Renaud Demadrille du CEA nous parle des vitres photovoltaïques à double fonction

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Renaud Demadrille du CEA nous parle des vitres photovoltaïques à double fonction
Crédits : CEA

Des chercheurs viennent d’annoncer avoir franchi « un premier pas vers des vitres photovoltaïques photochromiques », dont la teinte peut donc changer en fonction du niveau d’ensoleillement. Renaud Demadrille, dernier auteur de la publication nous explique de quoi il en retourne exactement.

Le CEA s’est récemment fait l’écho d’une étude de chercheurs de l’Institut de recherche interdisciplinaire à Grenoble (Irig) publiée dans la revue Nature Energy : « Photochromic dye-sensitized solar cells with light-driven adjustable optical transmission and power conversion efficiency » (c’est presque aussi poétique qu’incompréhensible). Pour synthétiser l’idée, il est question d’une « nouvelle famille de colorants photochromes adaptés au photovoltaïque ».

Des vitrages photovoltaïques pour les bâtiments et les voitures

D’après le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, ce travail « ouvre la voie à des vitrages photovoltaïques dont la transparence s’adapte à la luminosité, une application intéressante notamment dans le bâtiment ou dans le secteur automobile ». Nous avons donc voulu en apprendre davantage sur cette technologie et ses avancées par rapport aux précédentes découvertes (les colorants pour fabriquer des panneaux solaires n'étant pas nouveaux).

Le sujet est en effet complexe et mérite d’aller au-delà du simple communiqué de presse – trop succinct comme c’est souvent le cas – pour bien comprendre de quoi il s’agit, l’avancement du projet et ses débouchés potentiels.

Renaud Demadrille, chercheur de l’Institut Nanosciences et Cryogénie (Inac) et dernier auteur de la publication – une place signifiant qu’il est le chercheur « sénior » ayant guidé le projet – a répondu à nos questions.

Une cellule de Grätzel, c’est quoi ?

Commençons par une notion qui sera essentielle : que sont les cellules de Grätzel ? La Fondation Internationale Prix Balzan – dont Michael Grätzel était Lauréat en 2009 dans le domaine de la science des matériaux nouveaux –  l’explique ainsi

« Le professeur Grätzel est l’inventeur d’une nouvelle catégorie de cellules solaires destinées à transformer l’énergie du soleil en électricité. Dans une « cellule de Grätzel », les quanta de lumière sont capturés par des colorants qui libèrent des électrons dans un réseau semi-conducteur formé de nanoparticules d’oxydes. Ce processus produit l’énergie électrique […]

Au contraire des cellules au silicone utilisées communément, qui demandent du silicone très purifié et onéreux, les cellules de Grätzel utilisent des matériaux peu coûteux et représentent l’une des approches les plus prometteuses de l’exploitation de l’énergie solaire ».

La nouveauté de cette publication concerne la « nouvelle famille de colorants », le but étant de les utiliser dans des cellules de Grätzel ?

Une des nouveautés concerne effectivement une famille de colorant pour une utilisation en cellule de Grätzel, mais pas uniquement. Ces colorants sont des photochromes, capables de changer de couleur de manière réversible lorsqu’on les expose à la lumière. Ils conservent cette propriété une fois incorporés en cellules.

Il faut rappeler que les cellules de Grätzel peuvent être semi-transparentes, ces photochromes permettent par conséquent de moduler la transmission de la lumière à travers le dispositif et le rendement photovoltaïque.

Cette approche permettrait de concevoir des vitres photovoltaïques avec une double fonction : création de courant électrique et réduction de l’intensité lumineuse dans la pièce.

En 2015, des chercheurs de l’Inac (est-ce la même équipe puisque depuis 2019 l’Inac est englobé dans l’Irig ?) présentaient de « nouveaux colorants purement organiques ». L’annonce de cette semaine concerne également des colorants organiques, avec des améliorations comme un rendement supérieur ? Est-ce la seule différence ? Pouvez-vous détailler davantage les changements entre les colorants de 2015 et ceux de 2020 ?

Oui c’est la même équipe (celle de Renaud Demadrille) qui en 2015 publiait des colorants pour les panneaux solaires de type Grätzel. Ces colorants étaient purement organiques et présentaient des rendements supérieurs à 10 %.

Depuis cette date d’autres équipes ont atteint 14 % en laboratoire avec d’autres colorants. Ces colorants ne changent pas de couleur, une fois en cellule solaire la teinte est fixe. Pour atteindre 14 % les cellules ne sont pas transparentes elles sont opaques. Attention les colorants organiques présentés dans nos travaux aujourd’hui ne sont pas plus efficaces !

Leur rendement est d’environ 4 %, mais ils sont photochromes, c’est une différence majeure et c’est la première fois que ce type de composés est intégré avec succès dans une technologie photovoltaïque. Comme précisé ci-dessus, ils permettent à la cellule solaire semi-transparente de changer de teinte en fonction des conditions d’ensoleillement.

