20 ans d’évolution en douceur des messageries

D’IRC à ICQ
Logiciel 12 min
20 ans d’évolution en douceur des messageries
Crédits : stockcam/iStock

Si les réseaux, mobiles ou fixes, ont connu d’importantes évolutions au cours des vingt dernières années, cela a été le cas de notre façon de communiquer de manière plus générale. Nous avons ainsi progressivement abandonné nos cabines téléphoniques, pagers et autres SMS pour de multiples messageries instantanées, accessibles partout ou presque.

L’évolution de nos modes de communication jusqu’à la situation actuelle n’est que l’aboutissement d’une mutation qui s’est effectuée progressivement. Elle a été l’objet d’usages parfois massifs et que l’on pensait indéboulonnables, jusqu’à ce que de petits nouveaux viennent prendre la relève en quelques années seulement.

L’un des premiers logiciels permettant une discussion interactive est Talk sur Unix, disponible à partir des années 1970. Durant la même période, deux autres moyens de communication, encore largement répandus, font aussi leur apparition : les emails et Usenet (newsgroups).

Juste précédant l’invention du World Wide Web en 1989 par Tim Berners-Lee, alors qu’il travaille au CERN et que les pagers sont encore à la mode, un protocole de communication ouvert est officialisé et donne le coup d’envoi de la guerre des messageries instantanées : IRC (pour Internet Relay Chat).

IRC : Premier grand canal d’échange mondial en direct

Dans la foulée, des serveurs se montent un peu partout dans le monde pour héberger des salons de conversation. Chacun peut créer son client ou même des services ou bots interagissant sur le réseau.

Résultat, il est encore utilisé quotidiennement par des milliers (des millions ?) d’internautes à travers le monde, même s’il a largement été remplacé, notamment à cause de sa faible adaptation aux besoins de l’ère mobile. À la fin des années 1990, la 2G et la 3G se préparent en coulisse, tandis que le SMS effectue son apparition.

Celui-ci va progressivement monter en puissance jusqu’en 2015 où plus de 200 milliards de messages seront échangés, avant d’entamer une lente descente les années suivantes pour finalement atteindre 171 milliards en 2018, tout de même.

De leur côté, les messageries instantanées propriétaires prennent leur envol autour des années 2000. Contrairement à IRC, elles utilisent des protocoles maison et sont donc bien souvent incompatibles entre elles, même si des applications multiprotocoles se hasardent à établir des liens.

Pêle-mêle, citons Pidgin (anciennement Gaim pour GTK+ AOL Instant Messenger), Miranda et Trillian. Des noms qui rappelleront sûrement des souvenirs aux moins jeunes d’entre nous. L’une des messageries les plus symboliques de l’époque est sans aucun doute ICQ, initialement développée par Mirabilis en 1996.

Son nom est inspiré de « I Seek You » (je te cherche en anglais). Il propose notamment la gestion des listes de contacts. Elle a ensuite été rapidement rachetée par AOL (1998) avant de passer chez Time Warner, puis Mail.ru en 2010. Aujourd’hui encore, ICQ est en service, aussi bien sur les ordinateurs que sur les terminaux mobiles via une application dédiée.

En 1998, peu après le succès indéniable d’ICQ, nous avons eu le droit à l’arrivée du protocole ouvert Jabber (ou XMPP pour Extensible Messaging and Presence Protocol). Il a ensuite été normalisé par l’IETF (Internet Engineering TaskForce) dans le milieu des années 2000. Plusieurs géants d’Internet sont passés par Jabber/XMPP à un moment donné, notamment Apple, Facebook et Google. S’agissant d’un protocole ouvert, tout le monde peut en effet l’implémenter comme il veut.

Deux messageries Jabber/XMPP ne sont donc pas obligatoirement compatibles entre elles. C’est sans doute ce qui a fait que cette solution n’a jamais rencontré un succès massif et durable, notamment auprès du grand public.

Microsoft et Google, géants du passé dans la messagerie instantanée

En 1999, c’est au tour de MSN Messenger (devenu Windows Live Messenger en 2005) d’être dévoilé par Microsoft. Avec ses jeux, « Wizz », polices personnalisées et smileys (animés ou non), il connaîtra son heure de gloire dans la seconde moitié des années 2000. L’apothéose est marquée par une musique de David Guetta créée en partenariat avec Microsoft, Mix Messenger, qui reprend le son caractéristique de MSN.

MSN/Windows Live Messenger utilise un protocole maison, ainsi qu’une architecture centralisée. En 2013, ce service est définitivement arrêté au profit de Skype, une messagerie rachetée par Microsoft en 2011 pour 8,5 milliards de dollars et se distinguant surtout à l’époque pour ses échanges P2P (pair-à-pair, sans serveur centralisé).

Une bascule vers une infrastructure plus classique de client/serveur a été engagée dans les années 2010 – la migration complète vers Azure s’est terminée fin 2013. Une série de choix malheureux suivie par la multiplication de changements déstabilisants pour Skype, comme le fait de passer obligatoirement par une application du Store sous Windows 10.

