Covid-19 : le lobby de la vidéosurveillance déconseille les caméras thermiques

...ainsi que ce que montrent les reportages TV
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Covid-19 : le lobby de la vidéosurveillance déconseille les caméras thermiques

Suivant l'avis du Haut conseil à la santé publique, l'association nationale de la vidéoprotection (AN2V, dont les industriels pourraient pourtant profiter de la pandémie pour commercialiser des caméras thermiques), vient d'émettre un « avis  défavorable sauf exception précise » à la télé-mesure de la température en matière de contrôle d'accès.

Fin avril, le Haut conseil à la santé publique (HCSP), saisi par la Direction générale de la santé, avait recommandé de ne pas mettre en place un dépistage du Covid-19 dans la population, par prise de température, pour un contrôle d’accès à des structures, secteurs ou moyens de transport. Il estimait en effet qu'elle « n’apparaît pas comme une mesure fiable pour repérer les personnes infectées par le virus SARS-CoV-2 et en éviter sa diffusion ». 

Après analyse des données disponibles notamment épidémiologiques, des textes juridiques, le HCSP avait en effet conclu que :

  • L’infection à SARS-CoV-2 peut être asymptomatique ou paucisymptomatique, et la fièvre n’est pas toujours présente chez les malades.
  • Le portage viral peut débuter jusqu’à deux jours avant le début des signes cliniques.
  • Ces situations sont associées à un risque accru de diffusion du virus en l’absence de la prise de mesures barrière.
  • La fièvre peut être masquée voire dissimulée par la prise d’antipyrétiques.
  • La mesure de la température est une donnée de santé à caractère personnel protégée à accès limité et de stigmatisation potentielle.

Le HCSP relevait en outre que « dans un cluster de personnes âgées en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), la fièvre n’a été constatée que chez 4,3% des cas confirmés », et que « dans une série de 80 patients infectés, 15% seulement des patients étaient fébriles à l’admission ».

De plus, une évaluation, par modélisation, de l’efficacité de la mesure de la température dans un aéroport avait indiqué que « 46% des voyageurs infectés ne seraient pas détectés ». 

« Au total, concluait le HSCP, la prise de température pour un dépistage de Covid-19 dans la population serait faussement rassurante, le risque non négligeable étant de ne pas repérer des personnes infectées, parce qu’elles sont asymptomatiques ou présymptomatiques, parce qu’elles ont des signes mineurs de la maladie peu ou non fébriles, ou parce qu’elles ont consommé des antipyrétiques ».

Le HCSP recommandait également d'informer la population sur le manque de fiabilité de la mesure systématique de la température pour le repérage des cas de Covid-19, tout en reconnaissant que « ces recommandations pourraient trouver leur limite dans l’application du règlement sanitaire international (RSI) et des pratiques qui pourraient être imposées notamment dans les aéroports assurant l'accueil de vols internationaux en provenance de pays à fort risque de Covid-19 ».

Des « clients déçus ou mécontents, trop de faux positifs... »

L'association nationale de la vidéoprotection (AN2V), dont les industriels pourraient pourtant profiter de la pandémie pour commercialiser des caméras thermiques, vient elle aussi d'émettre un « avis défavorable sauf exception précise » au déploiement de telles caméras de télémesure de la température.

« La problématique de ces caméras qui cherchent à repérer des personnes ayant éventuellement des symptômes de maladie a soulevé bien des polémiques ces derniers jours », précise l'association. Elle a donc décidé de constituer un groupe de travail réunissant (à distance) plus de cinquante dirigeants et collaborateurs de sociétés de la filière des industries de sécurité et sûreté sur ce thème.

