Au sein de la commission, le président et conseiller d’État Jean Musitelli a multiplié les arguments pour ne pas transformer l’absence récurrente des représentants des consommateurs en sèche démission. Il a refusé du coup de suspendre les travaux. Récit de ce juridisme gesticulatoire.
L’infection bactérienne frôle la gangrène dans cette instance rattachée au ministère de la Culture. Inutile de rappeler que celle-ci est chargée d’établir assiette et taux de la redevance pour copie privée, payée pour compenser la possibilité de réaliser des copies d’œuvres. Tout aussi surabondant de mentionner sa composition : 12 représentants des ayants droit, 6 représentants des consommateurs et 6 autres des industriels.
Pour comprendre la plaie actuelle, il convient surtout de se concentrer sur le collège des consommateurs. Comme déjà exposé, plusieurs de ses membres pratiquent depuis de nombreux mois la politique de la chaise vide. Incompétence ? Mauvaise volonté ? Pas vraiment. « Les organisations représentant les consommateurs ne considèrent pas la copie privée comme une priorité, car ils n’ont pas le sentiment de peser sur les décisions » exposait sans nuance l’une d’elles, Familles Rurales, en avril 2019.
Chantal Jannet, sa représentante, nous faisait part de son « énorme lassitude » face à des travaux « chronophages ». « Cela fait neuf ans que j’y suis et je trouve qu’on ne sert à rien. Les associations sont de plus en plus des cautions et on a de moins en moins de possibilités d’intervenir sur le fond. Nous sommes par ailleurs très demandés dans de multiples commissions et autant choisir celle où notre présence peut apporter un plus ».
En somme, aigreurs et amertumes de se retrouver dans un organisme où leur présence semble aussi accessoire qu’inutile. « À titre personnel, nous confiait également le président de l’Adeic, je pense que les associations de consommateurs sont un alibi, une caution morale où tout se passe entre les deux structures prépondérantes, avec des négociations pour savoir qui va empocher le plus ».
Des représentants absents depuis plusieurs mois
Le 25 février dernier, cette question de l’absence répétée de plusieurs consommateurs a été abordée. Et pour cause, selon l’article R.311-6 du Code de la propriété intellectuelle, « est déclaré démissionnaire d’office par le président tout membre qui n’a pas participé sans motif valable à trois séances consécutives de la commission. »
En principe, le couperet aurait donc dû tomber depuis longtemps, afin que les ministères désignent de nouveaux membres. Ce jour, Jean Musitelli, président de la commission, a lui-même constaté que « cela fait bien plus de trois séances consécutives qu’aucune représentation de ces organisations n’est assurée au sein de la commission ». Et celui-ci de pointer, au bout de l’index, les associations Familles Rurales et la CNAFC. « La dernière participation de Madame Jannet (Familles Rurales) remonte au mois de juin 2019 et celle de Monsieur du Chatelier (CNAFC), au mois d’octobre 2019 ».
Un constat un peu court… Durant la séance, Stella Morabito, la représentante de l’Afnum, au sein des industriels, lui a rappelé l’absence de deux autres organisations de consommateurs (ADEIC et CSF), bien « plus ancienne que juin 2019 ». C’est simple, selon ses relevés, « elles n’ont jamais siégé en Commission depuis l’arrêté de nomination du 28 novembre 2018 ». Selon Jean Musitelli toutefois, celles-ci auraient « motivé leurs absences » voire auraient « répondu aux relances adressées par le secrétariat ou par lui-même », évitant la sèche application du Code de la propriété intellectuelle, au titre des « motifs valables » prévu par les textes.
L'association Truc-Bidule et M. Michu
En attendant, le président a promis d'informer « les associations Familles Rurales et la CNAFC que leurs représentants (titulaires et suppléants) sont déclarés démissionnaires d’office de la commission ». L'intéressé a profité de l'occasion pour donner sa grille de lecture de la disposition couperet, ce fameux article R.311-6 du Code de la propriété intellectuelle : la démission d’office des membres trop souvent absents concerne non les organismes, mais les seules personnes physiques désignées par eux. Nuance de taille !
En effet, argumente-t-il, « à la lecture des autres dispositions du Code de la propriété intellectuelle, il apparaît que les membres sont les personnes physiques et non les organisations. Ainsi, l’article R.311-2 alinéa 3 fait référence aux « organisations appelées à désigner les membres de la commission [...] »
Dit autrement, et peut-être plus clairement, si l’association « Truc-Bidule » nomme « M. Michu » comme représentant, l’absence de M. Michu durant plus de trois réunions doit conduire à la démission de cette personne physique, jamais de l’association. Selon la doctrine Musitelli, il revient en effet à cette dernière de prendre les mesures qui s’imposent pour désigner un autre représentant bien plus assidu. Et même si cette absence s’étale sur des années, l’association reste et restera en place. Indéboulonnable.
Dans son argumentaire, le même conseiller d’État a malheureusement oublié de rappeler les arrêtés de nomination des organisations appelées à siéger : « Par arrêté du ministre de l’Économie et des Finances et du ministre de la Culture en date du 28 novembre 2018, sont nommés membres de la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle… ». Et le texte de se poursuivre par la liste des 24 organisations de la Commission !
Un équilibre des forces en faveur des ayants droit
Une certitude. La conséquence de la grille de lecture, que s’estime contraint de respecter Jean Musitelli, est celle d’un équilibre des forces totalement bancal. Au sein de l’instance, l’avantage des 12 ayants droit est encore plus lourd, eux toujours présents pour déterminer les sommes qu’ils vont collecter. Pourquoi ? Tout simplement parce que « les décisions sont prises à la majorité des membres présents » rappelle le règlement intérieur.
C’est d'ailleurs ce que soulignent les industriels dans un courrier : « cette situation octroie une majorité de fait au collège des ayants droit ce qui lui permet de faire avancer les travaux de la commission à un rythme jugé trop précipité par les membres de nos associations professionnelles, notamment en ce qui concerne l’assujettissement de nouveaux supports de stockage, tels les ordinateurs et les supports de stockage internes ».
La Commission Copie privée a engagé en effet un chantier aux conséquences sonnantes et trébuchantes pour les ayants droit : l’extension de la redevance aux disques durs nus et autres ordinateurs. Juridiquement, ce n’est à ce jour qu’une éventualité, mais les bénéficiaires de ces flux financiers ne se sont pas privés de chiffrer le rendement attendu, à l’oreille de la Cour des comptes, dès 2019. Rendement de 20 à 25 millions d'euros, qui devrait exploser avec les nécessités nées du télétravail, dans le contexte de crise sanitaire.
Dans leur courrier, l’Afnum, le Secimavi et la Fédération Française des Télécoms demandent en tout cas « formellement au Président de la Commission que, dans le respect de la loi, soient déclarées démissionnaires les organisations absentes et que des solutions soient trouvées afin que l’ensemble des membres de la commission puisse siéger et voter normalement, dans le respect du principe de paritarisme voulu par le législateur ».
« Il n’y a aucun motif juridique d’interrompre les travaux de la commission » a conclu en séance le président, lequel fut accusé en 2019, par le membre Familles Rurales, de voter un peu trop souvent en faveur des ayants droit.