Ainsi, Microsoft a perdu sa position de force dans le secteur de la messagerie instantanée, MSN ayant disparu et Skype n’étant plus vraiment très apprécié. Google a un temps repris le flambeau avec sa propre messagerie lancée dans le milieu des années 2000 avec Talk sur base Jabber/XMPP. Elle sera rapidement intégrée dans Gmail sous le nom de Chat afin de surfer sur son succès et être disponible partout.

En 2013, Talk est remplacé par Hangouts avant de disparaître complètement mi-2017. Le géant du Net a ensuite tiré tous azimuts pendant plusieurs années avec Allo, Duo et Messages, en plus de Hangouts. Il faudra attendre fin 2018 pour que le ménage soit (en partie) fait dans cette cacophonie d’applications. Messages s’occupe désormais des SMS et Duo des messages instantanés. Hangouts, lui, se focalise sur le marché professionnel.

les réseaux sociaux et services communautaires prennent le relais

Durant l’été 2011, Facebook profite de sa montée en puissance pour lancer Messenger. Ce service a permis à chacun d’échanger avec ses proches, que ce soit ses amis ou même la famille qui y débarque alors en masse. De quoi donner envie au géant américain de devenir une sorte d’annuaire mondial. Un pari « réussi » : on a appris récemment la fuite de 419 millions de numéros de téléphone associés à des comptes Facebook.

Désormais, Messenger est une plateforme géante disposant de ses propres applications et services, stories et autres gadgets en pagaille, avec de la publicité. Elle rencontre les mêmes soucis que ses prédécesseurs : face à la croissance et la gourmandise de son propriétaire, elle perd les caractéristiques principales ayant fait son succès.

Dans la même période, un concurrent creuse son sillon, avec les usages mobiles comme cible principale : WhatsApp, lancé en 2009. La première année d’utilisation était gratuite, mais il fallait ensuite payer 99 centimes par an. Le service a été pris dans la phase de croissance externe de Facebook, qui a racheté nombre de ses concurrents potentiels à l’époque – 22 milliards de dollars en 2014 dans le cas de WhatsApp, devenu gratuit en 2016.

WhatsApp

Désormais, la gratuité est la norme pour tous ces services, bien que certains proposent des achats « in-app » pour des stickers, des minutes d’appels sur des numéros de téléphone, etc.

C’est peu après les années 2010 que les choses ont commencé à dérailler et que les applications de messagerie instantanées se sont multipliées presque à l’infini. De nombreuses solutions existent, bien trop pour les détailler toutes, d’autant plus qu’en fonction des pays/continents, la popularité est loin d’être la même.

Mais rares sont celles qui arrivent à atteindre une masse critique d’utilisateurs. Cela peut également dépendre des zones géographiques ou des marchés. En Asie, par exemple, WeChat et Line jouissent d’une forte notoriété, tandis que Discord reste prisée par les joueurs. On pense aussi à iMessage d’Apple, déployé sur l’ensemble de ses OS maison.

Pour le reste, Facebook domine le marché et pourrait même lancer une nouvelle messagerie dans un autre de ses services à succès, racheté à prix d’or : Instagram.

En France, le gouvernement a lancé son propre service pour les agents de ses administrations, Tchap, basé sur le protocole de communication Matrix. Son démarrage a cependant été gêné par une faille « spécifique au déploiement de la DINSIC », expliquent à l’époque les équipes de Matrix.

Les solutions professionnelles proposant de nombreuses intégrations de services tiers afin de faciliter le travail des équipes au quotidien se sont également multipliées, notamment poussées par le succès de Slack (Searchable Log of All Conversation and Knowledge). Il existe une alternative open source en auto-hébergement : Mattermost.

De son côté, Microsoft a décidé de se relancer dans l’aventure avec Teams, successeur de Skype for Business. Ces messageries proposent des fonctionnalités dédiées au monde de l’entreprise, mais pas de Wizz.

Certains misent sur la confidentialité, d’autres sur les stickers et filtres

Désormais, il convient donc de se démarquer. Certains services font ainsi le pari de la sécurité en misant sur la confidentialité, en plus d’apporter un chiffrement des données de bout en bout. C’est notamment le cas de Signal, développé par Open Whisper Systems, et de Wire.

Dans l’équipe et les soutiens de ce dernier, on retrouve des anciens de Skype, notamment son cofondateur, Janus Friis. Le chiffrement de bout en bout est d’ailleurs devenu un grand cheval de bataille pour nombre d’acteurs, surtout à la suite des révélations d’Edward Snowden.

Mais cette notion est à effet variable : parfois, c’est activé par défaut comme pour WhatsApp, mais chez certains, à l’instar de Facebook Messenger ou de Telegram, c’est uniquement sur certains types de conversations « secrètes ».

