Datakalab, « une start-up dans la Brain Tech qui a pour ambition de transformer le monde du marketing avec la prise en compte des émotions », a développé une technologie de détection des masques dans l’espace public. La ville de Cannes l’a déjà adoptée. L'entreprise va bientôt enrichir ses caméras pour mesurer cette fois la distanciation sociale.
Des caméras éparpillées dans des lieux publics pour détecter l’usage ou non de masques. Voilà le projet en place depuis le 26 avril sur trois marchés de la ville de Cannes (Forville, Gambetta, La Bocca). Et d’ici mercredi, c’est même dans les bus locaux (Palmbus) que cette technologie sera embarquée.
La solution est couplée à un système d’alerte. « Un SMS ou un email est envoyé aux employés municipaux chargés de la sécurité du lieu pour les informer de l’évolution du port de masque tout au long de la journée ». Une fois ces informations en main, « les équipes peuvent aller au-devant des Cannois pour une action pédagogique, bienveillante et citoyenne, les incitant au port du masque ou, le cas échéant, en distribuant des masques à celles et ceux qui n’en ont pas »
Cannes fait partie des communes ayant justement distribué des masques à la population. L’enjeu maintenant est d’évaluer les pratiques des citoyens à une quinzaine de jours de la sortie attendue du confinement.
La société assure respecter le RGPD sur le bout des ongles. Les données sont anonymisées, « les images sont traitées en local en 100 ms et on ne stocke aucune image » indique Xavier Fischer, directeur de Datakalab dans un communiqué.
Next INpact a contacté le numéro un de l’entreprise, pour l’interroger déjà sur le cadre réglementaire de ces dispositifs. « À chaque fois que nous faisons un déploiement, nous réalisons une analyse d’impact » nous indique Xavier Fischer, CEO de la startup de 14 personnes. « Nous travaillons avec le cabinet de Gaulle Fleurance & Associés depuis le démarrage ». Cabinet qui a pu échanger avec la CNIL sur ce système. « Il a posé toutes les questions qui étaient importantes à l’autorité ».
« Le flux n’est jamais stocké. Tout est fait en RAM »
Chez Emotient, société spécialisée dans l'intelligence artificielle et l'analyse des expressions faciales rachetée par Apple en 2016, Xavier Fisher travaillait notamment sur les réseaux de neurones convolutionnels pour analyser des vidéos. Depuis, il a fondé cette startup avec son frère Lucas Fisher et Franck Tapiro, publicitaire français qui avait notamment travaillé avec Nicolas Sarkozy.
Comment fonctionne ce produit ? « On installe des petites caméras. Derrière, des CPU traitent en 100ms le flux vidéo pour le transformer en données. Le flux n’est jamais stocké. Tout est fait en RAM et on ne conserve que des bases de données agrégées, typiquement des données de comptage et de pourcentage de port du masque ».
Ces données sont ensuite envoyées « uniquement lorsqu’on a plus de 10 personnes qui sont passées. Pourquoi ? Car si vous sortez de chez vous à 10h42 et 12 secondes tous les matins et qu’on a une caméra juste en face, le danger est qu’on pourrait dire qu’à 10h42 et 12 secondes, c’est la même personne, c’est vous. Et cela deviendrait une donnée personnelle ».
Selon le site officiel, « si une personne ne souhaite pas participer à notre analyse, elle peut faire "non" de la tête lorsqu'elle se trouve face à une caméra ». L’idée est ici de respecter le droit d’opposition (voir la capture du site 20minutes). « On veut respecter le RGPD point par point. On parle de droit d’opposition, mais encore une fois, nous ne stockons aucune donnée personnelle » ajoute Xavier Fisher.

RGPD et intérêt légitime
Le traitement repose non sur le consentement des personnes passant devant le spectre de la caméra, mais sur l’intérêt légitime, autre porte d’entrée pour légaliser ces opérations. « Et si vous m’appelez demain pour me dire : "je suis passé devant une de vos caméras à Cannes, supprimez les données qui me concernent", je ne pourrais pas parce que je ne sais pas qui vous êtes ».
