Que vous ayez des cartes de crédit ou de débit en poche, en tant qu’Européen vous avez de la chance. Les commissions d’interchange sont plafonnées dans la zone euro et un nouveau rapport pour la Commission européenne montre que cela porte ses fruits. Même si les effets pour le porte-feuille des Européens restent modestes.
À quoi sert l’Europe ? Dans le petit monde de la finance et de la banque, à vous faire faire des économies. C’est du moins ce que semble indiquer le dernier rapport remis à la Commission européenne sur les commissions d’interchange.
Plus exactement, il « montre que le RCI a réduit les commissions d’interchange pour les paiements par carte et a entraîné une baisse des coûts des commerçants pour les paiements par carte qu’ils acceptaient. Cette situation a par conséquent amélioré l’acceptation des paiements par carte et devrait, à plus long terme, entraîner une baisse des prix pour le consommateur ».
Mais ce n'est pas si simple, car « les marges d’acquisition et les frais des schémas de cartes internationaux ont augmenté, ce qui a réduit certains avantages. S’ils continuent d’augmenter, cela pourrait continuer à éroder voire supprimer les avantages du RCI. Le RCI a facilité l’entrée et la concurrence sur plusieurs marchés des paiements, principalement celui de l’acquisition, mais les consommateurs et les commerçants ne semblent pas encore avoir engrangé le plein potentiel des avantages ».
Vous n’avez rien compris ? Pas de problème. Nous allons vous traduire tout ça.
La commission d'interchange au cœur du modèle économique des banques
Le paiement par carte bancaire — de débit ou crédit — implique cinq acteurs : son porteur (le client), le commerçant, la banque du premier (l’émetteur), la banque du second (l’acquéreur) et le « schéma » qui gère la carte ainsi que le réseau de transactions autour. Au choix : Cartes Bancaires CB, MasterCard ou Visa. Ils se rémunèrent de différentes manières.
Tout d'abord parce que le porteur paye sa carte bancaire. Soit à prix fixe s’il s’agit d’une carte de débit et/ou via les taux d’intérêt s’il s’agit d’une carte de crédit. Depuis quelques années, la différence entre les deux est d'ailleurs plus claire, faisant l'objet d'une mention sur la carte elle-même.
Certains acteurs comme les banques en ligne ou autres néobanques « offrent » le plus souvent ces frais, et vont même jusqu'à proposer du « cashback », lorsque les banques classiques les noient dans des « packs de services ». Comment est-ce possible ? La réponse réside justement dans les fameuses commissions d'interchange.
Il s’agit tout simplement du « pourboire » que se versent entre elles les banques quand celle d’un commerçant accepte le paiement par carte en provenance de celle du porteur. Dans la pratique, le commerçant (en ligne ou physique) verse une commission à sa banque sur chaque transaction effectuée par carte par ses clients. Elle devra de son côté reverser la commission d'interchange à la banque du client, sur laquelle le schéma prélève sa dîme.
En clair : il faut inciter le plus possible le client à utiliser sa carte bancaire, c'est une source de revenus. C'est pour cela que certains conditionnent la gratuité de leur abonnement à un nombre minimum d'utilisations ou vous proposent de vous reverser une partie de vos dépenses en cashback par exemple.
Transactions par carte bancaire : qui paie quoi ?
RCI, késako ?
Évidemment pour que les banques rentrent dans leurs frais, le taux de cette commission qu’elles se versent les unes aux autres va influencer ce qu’elles feront payer à leurs clients commerçants et particuliers.
Pour compliquer le tout, ce taux varie selon de nombreux critères : s’il s’agit d’une carte de débit ou de crédit, de transactions domestiques, transfrontalières dans l’espace économique européen (EEE), ou transfrontalier hors du EEE. Mais aussi selon le schéma utilisé. Ainsi, à titre de curiosité, vous pouvez consulter les tarifs de Visa et de Mastercard). Pour soutenir les commerçants, pensez à choisir CB quand vous avez le choix, ils sont moins chers.
C'est là que le fameux RCI entre en scène. Il s'agit du Règlement européen sur les commissions d’Interchange, entré en vigueur entre 2015 et 2016 en Europe, et plus exactement le 7 décembre 2015 en France. Il concerne la majorité des cartes de paiement, mais ne s’applique pas à certaines comme les American Express, celles liées à une enseigne, remplaçant les tickets-restaurant ou les porte-monnaie électroniques par exemple.
Il plafonne à 0,2 % du montant de la transaction les commissions d’interchange générées par une carte de débit et à 0,3 % celles générées par une carte de crédit (y compris les cartes de débit différé proposées par les banques).
