L’autre versant des classes virtuelles : « piratages », intrusions, insultes et menaces

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L’autre versant des classes virtuelles : « piratages », intrusions, insultes et menaces
Crédits : Ridofranz/iStock

Enseignants et élèves peuvent maintenir un lien en cette période de confinement grâce aux classes virtuelles. Mais le dispositif proposé par le CNED montre ses limites face aux intrusions, le « pirater » étant aussi simple que de copier/coller un lien.

Depuis lundi 16 mars, les écoles, collèges, lycées et université sont fermés afin de limiter la propagation du virus SARS-Cov-2 responsable de la pandémie Covid-19. Une annonce qui a pris tout le monde de court, en témoignent les nombreux retours que nous avions compilé à l’époque.

Pour compenser la fermeture des établissements scolaire, une continuité pédagogique a été mise en place – tant bien que mal – afin que les élèves puissent continuer à travailler de chez eux. Les outils numériques ont donc été mis à contribution, avec de nombreux couacs lors du lancement.

Les ENT par exemple ne tenaient pas la charge : élèves, professeurs et parents avaient régulièrement du mal à s’y connecter. Dans des académies, collèges et lycées, des créneaux horaires ont parfois été mis en place pour tenter de limiter la casse... ou tout du moins le nombre de connexions afin de soulager les serveurs.

Plus de trois semaines plus tard, les choses rentrent doucement dans l’ordre… si l'on peut parler d’ordre dans l’état actuel des choses. Dans le même temps, les « classes virtuelles » – ou « Ma classe à la maison » – se multiplient, avec leur lot d’intrusions et de trolls, faute généralement de pouvoir en restreindre l’accès.

« chahut numérique, trollage et parfois […] insultes ou menaces »

« Si une très large majorité des classes virtuelles dispensées par les enseignants sur la plateforme du CNED "Ma classe à la maison" se déroulent sans accrocs, certains collègues ont eu la désagréable surprise de voir des intrus s'infiltrer au milieu de leurs élèves et venir perturber la classe en créant du chahut numérique, du trollage et parfois même en proférant des insultes ou des menaces à l'encontre de l'enseignant », explique ainsi un principal de collège dans un email intitulé « Piratage classes virtuelles » et envoyé à des familles, que nous avons pu consulter.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs témoignages abondent en ce sens : « Juste pour vous signalez que des incidents via classe virtuelle du CNED se produisent tous les jours et portent atteinte à notre personne et fonction ; insultes, proposition à caractère sexuel entre élèves, audios incitant à la haine… », explique une personne se présentant comme enseignante.

« Tentative d’utilisation de la classe virtuelle du CNED avec les 2ndes… Usurpation d’identité, insanités et insultes échangées sur le chat. L’identité des élèves n’est pas vérifiable et c’est un vrai problème », lâche un autre. « La classe virtuelle pour les cours de physique chimie 5°3 […] interrompu par un piratage de "racaille" locale, insultes.. lamentable », etc. On pourrait continuer longtemps, mais vous avez sans doute compris l’idée.

Des « pirates » de cours virtuels

Toujours sur Twitter, Monsieur Le Prof explique que certains « s’amusent » même de cette situation : « Ah ouais donc y'a vraiment des types (enfin au moins un) dont le concept de vidéo YouTube est d'aller troller un prof qui fait son cours sur le Net en l'insultant/se foutant de sa gueule devant ses élèves. Je suis sidéré devant la nullité du truc, c'est même pas drôle ou inventif ». Un rapide tour sur la plateforme de streaming permet de se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé.

Alors que certains mettent en avant le fait de « pirater » des classes virtuelles ou essaient de faire croire qu’ils sont des « dieux » de l’informatique, la réalité est tout autre. Pour accéder à une classe virtuelle du CNED, les élèves ont uniquement besoin d’un lien donné par l’enseignant. Ils arrivent alors sur une page leur demandant de préciser leur nom puis ils se connectent… et c’est tout. Bref, « pirater » une classe virtuelle revient donc uniquement à suivre un lien.

Pour les enseignants, l’avantage de cette solution est qu’ils peuvent facilement lancer une classe virtuelle et que les élèves peuvent la rejoindre tout aussi simplement, mais sans aucun filtrage à l’entrée, et donc avec les débordements que nous venons d’évoquer. Nous avons également eu des retours de plusieurs élèves nous expliquant avoir reçu des messages les incitants à partager le lien de leur classe virtuelle pour venir y mettre « de l’ambiance ».

Des bonnes pratiques au dépôt de plainte

L’académie de Grenoble rappelle les bonnes pratiques en la matière. Pour commencer, une classe virtuelle est un espace privé entre le professeur et les élèves, donc on « ne diffuse pas le lien », justement pour éviter toute intrusion.

