Un drôle de ballet vient de se dérouler au-dessus de nos têtes, au-delà de l’orbite géosynchrone : un satellite s’est arrimé à un autre. Pas d’espionnage, mais une opération de sauvetage pour remettre en piste le satellite 901 d’Intelsat. Northrop Grumman prévoit d’aller plus loin avec de la maintenance/réparation directement dans l’espace.
Dans l’espace, les satellites utilisent bien souvent des ergols pour ajuster leurs trajectoires (il existe aussi des moteurs électriques, mais ils sont coûteux, plus lents et donc peu utilisés pour le moment). Les engins spatiaux ont une durée de vie limitée qui dépend de la capacité de leurs réservoirs. Contrairement à la Station spatiale internationale, les satellites ne reçoivent pas de ravitaillement et, puisqu’il n’y a pas de station-service dans l’espace, une fois à sec c’est la panne.
Se placer sur une orbite cimetière avant la panne sèche
Cette dépendance peut poser des problèmes lorsque le lancement ne s’effectue pas comme prévu et que le satellite n’est pas placé sur la bonne orbite. Il brûle alors une partie de ses réserves pour rejoindre sa position finale, réduisant sa durée de vie. C’était par exemple arrivé à SES-14 et Al Yah 3.
Avant que leurs réserves ne soient complètement épuisées, les satellites en fin de vie se désorbitent et brûlent dans l’atmosphère ou bien rejoignent une orbite dite « cimetière » pour ne pas encombrer inutilement des zones utilisées par d‘autres satellites en service et éviter des collisions… avec la création de débris et le risque d’une réaction en chaîne (ceux qui ont vu le film Gravity savent de quoi on parle).
C’est ce qui est arrivé au satellite géosynchrone 901 d’Intelsat, encore parfaitement opérationnel pour la partie télécommunication, mais à court de carburant. Dans son cas, l’orbite cimetière se trouvait à 300 km au-dessus de celle géosynchrone (36 000 km, pour rappel). Il s’y est placé en décembre 2019… en attendant l’arrivée de MEV-1 et avec l’espoir de reprendre du service pour quelques années supplémentaires.
MEV-1 va « redonner vie » au satellite IS-901 d’Intelsat
Comme son nom l’indique, la Mission Extension Vehicle (MEV) de Northrop Grumman (une société appartenant à SpaceLogistics) vise à prolonger la durée de vie d’un satellite en venant lui porter assistance directement dans l’espace. Il ne s’agit pas de faire le plein de son réservoir, mais d’assurer la navigation dans l’espace à sa place.
La première mission du genre, MEV-1 a décollé début octobre 2019 afin de porter assistance à un satellite d’Intelsat. Il a rejoint sa cible quelques semaines plus tard et s’est finalement amarré à IS-901 le 25 février à 8h15 heure française, une opération qualifiée « d’historique » par les deux partenaires. Cette manœuvre a été effectuée sur l’orbite de cimetière (36 300 km) afin d’éviter d’endommager les autres satellites géosynchrone en cas de collision ou de problème lors de la manœuvre.
Il faut dire que cette opération n’était pas spécialement aisée, car IS-901 (qui a près de 19 ans) n’a pas du tout était conçu pour ce genre de mission sauvetage : aucun système d’accroche n’a été pensé lors de son développement. MEV-1 a donc été pensé afin de pouvoir s’arrimer à différents types de satellites via un « système mécanique à faible risque ». Dans le cas présent, MEV-1 s’est accroché sur la tuyère d’IS-901.
Retour aux opérations en mars, pour une durée de cinq ans
Maintenant que les deux satellites sont accrochés l’un à l’autre, des vérifications vont avoir lieu avant de commencer à les déplacer afin de retourner sur l’orbite géosynchrone de travail d’Intelsat 901. Ce dernier avait cessé ses opérations et transféré ses clients sur d’autres satellites, mais il devrait pouvoir reprendre ses opérations à partir du mois de mars pour une durée de cinq ans.
MEV-1 restera accroché à IS-901 tout le temps et s’occupera à sa place de toutes les modifications de trajectoire. IS-901 ne gérera donc plus que la partie télécommunication. Bref, le groupe MEV-1/IS-901 se comportera comme un système double, en espérant que les deux parties réussiront à parfaitement communiquer l’une avec l’autre.
MEV-1 pourra continuer sa mission, MEV-2 en approche
Une fois cette mission étendue terminée, MEV-1 ira (re)déposer IS-901 sur l’orbite de cimetière et il devrait cette fois-ci y rester. La mission de MEV-1 ne sera pas terminée pour autant : le vaisseau pourra aller chercher un autre satellite afin de lui permettre de reprendre ses opérations. En effet, les deux partenaires expliquent que « MEV est conçu pour plusieurs amarrages et désamarrages, et peut fournir une extension de la durée de vie des satellites de plus de quinze ans ».
Quoi qu’il en soit, une mission MEV-2 est déjà programmée pour cette année. Elle aura pour but d’aller prolonger la vie d’un autre satellite d’Intelsat. La date de lancement, la durée de la mission et le nom du satellite n’ont pas été précisés pour le moment.
L’approche d’IS-901 vue depuis MEV-1, avec la terre dans le fond, puis l’accrochage avec la tuyère. Crédits : Northrop Grumman
La première étape d’un « vaste plan »
Northrop Grumman précise que cette opération MEV-1 n’est que « la première étape d'un vaste plan de développement technologique. La vision de la société est non seulement de mettre en place une flotte de vaisseaux permettant de prolonger la durée de vie des satellites, mais aussi de fournir d'autres services tels que des changements d'inclinaison, des inspections des engins spatiaux et l'utilisation d'une technologie robotique avancée pour effectuer des opérations supplémentaires telles que la réparation et l'assemblage en orbite ».
Plusieurs questions restent en suspens, notamment le coup de la mission MEV-1, du remorquage et de la prolongation de cinq ans pour IS-901. Reste aussi la question de ce qu’il adviendra de MEV-1 quand il arrivera en fin de vie. Dans tous les cas, Northrop Grumman n’est pas la seule société à s’intéresser à ce sujet, d’autres travaillent aussi sur des vaisseaux capables de porter assistance à des satellites.
Plusieurs entreprises et agences spatiales planchent aussi sur la question de la pollution de l’espace et la récupération des débits. C’est notamment le cas de l’Agence spatiale européenne avec ClearSpace-1, qualifié de dépanneuse de l’espace.