Bouygues Telecom : « nous ne sommes pas magiciens »

Plutôt des mentalistes ?
Mobilité 12 min
Bouygues Telecom : « nous ne sommes pas magiciens »

Au Sénat, Martin Bouygues a réaffirmé son désir de voir les enchères de la 5G reportées, militant pour qu’un nouveau « New Deal » mobile soit mis en place. Le dirigeant en profite pour tacler le gouvernement et demande un « débat public serein et éclairé » sur cette nouvelle technologie. Le cas Huawei et la Bbox Smart TV ont aussi été abordés.

Ce matin, Martin Bouygues (PDG du groupe Bouygues) était l’invité de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat pour parler du déploiement de la 5G et l'aménagement numérique de la France (le replay est disponible ici). Deux sujets d’actualité sur fond d’enchères pour les nouvelles fréquences de 3,5 GHz et de New Deal mobile, tous deux ayant pris du retard en raison de la pandémie de Covid-19 et du confinement.

Martin, Sébastien et Agnès sont sur un bateau…

« On a souhaité vous inviter suite à la publication de votre tribune qui a fait grand bruit », explique Hervé Maurey (président de la Commission) dans son discours d’introduction. Martin Bouygues y affirmait pour rappel que « dans le climat économique d’aujourd’hui, la 5G n’[était] pas la priorité du pays ». Les réactions ont été nombreuses.

Il prônait un report de quelques mois des enchères, arguant que « les usages potentiels véritablement innovants n’arriveront pas avant 2023 ou 2024 ». La réponse du président de l’Arcep avait été rapide : « Il y a un élément dans la méthode qui me paraît étonnant [...] Je n'ai pas reçu de demande de la part de Bouygues Télécom, et je ne dispose d'aucune note d'analyse ».

De son côté, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances Agnès Pannier-Runacher expliquait qu’elle n’était « pas totalement convaincue par les arguments » du PDG de Bouygues et appelait « à ne pas prendre du retard (sur la 5G) ». Il y a quelques jours, elle parlait même « d’une priorité industrielle » avec l’objectif de lancer les enchères dès septembre. C’était du moins la demande faite à l’Arcep. Deux salles, deux ambiances. 

Cette audition était donc attendue, devant permettre à Bouygues Telecom de développer son argumentaire.

Bouygues veut « un débat public serein et éclairé avant de faire des enchères »

Sans surprise, le PDG a été direct : « Manifestement, le gouvernement a décidé que ce débat ne devait pas avoir lieu. J’ai noté qu’avant même que je puisse m’exprimer devant vous aujourd’hui, la secrétaire d’État exprimait dans une  interview samedi que les enchères auraient lieu en septembre et qu’il était hors de question selon elle d’ouvrir une discussion ».

Tous deux s’entendent tout de même sur un point : il revient à l’Arcep de fixer la date des enchères (septembre, décembre ou autre). Martin Bouygues ne formule en revanche aucune réponse à « l’étonnement » de Sébastien Soriano. Ce débat serait d’autant plus important pour le PDG qu'un « nombre croissant de Français expriment au mieux de l’indifférence, et au pire de la défiance » sur la 5G. Deux points cristallisent les inquiétudes : « le développement durable et les effets des ondes ».

Sur le premier point, Olivier Roussat (président du conseil d’administration de Bouygues Telecom et directeur général délégué de Bouygues SA) est monté au créneau pour rappeler que certes « la 5G est quelque chose qui consomme moins que la 4G », mais qu’en même temps « la 5G nous permet des usages beaucoup plus importants ».

En dépit d'une meilleure efficacité énergétique, « quand on mesura la consommation de tous les opérateurs au bout d’un an, on la verra en augmentation ». Sur les effets des ondes, le patron du groupe de BTP cite le rapport préliminaire du début d’année de l’Anses. L’Agence y notait que les études sur les risques étaient trop peu nombreuses sur les bandes des 3,5 GHz et 26 GHz. Elle prévoyait un possible plan B en extrapolant les données de bandes de fréquences proches qui, elles, sont largement documentées. Le rapport définitif est prévu pour le premier trimestre 2021.

Didier Casas (directeur général adjoint en charge des affaires publiques, de la communication, des ressources humaines, des achats et du juridique) a alors pris la parole, non sans malice : « En France, l’État demande d’abord aux opérateurs de payer 2 ou 3 milliards d’euros pour acheter les fréquences et, une fois que tout cela est décidé, il demande a l’agence nationale de sécurité de bien vouloir donner son avis sur l’innocuité des fréquences ».