Ensuite, chaque élève doit s’identifier avec son nom et prénom et les règles sont les mêmes qu’en classe (par exemple, on demande la parole via le bouton dédié). « La classe virtuelle s’inscrit dans le prolongement des cours. Je dois respecter le règlement intérieur de l’établissement et les règles de vie en classe », explique l’académie.

En cas de manquement, « tout intrusion ou débordement outrancier sera sanctionné en mettant en œuvre les moyens nécessaires, y compris judiciaires, pour identifier et poursuivre les auteurs de tels actes ». 

Classe Virtuelle académie grenoble

De son côté, le CNED détaille les démarches à suivre vis-à-vis en cas de problème :

  • « En cas de perturbation par un élève dûment identifié et relevant de votre établissement, il vous appartient, si ce n’est déjà fait, de saisir votre chef d’établissement et de mettre en œuvre la procédure adéquate.
  • En cas de comportements irrespectueux lors de la tenue d’une classe virtuelle par un tiers non identifié, vous devez le signaler aux autorités éducatives que sont le chef d’établissement et votre rectorat. Vous avez également la possibilité de porter plainte auprès des services judiciaires le plus proche de son domicile. »

Le lycée Jean Perrin de Saint-Ouen-l’Aumône a décidé de hausser le ton et de passer par la case justice : « Aucun débordement ne sera toléré. Insultes, usurpation d’identité, pression sur les autres utilisateurs, ces comportements seront systématiquement poursuivis. Une plainte a été déposée hier », explique le proviseur.

Des astuces pour limiter la casse, Moodle à la rescousse

Certains ont mis en place des « astuces » pour limiter les risques. Dans plusieurs établissements, l’ENT permet d’accéder à Moodle (Modular Object-Oriented Dynamic Learning Environment) présenté comme « une plateforme d'apprentissage en ligne libre distribuée sous la Licence publique générale GNU. Développée à des fins pédagogiques, elle permet de créer des communautés autour de contenus et d'activités ».

L’académie de Strasbourg explique que « pour éviter les noms de connexion farfelus à vos classes virtuelles, il est nécessaire de créer un lien URL sur Moodle ». Ainsi, lorsqu’un élève se connecte à la classe virtuelle depuis cet outil, il est automatiquement identifié par son nom et prénom sur Moodle. La procédure est détaillée en vidéo par ici.

Mais Moodle n’est pas disponible partout. Pour les autres, une solution d’atténuation des risques est de créer un groupe de travail et d’y placer l’ensemble des élèves. Si des éléments perturbateurs arrivent ensuite, ils resteront dans la salle principale. Il faut par contre que l’enseignant place tous ses élèves dans un groupe, à chaque fois.

Le cas Discord, « à proscrire » pour certains

Des enseignants et élèves se sont également tournés vers Discord pour maintenir entre eux un lien virtuel, parfois via différents « salons » pour les classes, les groupes, les options, etc. 

Si l’académie d’Aix Marseille reconnaît « sa performance, son ergonomie et son intuitivité ont pu séduire certains enseignants pour communiquer facilement avec les élèves qui disposent déjà d'un compte sur la plateforme ». Elle ajoute néanmoins que « l’utilisation de cet outil est à proscrire pour les raisons suivantes » : 

  • « La solution n'est pas prévue pour être utilisée autrement qu'à titre "personnel", il n'existe pas de lien sous-traitant (Discord) et responsable du traitement (chef d'établissement, DASEN)
  • Le traitement ne peut pas être opéré sur la base d'une mission de service public, mais uniquement sur la base du consentement. Celui-ci doit être libre, ce qui n’est pas le cas quand il y a prescription de l’enseignant pour s’inscrire sur un serveur « classe ». De plus, une preuve du consentement des représentants légaux des mineurs de moins de 15 ans est indispensable !
  • Le modèle économique de cette solution pose question. Avec 250 millions de comptes gratuits et sans publicité, l’entreprise est néanmoins valorisée à 2 milliards de dollars. Les conditions générales d’utilisation (CGU) précisent : « Divulgation de données personnelles : Conformément à la section « NOTRE DIVULGATION DE VOS INFORMATIONS » ci-dessus, nous pouvons être amenés à partager vos données personnelles avec des parties tierces ».

Le problème étant que les enseignants doivent bien souvent faire face à un choix cornélien entre lancer une classe virtuelle via le CNED et une solution tierce du genre Discord où les élèves sont massivement présents, le tout avec des informations parcellaires et pas toujours claires de la part des équipes dirigeantes...

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