Disparition de l’antimatière : les (anti)neutrinos sur le banc des accusés

Attention, l’antimoine est un piège !
Tech 6 min
Disparition de l’antimatière : les (anti)neutrinos sur le banc des accusés
Crédits : NiPlot/iStock

En physique, une question existentielle demeure insoluble : où est passée l’antimatière créée durant le Big Bang et pourquoi existe-t-il autant de matière dans l’Univers ? Selon l’expérience T2K, les (anti)neutrinos sont une piste prometteuse, qui demande confirmation. Deux nouvelles expériences se préparent au Japon et aux États-Unis.

Au début de l’Univers, il y a eu un Boom, un Grand Boom même que l’on connaît sous le nom de Big Bang et qui s’est déroulé il y a 13,8 milliards d’années (inutile de demander ce qu’il s’est passé avant). Aux premiers instants de la création de notre Univers, de la matière et de l’antimatière ont été « créées en quantités parfaitement égales », explique le CEA. Problème – façon de parler – « si nous vivons dans un monde de matière , c’est parce que celle-ci a très vite pris le dessus sur l’antimatière ».

Le CERN aussi y va de sa petite explication : « Au cours des premières fractions de seconde qui ont suivi le Big Bang, l’Univers dense et chaud était en effervescence : des paires particule-antiparticule ne cessaient d'apparaître et de disparaître. Si la matière et l’antimatière sont créées et détruites ensemble, l'Univers ne devrait contenir que de l'énergie résiduelle. Néanmoins, une minuscule partie de la matière – environ une particule sur un milliard – a réussi à survivre ». Comme nous pouvons le constater en regardant autour de nous, la matière a en effet pris le pas sur l’antimatière. 

La question que se posent donc depuis des années les scientifiques est de savoir pourquoi, et où est passée toute cette antimatière. Une nouvelle piste est avancée par une publication scientifique faisant la couverture de Nature (une version de prépublication est aussi disponible sur arXiv) : une différence de comportement dans les neutrinos et antineutrinos. Pas de panique, on vous explique de quoi il s’agit.

La matière a « gagné », et heureusement ! Mais pourquoi ?

Tout d’abord, un rappel général : « La matière et l’antimatière sont formées d’espèces complètement symétriques : à chaque particule élémentaire de matière correspond son image en antimatière ». Particules et antiparticules partagent de nombreuses propriétés physiques, comme leur masse et leur durée de vie, mais elles diffèrent sur leur charge électrique (et certaines de leurs propriétés quantiques sont inversées). 

Aux électrons s’opposent donc les positrons (ou antiélectrons), aux protons les antiprotons, aux neutrons les antineutrons et, cas particulier, aux photons les photons… car oui, le photon est sa propre antiparticule, cela fait partie des joies de la physique quantique.

Pour rappel, dans le monde qui nous entoure, chaque atome de matière est constitué d’un noyau, comprenant des protons et des neutrons (sauf l’hydrogène qui n'a pas de neutron), et d’un nuage d’électrons. Les atomes sont la base de la matière ordinaire présente dans l'Univers.

Créées en quantités égales et annihiliées en cas de contact l’une avec l’autre, l’Univers  devrait donc être vide de matière et ne contenir que de l’énergie. Fort heureusement pour nous, ce n’est pas le cas. « Pour expliquer ce déséquilibre, les physiciens cherchent des asymétries dans le comportement des particules de matière et d'antimatière, asymétries qu’ils nomment violations de symétrie CP ».

Le CEA rappelle que depuis « plusieurs décennies », des défauts de symétrie ont été observés entre les quarks et les antiquarks, mais  « l’amplitude de cette violation n’est pas assez grande pour expliquer la disparition de l’antimatière dans l’Univers ».

