Le Sénat a adopté à 4h10 du matin le projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire. Le texte devrait être adopté cette nuit à l’Assemblée nationale pour garantir un vote et une publication au Journal officiel au plus vite.
Aux grands maux, les grands remèdes. Le projet de loi d’abord présenté au Sénat vient répondre à la crise épidémique qui traverse la France. Les premiers articles traitent de la question de l’élection municipale, aujourd’hui bouleversée (article 1 à 3).
Le titre II est consacré à l’état d’urgence sanitaire. Inspiré de la loi sur l’état d’urgence, qui fut activée par la vague d’attentats. Comment va s’organiser cette période où les droits et libertés fondamentales seront nécessairement en retrait ?
Il sera déclaré « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Le texte est évidemment taillé pour la situation actuelle.
Concrètement, c’est un décret en conseil des ministres, pris après rapport du ministre de la Santé, qui activera cet état exceptionnel. Il déterminera les circonscriptions territoriales concernées. Sa durée ? Un mois.
Au-delà, une loi de prorogation sera nécessaire pour déterminer notamment sa durée. Bien entendu, rien n’empêchera le législateur de remettre une pièce dans la machine à cette occasion.
De nouveaux pouvoirs durant l'état d'urgence sanitaire
Dans les circonscriptions territoriales (départements, villes, régions), que pourra faire le premier ministre ? Le futur article L3131-23 du Code de la Santé publique prévoit toute une panoplie de mesures, enrichies en commission des lois et durant l’examen en séance :
- « Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret »
- « Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements justifiés par des besoins familiaux, professionnels ou de santé impérieux »
- « Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées »
- « Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées »
- « Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services essentiels aux besoins de la population »
- « Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature »
- « Ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre l’épidémie de covid-19 ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens »
- « Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ; le Conseil national de la consommation est informé des mesures prises en ce sens »
- « Prendre toute mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de l’épidémie »
Atteintes à la liberté d’aller et venir, mises en quarantaine ou en isolement, fermetures d'établissements ouverts au public (sauf exception), limitations au droit de réunion ou de manifestation, réquisitions… Le texte prévoit maintenant que le gouvernement peut contrôler le prix des produits. On pense évidemment aux solutions hydro-alcooliques (SHA) déjà régulées par texte administratif, mais on peut anticiper d'autres mesures, cadrées le texte d'état d'urgence. Autre nouveauté dans cette liste, celle visant à organiser la mise à disposition de médicaments appropriés pour les patients concernés par l’épidémie.
Les mesures devront être « strictement proportionnées aux risques sanitaires ». Cette autre précision sera utile si le Conseil d’État est amené à trancher un recours visant le décret ou d’autres textes similaires.
De son côté, le ministre de la Santé pourra prendre « toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé ». Le champ est vaste, pour autant que les décisions ne concernent pas la liste des mesures attribuées au Premier ministre. Les deux ministres pourront aussi habiliter le préfet à prendre toutes celles nécessaires à l’application de ces règles. Le procureur de la République sera informé sans délai. Dans un département, le préfet pourra même être autorisé à décider seul des mesures à prendre, parmi l’armada prévue à l’article L3131-23 du Code de la Santé publique.
C’est finalement un décret qui viendrait définir l’échelle des sanctions. Aujourd’hui, le non-respect d’une obligation de confinement est sanctionné d’une amende forfaitaire de 135 euros, voire de 375 euros si elle est majorée.
Un comité de scientifiques
Un comité de scientifiques épaulera ces décisions. Son président sera nommé par décret du Président de la République. Ce comité intègrera deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat et des personnalités qualifiées nommées par décret.
Il rendra « public périodiquement son avis sur les mesures prises ». On remarquera que « périodiquement » n’est pas précisé : cela peut être toutes les semaines, tous les mois, ou à un rythme plus lent.
