Disney+ vs Netflix : analyse de deux manières de diffuser des contenus en France

Une histoire de gros tuyaux
Internet 9 min
Disney+ vs Netflix : analyse de deux manières de diffuser des contenus en France
Crédits : Diy13/iStock

Un internaute qui regarde une vidéo sur Disney+ ou Netflix ne sera pas comparable pour un fournisseur d’accès à Internet. En cause, l’interconnexion proposée par les plateformes de streaming : Netflix se faufile jusque dans les datacenters des FAI, quand Disney+ « tire » via des serveurs cache en Europe. On vous explique tout ça.

Après avoir décortiqué le fonctionnement des tuyaux d’Internet – FAI, CDN, peering, backbone, etc. – et regardé l’état du réseau Internet en France et en Europe, nous disposons désormais de toutes les cartes en main pour nous pencher sur Disney+, dont le lancement a finalement été reporté au 7 avril à la demande du gouvernement (entre autres).

C’est une affaire qui mélange à la fois contraintes techniques – avec la présence ou non de serveurs de cache en France –commerciales et politiques, le tout sur fond de confinement. Comme nous allons le voir, l’approche des deux plateformes de streaming est complètement différente, avec des conséquences importantes pour les réseaux des FAI

Un sujet dont le client final n’a généralement que faire, mais dont il « subi » les conséquences.

Notre dossier sur la composition d'Internet et ses points de saturation potentiels :

Avec OpenConnect, Netflix s’installe jusque dans les datacenters des FAI

 

Lors de son lancement en France en septembre 2014, Netflix avait préparé le terrain et installé des serveurs chez Telehouse 2 (TH2), un datacenter situé à Paris Voltaire avec un accès direct à plusieurs points d’échange, dont France-IX et Equinix-IX. Les travaux avaient débuté bien avant l’ouverture du service, comme en témoigne ce tweet – effacé depuis –de Dave Temkim, vice-président de l'infrastructure des réseaux et des systèmes chez l'américain.

La plateforme de streaming proposait dès son lancement une interconnexion de plusieurs centaines de Gb/s sur les points d’échange, avec une capacité totale de 1 Tb/s, soit « la "même" capacité qu'un gros FAI de 5 millions d'abonnés environ » expliquait en juillet 2014 le spécialiste des réseaux Nicolas Guillaume, en réponse au message de Dave Temkim.

C’était une manière pour la plateforme de streaming de « soigner » son arrivée auprès des FAI et de montrer patte blanche : « de dire : regardez on s’est largement interconnecté sur les points d’échange […] C’est une preuve de bonne volonté, on est ouvert on veut échanger du trafic proprement », nous explique un spécialiste du sujet. 

Nous parlions de convergence des acteurs dans notre article sur l'explication du fonctionnement d’Internet, et c’est justement le cas de Netflix qui développe son propre CDN (serveurs de cache) depuis des années, via Open Connect :

« Nous établissons des partenariats avec les fournisseurs d'accès Internet (FAI) afin de livrer notre contenu de la façon la plus efficace qui soit. Les partenariats que nous avons avec des centaines de FAI permettent de localiser des quantités considérables de trafic grâce aux déploiements de serveurs OCA [Open Connect Appliance, ndlr] intégrés. »

Sur l’interconnexion, Netflix joue la carte de l’ouverture

Netflix propose ainsi du peering public via les points d’échange ou du peering privé (PNI) avec les FAI : « Nous nous interconnectons de façon ouverte avec tout site IX où nous sommes mutuellement présents et nous envisageons l'interconnexion privée si nécessaire », explique la plateforme qui veut ainsi afficher sa bonne foi.

Une liste des sites d’interconnexion est disponible par ici. Dans le cas d’un CDN intégré (OCA), il s’agit d’un partenariat plus poussé et les serveurs sont directement dans les datacenter du FAI : « la quasi-totalité du contenu Netflix transite [en] local plutôt qu'en amont sur Internet. De nombreux FAI profitent de cette configuration, en plus de l'interconnexion par réseau local, car elle réduit la part de capacité dont ils ont besoin pour acheminer le reste du trafic Internet ».

La plateforme de streaming propose aussi son expertise technique à ses clients : « Netflix et les partenaires FAI travaillent en collaboration pour configurer les sessions BGP avec les serveurs OCA afin d'orienter le contenu, et les serveurs nécessitent une connectivité et une consommation minimales tout en offrant un encombrement réduit ». 

  • Netflix CDN
  • Netflix CDN
  • Netflix CDN

Disney+ : une approche bien différente

Dans le cas de Disney+, la situation est bien différente, comme l'expliquait Jean-Luc Vuillemin sur Twitter. Pour le directeur réseaux et services internationaux chez Orange, alors que « Netflix a son propre datacenter implanté en France et directement connecté au réseau Orange France Disney « tire » via des CDN interconnectés partout en Europe sur les réseaux internationaux Orange, ça ne fait pas la même chose en termes de trafic et d’éléments impactés ».

Aux États-Unis le service passe notamment par Akamai, Level 3 et Limelight, mais qu’en est-il en France ? Le « problème » vient en effet de cette interconnexion entre les FAI et les CDN européenns qui diffuseront les contenus de Disney+. Interrogé sur le sujet dans le cadre d'une interview à venir, Jean-Luc Vuillemin nous apporte des précisions :

« Au lancement, ils ont fait le choix de ne pas traiter leur trafic eux-même mais de s’appuyer sur des fournisseurs de CDN. Ils en ont choisi un assez grand nombre – six à sept – et ils envoient leurs données à ces fournisseurs de CDN, charge à eux ensuite de s’interconnecter, là où ils le peuvent, avec les différents opérateurs internationaux et nationaux, qui récupèrent alors les flux et doivent les acheminer jusqu’aux utilisateurs finals. »

Mais à quel point ce « n’est pas la même chose en termes de trafic ? ». Un client qui regarde Disney+, c’est un de moins sur Netflix, on est donc sur un rapport égalitaire : un de gagné pour un de perdu, non ? 