C’est une propriété unique dans le domaine du photovoltaïque (c’est le principe des lunettes de vue Essilor-Transition appliqué aux cellules solaires). 

Vous expliquez que « ces cellules s’assombrissent sous fort éclairement pour produire de l’électricité et s’éclaircissent dès que la lumière du soleil décline ». L’assombrissement est nécessaire pour la production d’électricité ou pour augmenter le rendement ? Est-il possible de « régler » les niveaux d’assombrissement ?

Oui, pour convertir la lumière en électricité il faut que la cellule solaire l'absorbe. Plus elle est sombre plus elle absorbe la lumière et plus efficace elle est pour la convertir en électricité. C’est le principe de base en photovoltaïque.

Lorsque la lumière diminue, le rendement diminue pour la plupart des technologies photovoltaïques, mais les cellules de Grätzel sont un peu particulières de ce point de vue, elles conservent une bonne efficacité même sous de faibles luminosités. Il sera possible avec un peu de travail de régler les niveaux d’assombrissement pour que ces cellules présentent une transmission de la lumière « minimale » en toute circonstance.

Les couleurs peuvent-elles être choisies lors de la production ? Si oui, le choix de la couleur influence-t-il le rendement ? Pouvez-vous me donner plus de détails sur les niveaux de rendement en fonction de la couleur/luminosité.

Les couleurs des cellules peuvent bien sûr être choisies lors de la production. Elles dépendent du colorant photochrome qui y est incorporé. De ce point de vue les possibilités sont immenses, le développement de nouveaux colorants photochromes va permettre de balayer tout le spectre des couleurs et les nuances à l’infinie.

Oui, le choix des colorants (et donc de la couleur) a une influence sur le rendement. Dans l’état actuel des connaissances, il semble que les colorants qui absorbent sur la gamme visible du spectre solaire jusqu’au proche infrarouge seront les plus efficaces. Dans notre étude c’est un colorant vert qui ressort comme étant le plus performant.

Mais nous travaillons sur des colorants dont les teintes grises permettront d’avoir un meilleur confort visuel et une efficacité améliorée.

Vous annoncez qu’une « cellule de surface active de 14 cm² a ainsi produit 32,5 mW après coloration ». Ce rendement reste-t-il du même ordre de grandeur lorsque la taille de la surface augmente ? Qu’en est-il du rendement de 14 % en laboratoire, combien visez-vous en situation réelle ?

En général les rendements diminuent lorsque la taille des cellules augmente. Le résultat de 32,5 mW pour 14 cm² est un premier résultat qui montre le potentiel de ces cellules photochromes.

Nous en sommes encore au stade de la recherche, la fabrication n’a pas été optimisée et nous espérons progresser rapidement dans les années qui viennent. Comme précisé plus haut nos cellules ont un rendement de l’ordre de 4 % en laboratoire, nous avons sur ce sujet mis en place un programme de recherche financé sur 5 ans, grâce à une bourse ERC (European Research Council) et nous espérons au moins doubler ces rendements dans les années à venir. 

Vous parlez d’une durée de vie de « 50 jours sans encapsulation », j’ai du mal à comparer avec d’autres solutions, avez-vous des échelles de comparaison à me préciser ? Avec une protection sur la cellule, quelle durée pensez-vous atteindre ?

Compte tenu de leur caractère photochrome, il n’était pas évident que les colorants développés dans cette étude soient très stables en cellule solaire. Or nous avons montré que les cellules qui les contiennent peuvent se colorer et se décolorer et produire de l’électricité pendant plusieurs mois en ne perdant que peu d’efficacité.

Une fois encore c’est un premier test qui vise à montrer le potentiel applicatif de ces colorants. En utilisant des éléments plus robustes et des protections sur la cellule on pourrait atteindre des stabilités sur plusieurs années.

À titre de comparaison les cellules de Grätzel que nous avons développé dans le passé ont montré des stabilités déjà supérieures à 10 ans.

Avez-vous une idée de calendrier pour la création d’un premier prototype de vitre photovoltaïque photochromique de grande taille (pour les bâtiments, les voitures) ? Même question pour une commercialisation et une production de masse.

Nous avons un projet financé par l’Europe sur le développement de cette technologie sur les cinq prochaines années et nous espérons développer les premiers prototypes de grandes tailles (plusieurs centaines de cm²) d’ici la fin de ce projet.

Il est beaucoup plus difficile de pronostiquer une date pour la commercialisation ou la production de masse, tout dépendra des performances atteintes par ces cellules et de l’intérêt des industriels issus des secteurs du bâtiment ou de l’automobile.

Avez-vous une idée du surcoût et du temps nécessaire avant d’obtenir un retour sur investissement ?

Très difficile de répondre à cette question, c’est une technologie qui en est à ses débuts et encore à un stade de recherche en amont. Je peux simplement dire que du point de vue énergétique, les cellules de Grätzel récupèrent l’équivalent de l’énergie qui a été nécessaire à leur fabrication en moins d’un an. Ce qui les rend très compétitives de ce point de vue.

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