Le gouvernement a fait adopter cet amendement pour que d'autres autorités puissent verbaliser les personnes qui ne respectent pas ces mesures, dont le manquement à l'obligation de confinement :
- les agents de police municipale,
- les gardes champêtres,
- les agents de la ville de Paris chargés d’un service de police,
- les contrôleurs de la préfecture de police et les agents de surveillance de Paris
Ils disposeront de la compétence pour constater ces contraventions « dès lors qu’elles ne nécessitent pas d’actes d’enquête particuliers ». Cette mesure permettra de faire grossir de 20 000 policiers municipaux les rangs des autorités en charge de contrôler les fameuses attestations . L’exécution d’office sera possible (pouvoir de contrainte).
L’état d’urgence sanitaire sera déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Sa prorogation exigera une nouvelle loi.
Une pluie de mesures économiques et sociales
Après les élections et l’état d’urgence, le troisième pilier du texte réside dans les mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie. Le gouvernement sera autorisé à prendre par ordonnances toutes les mesures nécessaires, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi.
- Définir des aides directes ou indirectes (soutien à la trésorerie)
- Limiter les ruptures des contrats de travail
- Renforcer le recours à l’activité partielle
- Modifier les conditions d’acquisition de congés payés et permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés ou encore des jours de réduction du temps de travail
- Permettre aux entreprises des secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale « de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical »
- Aménager les modalités de l’exercice par les services de santé au travail du suivi de l’état de santé des travailleurs
- Modifier les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel
- Modifier le droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté afin de faciliter le traitement préventif des conséquences de la crise sanitaire
- Permettre de reporter ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels.
- Différentes mesures concernent également le secteur de la justice, la Banque publique d’investissement, les diplômes et l’enseignement supérieur, la garde des enfants, la protection des personnes en situation de handicap, le budget des collectivités, etc.
On ne sait pas encore ce que le gouvernement fera sur chacune des lignes. C'est à la lecture des ordonnances qu'on le saura. Notons que les projets d’ordonnance seront dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire.
Un texte de ratification sera programmé dans les deux mois, après chacune d'elles.
La chronologie des médias revue et corrigée, l'autre effet du coronavirus
L’article 11 adapte exceptionnellement la chronologie des médias. Comme l’a expliqué le rapport de la commission des lois au Sénat, « le passage au stade 3 de l'épidémie a entraîné la fermeture de tous les lieux accueillant du public qui sont « non indispensables à la vie du pays » dont les cinémas ».
Résultat : « les films dont l'exploitation a commencé se trouvent donc dans la situation où ils ne sont plus accessibles jusqu'au terme du délai de quatre mois fixé par l'article L. 231-1 du code du cinéma avant de pouvoir être proposés en VOD ».
Les films à l’affiche le 14 mars sont donc plongés dans un tunnel sans possibilité d’exploitation quatre mois avant leur mis à disposition sur les sites de e-cinéma (vidéo à la demande à l’acte). Le président du CNC pourra raboter ces quatre mois pour accélérer leur exploitation commerciale.
Commentaire au Sénat:
« La disposition législative proposée apparaît adaptée à la situation des films dont l'exploitation a débuté avant de cesser à la suite de la fermeture des salles. C'est les cas par exemple des films « De Gaulle », « Un Fils » et « La Bonne Épouse ». L'exploitation en VOD de ces films pourra commencer avant l'échéance du délai de 4 mois par décision du président du CNC. Il apparaît que la disposition législative proposée est proportionnée et indispensable à l'économie du cinéma, même si elle pourrait avoir pour effet induit d'accentuer des usages alternatifs à la salle de cinéma ».
Les députés sont actuellement réunis en commission des lois. Ils examinent cette version du texte. Le projet de loi déboulera ensuite en séance. Seul hic : des articles ont été modifiés, en particulier sur l'organisation des élections municipales. S'ils sont maintenus, ils impliqueront la réunion d’une commission mixte paritaire. Soit un retard possible de 48 heures, selon les estimations le député Jean-Christophe Lagarde.