Près de 2,7 milliards d’euros économisés
Le rapport, Study on the application of the Interchange Fee Regulation, fruit d'une étude menée par Ernst & Young et Copenhagen Economics pour le compte de la Commission européenne, s’appuie sur un mélange de données publiques (de la BCE, d’Eurostat, etc.) et d’une enquête auprès des responsables de schémas de paiement locaux et internationaux, des banques, des commerçants, des associations de consommateurs et des régulateurs locaux.
Les questionnaires ont été envoyés entre février et juin 2019 et sur les 5 121 expédiés, seuls 592 ont été reçus en retour. Les commerçants avec 28 questionnaires retournés sur 4 098 envoyés. Pour autant, on y trouve des points intéressants. À commencer par une augmentation en volume des paiements par carte et une baisse simultanée des retraits aux distributeurs. Dans les marchés où la carte de paiement n’était pas encore d’usage généralisé, il y a eu une augmentation du nombre de cartes en circulation. La France déjà bien équipée n’a pas vu d’évolution dans ce domaine.
Plus concrètement, les commissions d’interchange pour les cartes consommateurs ont diminué de 35 % (près de 2,7 milliards d'euros par an) entre 2015 et 2017 au niveau européen. C'est une bonne nouvelle, mais loin des six milliards d’euros attendus lorsque le règlement était en discussion en 2013. En parallèle, les frais de schéma payés par les émetteurs ont augmenté d’environ 270 millions d’euros par an :
Incidence nette des changements de frais sur les acteurs sur la période 2015 à 2017 (en millions d'euros)
Cela s’explique principalement par des augmentations des frais des schémas internationaux (Visa et Mastercard), avec des hausses particulièrement marquées pour les transactions transfrontalières. Les schémas nationaux, comme Cartes Bancaires CB en France, facturent la plupart du temps des frais de schéma relativement peu élevés et stables.
Les schémas internationaux se sont d’ailleurs fait taper sur les doigts par la Commission européenne en 2019 et se sont engagés à réduire d’environ 40 % les commissions multilatérales d’interchanges sur les transactions dans l’EEE, y compris quand celle-ci se fait en ligne (vis-à-vis des commerçants basés en Europe).
Pour autant d’après l’étude, rien ne prouve que les émetteurs ont répercuté cette augmentation sur les frais réels qu’ils font payer aux consommateurs ou en changeant les conditions d’émission. Côté acquéreurs en revanche, ils ont bien répercuté pour partie ces économies en réduisant les commissions de service payées par leurs clients commerçants.
Et pour les clients particuliers ? Le bénéfice est plus difficile à calculer, mais dans l’ensemble de l’Union européenne (comprenant encore à l’époque le Royaume-Uni), les économies annuelles totales pour le consommateur peuvent atteindre entre 864 millions d’euros et environ 1,93 milliard d’euros, selon la façon dont l’acquéreur répercutait ses économies sur ses clients commerçants.
Ceux, minoritaires, ayant répondu à l’étude ont assuré que les économies réalisées sur les transactions par carte étaient répercutées vers leurs clients avec des baisses de prix et/ou la baisse du panier minimum pour payer par carte. Au final, en moyenne, les consommateurs européens ont fait des économies estimées à 6,76 euros par foyer et par an.
En France, presque toutes les cartes de paiement étant co-émises par Cartes Bancaires CB, l'impact de la réduction des commissions d'interchange a été moindre entre clients et commerçants nationaux, et cela se voit par rapport à la situation d'autres pays européens qui ne sont pas doté d'un schéma global de cartes :
La carte bientôt plus assez rentable pour les banques ?
Cette étude conclut qu’il faudrait surveiller le niveau, la structure et la transparence des frais de schéma, mais également renforcer la fourniture d’informations sur les prix transparentes, simples et non mélangées pour les commerçants.
Elle s’intéresse également aux terminaux de paiement en recommandant une harmonisation complète de leurs caractéristiques techniques, ce qui entraînerait d’ailleurs un gain en matière de sécurité en éliminant les terminaux obsolètes. Et pourtant, si tout le monde semble au final ravi de la bonne application de cette réglementation européenne, certains s’inquiètent.
Dans une tribune publiée en décembre dans Revue Banque, Alain Laurin directeur associé de Moody’s, parlant du traitement des paiements par carte par les banques, estimait que « la rentabilité de ces opérations est aujourd’hui menacée : la concurrence des nouveaux “acteurs digitaux” met sous pression les facturations aux commerçants et aux porteurs de carte. Les commissions d’interchange ont déjà été plafonnées par la réglementation européenne et la révision en cours de cette dernière de DSP2 fait craindre une baisse supplémentaire de ces commissions ».
En attendant, cette réglementation des commissions d’interchange a bien servie les banques pour négocier avec les GAFAM, comme Apple ou Google, au moment de déployer leurs moyens de paiements. Par exemple, lors du lancement, la commission prise par Apple sur les transactions par Apple Pay était de 2 % par transaction. Loin des tarifs européens...