La saisie de l’Anses par les ministères en charge de la Santé, de l’Environnement et de l’Économie remonte pourtant au 9 février 2019. Pour Bouygues Telecom, le fait que le rapport final n’arrive qu’après les enchères semble un bon moyen d’appuyer sa demande de report. Martin Bouygues y voit d’ailleurs la nécessité d’en « parler dans un débat public serein et éclairé avant de faire des enchères ».

La 5G avant 2023 ? Un « intérêt pour les opérateurs » seulement... vraiment ?

Roussat (comme Bouygues) affirme que « l’essentiel des gens utilisent leur portable d’une manière pour laquelle il n’y aura aucune évolution entre maintenant et 2023 ». La « vraie évolution » de la 5G sera d’abord d’« écouler plus facilement le trafic avec un prix inférieur de moitié ». Bref, elle n’aurait dans un premier temps qu’un « intérêt pour les opérateurs ».

Un argumentaire qu'il sera intéressant de comparer à celui déployé par les équipes commerciales d'ici quelques mois... Il suffit d'ailleurs de regarder ce qui est déjà en ligne pour voir l'ampleur du double-discours : 

« Avec une connexion encore plus fluide, la 5G va donner de l'oxygène au réseau et permettre de surfer rapidement même dans des zones à forte affluence en évitant des effets de saturation ; c’est la raison pour laquelle le déploiement de la 5G va démarrer par les grandes villes.

La 4G et la 5G sont deux réseaux complémentaires. Cependant, la 5G apportera un débit plus rapide et plus puissant que la 4G (jusqu’à 10 fois supérieur, selon l’ARCEP) mais aussi une réactivité sans précédent qui permettra, notamment, une réduction du temps de réponse (appelée la latence). »

Retarder les enchères jusqu'à fin 2020 ou début 2021 n’aurait pas d’incidence sur l’échéance de 2023. Oliver Roussat dispose d'ailleurs d’un argument « massue » pour tenter de clôturer le débat : les iPhone ne sont pas encore compatibles avec la 5G et les nouvelles fréquences. Pourtant, d'autres sont déjà prêts.

 

D'ailleurs, Bouygues Télécom, en vend déjà, comme d'autres opérateurs.

  • 5G Argumentaire Bouygues Télécom
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Les autorisations de l’ANSSI se font toujours attendre

Plusieurs questions des sénateurs portaient sur les autorisations de l’ANSSI que doivent obtenir les opérateurs avant de déployer du matériel pour la 5G (quel que soit le fabricant, Huawei n’est pas le seul équipementier concerné).

Didier Casas affirme avoir envoyé les « demandes d’autorisation pour l’intégralité des équipementiers » en décembre, mais « les réponses de l’ANSSI ne sont pas arrivées ». Le délai légal n’est pas encore écoulé et sera certainement prolongé « du fait du confinement », ajoute-t-il.  L’équipementier chinois est utilisé sur son réseau (sur la partie radio, pas le cœur), comme chez SFR. Free et Orange ont fait des choix différents.

En décembre, Stéphane Richard affirmait que la « part de marché [de Huawei] dans les équipements de réseau dans le monde est de l’ordre de plus de 30 %. Elle est plus importante sur l’ensemble de l’Europe […] et nulle aux États-Unis (ça n’étonnera personne), ce qui explique au passage pourquoi les Américains sont très virulents contre les Chinois : le fait de bannir les Chinois ne les pénalise pas  ».

Didier Casas nuance et ajoute qu’une « myriade d’opérateurs locaux sont truffés d’équipements chinois ». Le gouvernement de Donald Trump a pris ses dispositions : « les États-Unis ont mis en place un fond d’un milliard de dollars. Ça nous paraît être une logique assez raisonnable (je ne me prononce pas sur les montants) ».

Casas appuie son propos avec la jurisprudence La Fleurette, demandant un dédommagement si Huawei était interdit.

Selon Bouygues Telecom, Huawei surclasse ses concurrents

Bouygues Telecom assure la publicité de Huawei et ses « 1 à 1,5 an d’avance sur Ericsson et 2 ans sur Nokia », notamment car les équipes chinoises de recherche et de développement sont plus nombreuses.

Le choix de Huawei n’est ainsi pas celui du « low cost » pour le FAI mais d'« un équipementier cher. Nokia est notoirement moins cher, car notoirement moins bon que les deux autres ». Le Finlandais appréciera. Le principal problème étant que changer d’équipementier pour la 5G oblige aussi à revoir le matériel des anciennes générations de réseau (2G, 3G et 4G).

Le travail nécessaire et les coûts sont donc importants : « Si Ericson était possible à côté de Hauwei, il n’y aurait pas de question », explique le FAI.

