recueillies permettront de mieux comprendre la formation et l’évolution des planètes « internes » (une planète est dite interne lorsqu’elle est proche de son étoile) », explique le CNES, en rappelant que la Terre en est une, en plus de se trouver dans la zone habitable… mais c’est une autre histoire.
De nombreuses réponses sont espérées : « D’où vient Mercure, comment elle s’est formée au cours de l’histoire du Système solaire et surtout comment elle intéragit avec son environnement solaire […]. On va découvrir des choses sur la physique en général, qui vont nous aider à faire progresser nos connaissances ».
« On sait par exemple que l’on détectera du calcium et du sodium, mais on s’attend aussi à observer du magnésium, du potassium et de l’oxygène, dont la présence n’a pas encore été systématiquement confirmée », explique Éric Quemerais, responsable scientifique de l’instrument Phebus au Latmos. L’étude de Mercure devrait aussi permettre d’améliorer notre connaissance des exoplanètes proches de leurs étoiles.
Question bonus, peut-on installer des humains sur Mercure ?
« Si on veut un jour se poser humainement à la surface de Mercure, il faudra se poser à l’endroit où le Soleil se couche ou où il se lève et que la sonde puisse se déplacer avec le Soleil. Car passer de -180 à + 450 °C, personnellement je ne connais pas de matériaux qui peuvent y résister. Rester en plein jour pendant 88 jours, en pleine nuit pendant 88 jours ça doit être déprimant… ça ne serait pas facile », explique Benoit Langlais.
Il en profite pour envoyer un petit tacle à ceux qui veulent coloniser et installer des humains sur Mars : « Je ne vais pas dire que Mars serait plus habitable, car je pense que Mars n’est pas habitable, mais ça serait plus facile de faire quelque chose sur Mars que sur Mercure » conclut-il.