Un connaisseur des réseaux revient pour nous sur cet argument parfois mis en avant par certains. Dans la pratique ce n’est pas si simple à cause de la conception même des réseaux : « C’est un raisonnement qui peut s’entendre, mais techniquement aujourd’hui on n‘est plus à l’heure du lancement de Netflix, ou la plateforme servait tout depuis Paris. Selon les opérateurs, Netflix va descendre en région sur des caches » dans des villes comme Lyon, Bordeaux et Marseille par exemple.

La question du jour : par où vont passer les flux Disney+ ?

Or, Disney+ ne sera présent que via des CDN en Europe, avec une lourde conséquence sur le trafic : « Forcement 1 Go de Netflix servit à un abonné marseillais depuis Marseille ça ne prend pas de capacité entre Paris et Marseille. Par contre, un abonné Disney+ servit de Londres à Marseille, ça prend de la capacité entre Londres et Paris, et entre Paris Marseille. On n’est clairement pas dans un rapport d’un pour un » ajoute-t-il. 

Si l’utilisateur consomme autant de données provenant d’un service américain dans les deux cas, l’empreinte sur les réseaux n’est pas du tout la même… d’autant plus si on multiplie par le nombre de clients potentiels de Disney+. L’effet nouveauté et le catalogue de Disney+ vont certainement apporter en masse des clients, mais il ne faut pas non plus oublier le contrat passé avec Canal+ pour inclure le service dans certains packs dès le lancement du service.

La question pour les quatre opérateurs est donc de savoir par où exactement va passer le flux de Disney+. Il faut qu’ils soient suffisamment interconnectés avec les CDN en question. Si l’interconnexion n’est pas dimensionnée correctement, il faudra la revoir, en augmentant la taille des tuyaux et/ou revoyant les contrats avec les transitaires.

Dans tous les cas, la période n’était pas optimale pour ce genre d’opération, avec une utilisation en hausse d’Internet et une capacité de mouvement limité des équipes techniques sur le terrain pour cause de confinement. Et malheureusement, ce travail n'avait pas été effectué en amont, bien que l'annonce de l'arrivée de Disney+ n'était pas nouvelle.

Disney+

La « distribution de Disney n’est pas contrôlée par les opérateurs »

« L’opérateur route en fonction des annonces, il est dépendant des annonces [qui lui sont faites]. Quand il n’y a pas de cache sur le réseau, comme c’est le cas avec Disney+, la problématique des opérateurs – plus qu’un vrai problème de capacité pure et dure – c’est de savoir par où ça va arriver, par où Disney voudra le pousser ». « C’est plutôt dans leur main [de Disney, ndlr] de choisir où le trafic va être servi », aux FAI donc d’adapter leurs tuyaux/contrats, nous résume un proche du dossier.

Stéphane Richard est sur la même longueur d’onde. Quelques jours avant la date prévue du lancement, il était monté au créneau pour demander un report de quelques semaines : « le mode de distribution de Disney n’est pas contrôlé par les opérateurs. Le lancement de Disney va être en OTT, sans aucun contrôle de notre part ».

Même son de cloche chez Jean-Luc Vuillemin : « c’est Disney qui choisit […] Aujourd’hui on indique clairement à Disney les CDN qui nous paraissent avoir une capacité d’interconnexion suffisante avec nos réseaux et les autres. Après on peut espérer que Disney suivra ces recommandations, mais je n’ai bien sûr aucun moyen de contraindre Disney à le faire s’il ne le veut pas ».

Au-delà de la question purement technique, des enjeux politiques et de gros sous (sur les tarifs des interconnexions avec les transitaires) entrent aussi en ligne de compte. Il s’agit très souvent de tractations, notamment pour la distribution de Disney+ par les FAI, qui ne sont pas rendues publiques. Difficiles donc de savoir ce qu’il en est exactement.

Disney+ en France : c'est pour la semaine prochaine

Toujours est-il que la conjoncture du lancement de Disney+ n’était certainement pas idéale pour les FAI... surtout pour un service de SVOD sur lequel ils n'avaient aucun accord commercial pour la vente d'abonnement. La baisse des débits mise en place par l'entreprise en Europe, comme d'autres, aurait-elle suffit à éviter tout souci ? Impossible à dire.

Il s'agissait dans tous les cas d'une volonté clairement exprimée par le gouvernement à travers son secrétaire d'État au numérique Cédric O, mais également des opérateurs. L’utilisateur n’avait, lui, pas voix au chapitre.

Sauf à passer pour les « méchants » de l’histoire et à prendre un retour de bâton au moindre problème, les plateformes se sont donc pliées aux demandes de baisse des débits, Disney+ repoussant son lancement de deux semaines. Il débarquera donc la semaine prochaine, à moins d'un nouveau report. Tout se passera-t-il sans encombre ? Nous verrons.

Dans tous les cas, la situation actuelle des infrastructures n’est pas gravée dans le marbre et, à l’avenir (selon le succès rencontré), Disney+ pourrait aussi se lancer dans la mise en place de ses propres CDN avec des partenariats directement avec les fournisseurs d’accès à Internet (comme Netflix). Rendez-vous dans un an pour faire le point ?

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