Bouygues veut un New Deal 2 

L’autre gros sujet du jour concernait le déploiement des réseaux 3G/4G dans les zones blanches… qui rejoint la question de la date des enchères des fréquences de la 5G dans l’argumentaire de Bouygues Telecom. Sur ce point précis, Patrick Chaize est d’ailleurs en total désaccord, car, pour lui, « 4G et 5G doivent être dissociées ».

Selon Martin Bouygues, le « New Deal est utile et efficace, mais il reste à faire […] il faut donc a mon sens aller plus loin et plus vite ». Didier Casas confirme et ajoute que cela répondrait à une demande des territoires : « dans un certain nombre de zones, les élus remontent que le nombre de sites [prévus dans le New Deal, ndlr] n’est clairement pas suffisant ».

Martin Bouygues souhaite donc une version 2.0 de cet accord – dont les détails n’ont jamais été dévoilés, malgré plusieurs demandes (dont les nôtres) – où « les opérateurs construisent 1 500 ou 2 000 sites supplémentaires dans les prochaines années, en plus de ceux du New Deal ». Le tout, « sous l’égide de l’Arcep ».

« C’est la raison pour laquelle nous proposons de repousser les enchères de quelques mois, pour avoir le temps de renégocier un accord global et les quelques centaines de millions nécessaires à cet investissement nouveau seraient évidemment à prendre en considération sur le montant des redevances  payé au titre des fréquences 5G. C’est un système simple, efficace, financé qui se propose de répondre à la demande des territoires.

Il doit être clair pour tout le monde que, si par hasard, il venait à l’idée des pouvoirs publics – après les enchères – de demander aux opérateurs de faire un effort supplémentaire pour la couverture des territoires dans le cadre d’un nouveau programme zone blanche, supposant des investissements des opérateurs, notre réponse sera forcément assez réservée.

Nous saurons alors rappeler à la ministre ou à son successeur qu’il y avait un levier pour améliorer efficacement les choses et le financer ».

« Nous avons pris du retard, c’est indéniable » 

Interrogé par des députés sur le rythme de déploiement actuel dans le cadre du New Deal, Oliver Roussat fait un point de la situation. « Le 27 juin, nous livrons 70 sites. Dans les 70 sites, il y en a 30 qui vont tourner sur des groupes électrogènes parce qu’Enedis n’a pu nous mettre a disposition l’alimentation électrique ». 

« En termes d’impact environnemental et de consommation d’énergie, on a fait un peu mieux… même si ça ne gêne pas grand monde autour, car ils sont dans des zones peu habitées ». Bouygues Telecom devait livrer 101 sites (ou 102, selon les intervenants) au 27 juin. Il en reste donc 31 en souffrance qui seront « livrés dans les trois mois qui viennent ».

À chaque fois, « nous connaissons les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été capables de réaliser l’installation à temps ». Le confinement permet a priori aux opérateurs de repousser de près de trois mois les échéances (si c’est justifié). Sur la 4G : « notre engagement était à 75 %, il passera à 80 % et on espère arriver à 85 % ».

Oliver Roussat se compare ensuite à Orange, comme pour justifier la situation : « Bouygues Telecom est une société qui fait 7 000 personnes, Orange c’est 80 000 personnes en France. Quand vous avez 7 000 personnes et que vous avez le même métier que celui d’une entreprise qui se fait avec 80 000 personnes, sachez qu’on sous-traite un certain nombre de choses ». Or, pendant le confinement, un « certain nombre d’entreprises n’ont pas travaillé ».

« Nous avons pris du retard, c’est indéniable. Nous rattraperons une partie de ce retard […] À l’heure actuelle, nous ne sommes toujours pas revenus à la normale ». En somme, « nous ne sommes pas magiciens » explique Olivier Roussat pour justifier la situation. Dans tous les cas, « Bouygues Telecom n’était pas en retard sur le New Deal avant le déclenchement du Covid-19 », affirme Didier Casas.

One more thing : Bbox Smart TV et « arrêter la télévision »

« On a été un des premiers opérateurs en France, et l’un des premiers au monde, à utiliser les TV tels qu’ils sont et à mettre un morceau logiciel qui nous évite de rajouter la box […] Ce sujet nous permet de régler le problème de la consommation de la box puisqu’elle n’existe plus ». Tout du moins le boîtier multimédia, celle en charge du réseau étant toujours là.

La Bbox Smart TV permet aussi de régler « le problème de la mise en veille »… à condition d’éteindre sa télévision. « Après [les Français] peuvent ne pas vouloir arrêter la télévision, mais ça je n'y peux pas grand-chose. C’est vraiment un usage et il faudra qu’on éduque nos concitoyens pour être capables de le faire ». 

Une déclaration surprenante de la part du président du Conseil d’Administration de Bouygues Telecom qui est aussi directeur général délégué de Bouygues SA... dont TF1 est une filiale.

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