Pour amuser les jeunes et la famille – un marché de masse s’il en est –, d’autres misent sur les stickers et autres gadgets/filtres pour faire la différence. Sur ce marché, Snapchat a actuellement le vent en poupe et comptabilise quelque 13,6 millions de visiteurs uniques moyens par jour en France, selon Médiamétrie.

L’image de cette application, qui permettait d’envoyer des sextos se détruisant au bout de quelques secondes, est bien loin désormais. Les jeunes délaissent ainsi Facebook Messenger qui subit de plus en plus une image de service « pour les vieux », où s’intègrent services inutiles et autres publicités envahissantes.

Mais la relève est peut-être déjà présente avec TikTok (qui a absorbé Musical.ly), une application de partage de courts clips musicaux. Elle est prisée chez les plus jeunes, mais n’est pas sans risque, notamment à cause de l’hypersexualisation de certains. Une guerre des messageries qui est loin d’être achevée, dont certains acteurs historiques continuent de faire les frais. Cela a par exemple été le cas de BlackBerry Messenger qui a définitivement fermé ses portes en 2019 après des années de descente aux enfers.

messenger filtres snapchat prisma

Le serpent de mer RCS

Depuis des années, les opérateurs évoquent la mise en place de la Rich Communication Suite. (RCS) de la GSMA, une proposition qui ambitionne de remplacer les SMS/MMS par une solution plus complète.

Surtout, elle se veut une alternative « universelle » aux messageries instantanées, sans application à installer et sans dépendance à un acteur central unique. Elle fait en revanche l’impasse sur le chiffrement, proposant tout de même la gestion de groupes de discussions, l’envoi de fichiers, le partage de vidéos ou de fichiers pendant un appel, etc. Malgré de nombreuses annonces et expérimentations au fil des années, RCS n’a jamais percé.

Le problème ne vient pas d’un souci de compatibilité avec les réseaux mobiles, puisque la 3G, la 4G et la future 5G sont largement capables de prendre en charge ce service, mais des opérateurs qui rechignent visiblement à le mettre en place.

Mi-2019, Google a tenté de passer en force en déployant RCS en France et au Royaume-Uni. Le géant du Net s’appuie sur l’Universal Profile poussé par la GSMA pour assurer une interopérabilité entre les opérateurs, les fabricants de smartphones et de systèmes d’exploitation. ASUS, Google, Huawei, HTC, Microsoft, Orange et Samsung l’ont adopté, par exemple. En revanche, ce service n’est disponible que sur Android (5.0 minimum) via l’application Messages, et entre deux contacts disposant tous les deux de cette fonctionnalité.

Il se place donc comme un équivalent à iMessage sur iOS, sans aucun chiffrement. Même avec la force de Google derrière lui, RCS aura fort à faire pour s’imposer face à des géants comme Facebook et Snap, pour ne citer qu’eux. Et la société dispose déjà d’un certain passif pour ce qui est des initiatives avortées ou annulées après quelques années.

Outre les messageries, citons le réseau social Google+, malgré de nombreuses tentatives pour l’imposer à ses utilisateurs, notamment avec une intégration aux forceps dans les différents services maison.

Une guerre entre géants du Net, les enfants comme cible

Il faut dire que les messageries instantanées sont importantes pour les mastodontes du Net, car elles permettent de capter une base importante d’utilisateurs avec un usage quotidien. Se livre dès lors une bataille féroce sur ce segment.

Comme souvent, c’est l’utilisateur qui se retrouve perdant. Sans standard, il doit composer avec l’éparpillement des solutions, ce qui implique que pour communiquer avec l’ensemble de ses contacts s’il doit bien souvent multiplier les applications. Une fragmentation existe également entre les générations qui n’utilisent pas toujours les mêmes outils.

Les enfants sont dans tous les cas un public de choix pour ces acteurs, par exemple avec Facebook qui propose depuis un moment Messenger Kids pour les bambins de 6 à 12 ans. Un moyen de capter de futurs utilisateurs dès leur plus jeune âge, sous réserve de protection spécifique et de fonctionnalités devant tranquilliser les parents.

C’est aussi pour cela que les révolutions du secteur commencent en général par des services qui concernent les jeunes, plus volatils et aux usages en construction. Là aussi, parmi les géants, de plus petits acteurs tentent de se faire une place, mais la loi de la jungle n’est jamais loin.

Ainsi, on compte par exemple Xooloo Messenger pour les 8 à 13 ans, ou Monster Messenger. Ce dernier a été racheté par Facebook en mai 2019 pour intégrer Messenger Kids. Il revendiquait alors plus de 100 000 utilisateurs quotidiens et plus de 600 000 téléchargements.

Faut-il y voir le début d’une nouvelle concentration ?

Enfants Internet
Crédits : moodboard/ThinkStock

Cet article a été publié dans le #1 du magazine papier de Next INpact distribué en janvier dernier. Il est rediffusé ici dans son intégralité et sans modification. Il sera accessible à tous d'ici quelques semaines, comme l'ensemble de nos contenus. D'autres suivront, puis le PDF complet. Pour soutenir cette démarche, précommandez le #2 de notre magazine.

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