Les quarks sont une des deux familles de particules (avec les leptons) constituant l’ensemble des particules de matières : l’Univers est donc fait de « douze constituants de base appelés particules fondamentales », explique le CERN. 

big bang
Crédits : pixelparticle/iStock

Une piste « prometteuse » : une asymétrie entre neutrinos et antineutrinos

Au Japon se déroule une expérience baptisée T2K – Tokai-to-Kamioka, du nom des deux villes japonaises où se trouve les installations – sur laquelle collaborent plusieurs instituts français : le Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS/École polytechnique), le laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies (CNRS/Sorbonne Université) et l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers du CEA.

Ils explorent une autre piste qui serait « prometteuse » : « une asymétrie entre les comportements des neutrinos [famille des leptons, ndlr] et des antineutrinos pourrait constituer une grande part de la réponse ».

Les neutrinos sont des particules élémentaires extrêmement légères. Ils existent en trois « saveurs » : électronique, muonique et tauique. Pour information, les trois autres leptons sont les électrons, muons et taus. Pour ne pas faciliter les opérations, les neutrinos « traversent tous les matériaux, sont très difficiles à détecter, et encore plus à étudier avec précision », explique le CEA. Ils n'interagissent en fait pas avec la matière.

Le changement de comportement entre neutrinos et antineutrinos se trouverait dans l’oscillation, c’est-à-dire « la capacité de ces particules à changer de saveur lors de leur propagation ». Ce phénomène est important : « mis en évidence à la fin des années 90, [il] apporte la preuve que, bien que très légers, les neutrinos ont une masse non nulle », rappelle le département d’astrophysique du CEA Saclay.

Au Japon, une expérience confirme une asymétrie quasi maximale…

Dans le cas de T2K, un accélérateur de particules produit alternativement des faisceaux de neutrinos et antineutrinos de saveur muonique. Une toute petite fraction de ces faisceaux de neutrinos (ou d’antineutrinos) est ensuite « détectée grâce à la trace lumineuse qu’ils laissent dans les 50 000 tonnes d’eau du détecteur Super-Kamiokande [40 mètres de haut et 40 mètres de diamètre, ndlr], implanté à 1 000 mètres de profondeur dans une ancienne mine ».

Super-Kamiokande
Crédits : Kamioka Observatory, ICRR, The University of Tokyo

Après avoir parcouru 295 km à travers les roches (soit une fraction de seconde à peine), certains (anti)neutrinos ont en effet changé de saveur pour devenir électroniques (au lieu de muoniques, si vous avez bien suivi). Les chercheurs font les comptes et le résultat est sans appel : « la collaboration T2K a montré que les neutrinos semblent osciller plus souvent que les antineutrinos. Les données pointent même vers une asymétrie quasi maximale entre le comportement des neutrinos et celui des antineutrinos ». 

 … mais sur un tout petit nombre de particules

Attention par contre, il faut prendre les pincettes de rigeur face à une importante incertitude expérimentale : « Ces résultats, fruits de dix ans de données accumulées dans Super-Kamiokande avec un total de 90 neutrinos et 15 antineutrinos électroniques détectés, n’ont pas encore la statistique suffisante pour les qualifier de découvertes ».

À titre de comparaison, le physicien Yves Sacquin du CEA explique dans cette vidéo que l’ordre de grandeur de neutrinos est généralement de 40 milliards par cm² : « sur votre ongle, il passe 40 milliards de neutrinos chaque seconde, mais vous ne les voyez pas et ils n’interagissent pas ».

On s’était dit rendez-vous dans 10 ans

Dans tous les cas, les résultats de T2K « constituent une indication forte et une étape importante ». L'expérience va se poursuivre avec une meilleure sensibilité et une nouvelle génération d’instruments scientifiques se prépare. Au Japon, la construction du détecteur Hyper-K, successeur de Super-Kamiokande avec une cuve encore plus grande dans laquelle Notre-Dame pourrait tenir, vient d’être actée. Signalons aussi Dune, en cours de réalisation aux États-Unis. Ils devraient être opérationnels vers 2027-2028.

« Si leurs nouvelles données confirment les résultats préliminaires de T2K, les neutrinos pourraient bien apporter d’ici dix ans une réponse au problème de la disparition de l'antimatière dans notre Univers », explique le CEA, plein d’espoir.

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