Après trois semaines de travaux et de nombreuses réunions en ligne, l’AN2V a transmis ce jeudi 7 mai aux autorités de la filière son rapport d’étude, et mis en ligne le mindmap de ses réflexions, de sorte d'aider les gestionnaires à pouvoir « prendre sa décision ».

coronavirus an2v
Crédits : an2v

 « La problématique de ces caméras de détection de température (et de port de masque) qui cherchent à repérer des personnes ayant éventuellement des symptômes de maladie est assez complexe tant elle met de nombreux facteurs en relation (stratégique, organisationnel, technique, juridique, financier, éthique) », note l'AN2V. Elle relève synthétiquement que:

  • La mise en place et le réglage de ces dispositifs sont complexes et nécessites des capteurs de qualité ainsi qu'un réglage fin sous peine de fausser définitivement les résultats,
  • L'investissement pour un système réellement performant reste substantiel,
  • La fiabilité de l'indicateur « température » est très limitée dans le cadre du dépistage de personnes atteintes du virus COVID-19,
  • Le respect de la donnée personnelle est délicat à assurer, notamment le consentement préalable impliquant de ne pas mesurer les personnes qui ne le souhaitent pas,
  • L'accès à des locaux à protéger n'est pas du ressort des gestionnaires de lieux recevant du public ou de leurs préposés agents de sécurité,
  • Une décision concernant un salarié présumé fiévreux relève exclusivement de la médecine du travail, et n'est pas applicable sur le terrain immédiatement,
  • L'installation de ces dispositifs a une valeur psychologique et peut contribuer à rassurer les collaborateurs et visiteurs, mais attention à ne pas trop rassurer puisqu'une température normale à 37°C n'est pas du tout synonyme de « non-contaminant ».

Dans son mindmap, l'AN2V listes plusieurs limites à ces technologies : « attention au solutionnisme technologique », une température à 38,4°C n'étant qu'« un élément parmi des centaines d'autres à considérer ». Elle évoque également des « clients déçus ou mécontents, trop de faux positifs... », et aimerait « comprendre pourquoi les offres varient de moins de 3k€ à plus de 15k€ ! ». L'AN2V considère par ailleurs qu'il serait « inimaginable de refuser l’accès à un Centre Commercial à une personne qui a 38°C ».

« Le ratio de personne réellement écartée sera sans doute inférieur à 20%, voire <5% »

Cherchant à estimer combien seraient détectables, « sur 100 personnes contaminantes », l'AN2V déplore une « dégringolade » du potentiel d'identification des personnes « détectables », passant progressivement de 60 à 30, 20 voire moins de 10 :

  • De 30 à 60% des malades seraient pré- ou asymptomatiques : 100 ==> 60 ? 
  • Du fait des délais d'incubation, près de la moitié des contaminants ne pourraient être détectés : 60 ==> 30 ?
  • Une prise de doliprane pourrait faire baisser la fièvre : 30 ==> 20 ?
  • Imprécision de la mesure (« dispositif non performant, capuche, tête tournée, caméra mal maintenue... ») : 20 ==> 10 ?
coronavirus AN2V
Crédits : AN2V

En conclusion, « le ratio de personne réellement écartée sera sans doute inférieur à 20%, certains pensent <5% », et que « tout dépend du sérieux technologique et humain au quotidien (une personne accueillant un salarié à l'entrée d'un Ehpad sera assurément [plus] prise calmement au sérieux qu'un passant entrant dans un centre commercial avec "un peu de fièvre..." ».

L'AN2V met en garde contre « ce que l'on a tendance à nous montrer en reportage TV »

D'un point de vue juridique, l'AN2V relevait notamment que le contrôle de la température était « déconseillé » par le Protocole national de déconfinement pour les entreprises du ministère du travail, et qu'il n'avait « a fortiori pas un caractère obligatoire et (que) le salarié est en droit de le refuser ». De plus, « si l’employeur, devant ce refus, ne laisse pas le salarié accéder à son poste, il peut être tenu de lui verser le salaire correspondant à la journée de travail perdue ».

Covid-19 AN2V
Crédits : AN2V

Seuls les « sites critiques » tels que les Ehpad (et « pas ce que l'on a tendance à nous montrer en reportage TV », précise l'AN2V), ainsi que les aéroports et les grosses entreprises (« exemple 500 salariés ») faisant l'objet de « gros flux de circulation » pourraient dès lors, à ses yeux, faire l'objet d'un « avis favorable sauf exception ».

Un décret paru ce 11 mai autorise à ce titre les transporteurs aériens à « refuser l'embarquement aux passagers qui ont refusé de se soumettre à un contrôle de température ».

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