Outre ces garde-fous, « tout est sécurisé, encrypté, etc. de façon à ce qu’on ne puisse pas prendre la main sur notre système. Même nous, on n’a pas accès aux caméras. Le seul moment où on peut voir l’image, c’est lors de l’installation du dispositif. On reçoit une image sur notre serveur pour valider que la personne l’a bien mise en place. Et avant même d’envoyer ce screenshot sur le serveur, on floute les visages ».
La ville de Cannes n’est pas la première. Selon le site officiel, d’autres acteurs ont adopté cette solution comme ExterionMedia pour la « détection des masques via les panneaux d'affichage digitaux OOH présents dans 100 vitrines de magasins parisiens ». L’algorithme a ainsi déjà été implanté derrière ces panneaux.
Des cameras bientôt capables de mesurer la distanciation sociale
De l’aveu même du CEO, la société travaille à d’autres solutions, en particulier la distanciation sociale. Une solution va même être déployée dès la fin de semaine. L’idée ? « Typiquement, dans les bus, on pourra voir à quelle heure de la journée une distance moyenne a été plus ou moins élevée pour augmenter ou diminuer le nombre de bus en fonction de la fréquentation. C’est bien de dire qu’il faut un mètre entre tout le monde, mais si 1 000 personnes doivent prendre ce moyen de transport pour aller au travail, et qu’il n’y a pas assez de ligne, comment faire ? »
« Dans les transports, nous avons beaucoup de sollicitations » admet Xavier Fisher. D’autres villes que Cannes ont aussi marqué leur intérêt. « Nous ne pouvons pas trop en parler pour l’instant, c’est sous NDA [accord de non-divulgation, ndlr] ». Datakalab est prête à déployer sa solution même auprès des acteurs qui ne disposent pas des ressources suffisantes. « On a des discussions avec des hôpitaux et n’avons aucun problème à fournir des algorithmes gratuitement dans le cas où il n’y pas de budget ».
La société pense que sa solution pourra aider à gérer la deuxième vague, celle attendue après le déconfinement, toujours dans l’optique de gérer la distribution de masques.
La finalité ? Une analyse statistique, pas de « flicage »
La finalité du traitement est avant tout statistique, mais le numéro un de la startup reconnaît que des acteurs voudraient coupler à ces solutions de détection des mesures plus draconiennes (comme des interdictions d’accès). « Il y en a qui veulent, mais nous, on ne fera pas cela. Il y a le RGPD et nous, ce qu’on veut faire éthiquement. On sera toujours dans la statistique (…) notre but n’est pas de faire du flicage ».
Les données envoyées à la ville de Cannes « sont des batchs de datas sur au moins 15 minutes ou une heure. On veut contrôler que l’usage n’est pas du flicage » insiste le chef de la jeune entreprise. « On interdit clairement ce genre de pratiques dans les conditions générales de vente ».
Sur un terrain éthique, « bien entendu cela fait peur à tout le monde, car personne n’a pris le temps d’évangéliser le sujet. Ce n’est pas la techno qui est dangereuse, mais l’homme derrière la machine et la façon dont il l’utilise » assure le CEO. « On essaye de beaucoup parler aux médias, sinon ce n’est pas contrôlé et on dit que notre technologie est Big Brother ».
« Il n’y a pas de reconnaissance faciale. On fait simplement du comptage. C’est éphémère. On n'a de base de données sur personne. Pour vous donner un exemple, si vous passez deux fois devant notre caméra, vous allez être compté deux fois ».
« Il ne faut pas avoir peur »
Comme l’avait relevé la CNIL lors de l’examen des micros placés dans les espaces publics de la ville de Saint-Étienne, des systèmes de surveillance peuvent avoir des effets sur les comportements psychosociaux, à savoir qu’un individu ne déambulera pas de la même façon s’il se sait sous un œil ou une oreille électronique.
« Il ne faut pas avoir peur », insiste encore Xavier Fisher qui se revendique des valeurs du RGPD. « C’est comme un détecteur de mouvement ou un outil de comptage par clics à l’entrée d’une salle de concert. Pour donner un parallèle, tous les jours on a des chiffres sur les naissances en France avec le pourcentage de filles et de garçons. Ce n’est pas pour autant qu’on a accès au numéro de sécurité sociale des parents. Nous, on fait des statistiques, des pourcentages ».