La loi contre la Cyberhaine ouvre le risque d’outing des mineurs LGBTI

Une face, une palme
Droit 10 min
La loi contre la Cyberhaine ouvre le risque d’outing des mineurs LGBTI
Crédits : Assemblée nationale

La proposition de loi vient d’être modifiée en nouvelle lecture en commission au Sénat. Elle sera en séance le 26 février. La version des députés devrait cependant l’emporter. Problème : celle-ci ouvre le risque d’outing des moins de 18 ans lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ou les personnes intersexes (LGBTI). Sacré paradoxe pour un texte censé apporter une protection aux victimes.

Le cœur de la proposition de loi contre la haine en ligne est connu : obliger les plateformes à retirer dans un délai de 24 heures une série de contenus. Quels contenus ? Ceux qui se rattachent « manifestement » à l’une des infractions énumérées par le texte, comme les insultes homophobes.

Si ces cases sont toutes cochées, Twitter, Facebook, YouTube et les autres doivent effacer le contenu litigieux qui leur est signalé, sauf à risquer jusqu’à 250 000 euros de sanction devant un tribunal en cas de défaillance (retard, défaut de retrait).

C'est peu de le dire : le texte n’est pas apprécié identiquement par les députés ou les sénateurs. Les premiers préfèrent imposer une telle obligation de résultat, que rejettent les seconds. D’ailleurs, ce bras de fer se poursuit encore au Sénat où la version souple vient une nouvelle fois d’être préférée en commission des lois. La procédure parlementaire donnant le dernier mot à l’Assemblée nationale, le camp de Laetitia Avia (LREM) devrait au final l’emporter.

L’un des points importants de cette proposition de loi réside dans la faculté pour une association à réceptionner les demandes d’effacement exprimées par les mineurs. 

L’idée avait été introduite à l'Assemblée dès les premières réunions de la commission, puis finalement adoptée en première lecture en séance grâce à cet amendement socialiste, repris par le groupe En Marche deux jours plus tard, le 27 juin 2019.

« L’amendement, expliquait le PS, a pour objectif d’offrir aux mineurs, premiers utilisateurs des plateformes en ligne, une protection spéciale lorsqu’ils sont victimes de cyber-violence ou cyber-harcèlement sur internet ». Et les députés de l’opposition d’exposer que « de tels faits peuvent avoir des conséquences extrêmement graves sur un public vulnérable ». Argumentaire qu’on retrouve dans l’exposé des motifs LREM.

Dans cette procédure, les mineurs peuvent saisir une association, déclarée depuis au moins cinq ans et dont l’objet statutaire comporte la protection des enfants, afin d’exercer les demandes de retrait des contenus litigieux.

Une forme de « tiers de confiance », ici à disposition des mineurs, que la commission avait appelé de ses vœux dans sa recommandation du 1er mars 2018. « Lorsque les signaleurs de confiance s’expriment, ils sont davantage entendus que si c’est M. Toutlemonde » insistait en séance la députée PS George Pau-Langevin. « Une société qui ne protège pas ses enfants n’a pas d’avenir » embrayait Jean-Michel Mis, député LREM inspiré par Nelson Mandela.

Un « outing » organisé par la loi

En somme, ce signaleur de confiance a pour fonction d’aider, d’épauler, d’accompagner le mineur victime de propos incendiaires sur les réseaux sociaux. Une belle idée : en mars 2018, une enquête de Renaissance Numérique, de Génération Numérique et de la DILCRAH révélait que 25 % des jeunes expliquent ne pas réagir à un contenu haineux, parce que c’est « inutile ». Ils seraient même 29 % à rester passifs « car ils ne savent pas comment s’y prendre pour répondre ». 

Le gouvernement sous-amenda toutefois cette version commune afin de préciser que « la notification d’un contenu manifestement illicite opérée par une association de protection de l’enfance à la demande d’un mineur, ne peut intervenir sans information des représentants légaux, les parents étant les premiers protecteurs de l’enfant mineur ». 

Dans cette autre de ses rustines, il exigea que l’association informe toujours les parents de toutes les suites données aux demandes de retrait. 

L'exécutif a donc insisté pour que les parents soient informés de ces signalements et de ses suites. C'est là qu'on devine sans mal le risque au fil d'un scénario vraiment non exceptionnel : par exemple, un mineur victime de propos homophobes sur Internet appelle à l’aide une association... qui va être tenue d’informer ses parents. Lorsque ceux-ci ignorent son orientation sexuelle, voilà un « outing » organisé par la loi !

Bras de fer entre les sénateurs et les députés 

Fin 2019, au Sénat et toujours en première lecture, Christophe-André Frassa (LR) avait identifié ce risque, suite à plusieurs auditions avec des associations de protection. Il fut ainsi prévu que « l’association informe le mineur et, si cela n’est pas contraire à son intérêt, ses représentants légaux ». Les sénateurs ont tout autant exigé que seules les associations reconnues d’utilité publique puissent intervenir.

De retour à l’Assemblée nationale, les apports du Sénat ont toutefois été pulvérisés.

D'un risque ignoré, on a donc glissé vers un risque assumé. 

À l’initiative conjointe des membres du groupe La République en marche et de la rapporteure Laetitia Avia, le critère de la reconnaissance d’utilité publique a sauté, « afin de ne pas réduire trop drastiquement le nombre de celles qui pourront venir en aide aux mineurs victimes de contenus haineux en ligne ». Surtout, l’information des parents a été réinjectée, avec une nuance : elle devra s’opérer « selon des modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant ». 

Le député Philippe Latombe (Modem) s’est attaqué à cette précision. Selon l’élu, rien ne change. Cela « peut conduire, par exemple dans le cas d’un coming out non fait, à ce qu’une association estime qu’il vaut mieux informer le représentant légal alors même que le mineur concerné peut très bien préférer que ses représentants légaux ne soient pas informés ».

« Des parents nécessairement informés », regrette Philippe Latombe

Ce à quoi Laetitia Avia s’est opposée : « Si un enfant se trouve dans une situation de danger, ses parents doivent, à un moment ou un autre, être informés du fait que quelque chose s’est produit. Cependant, la référence à des modalités « adaptées à l’intérêt de l’enfant » laisse aux associations une grande latitude dans le choix des mesures à prendre et la façon de les mettre en œuvre pour effectuer cette information ». 

En séance, le 22 janvier dernier Philippe Latombe est revenu à la charge. En vain. « Cela signifie que les représentants légaux sont nécessairement informés de l’intervention de l’association et que seules les modalités peuvent être aménagées : les parents sont-ils prévenus par mail, lors d’un entretien, par téléphone, immédiatement ou quelques jours plus tard… » s'est encore désolé l’élu Modem.

Joint par téléphone, le député nous rappelle que « les mineurs peuvent accéder à la contraception d’urgence sans alerter les parents via les infirmières scolaires ou les plannings familiaux. C’est prévu par les codes ». Il ne comprend donc pas la position du groupe LREM et du gouvernement. « C’est en contradiction totale avec ce que l’on a mis des dizaines d’années à bâtir ! ». Et celui-ci de bien souligner qu’une partie du harcèlement dans les écoles se poursuit aussi sur les réseaux sociaux. « Prévenir les parents, c’est stigmatiser les enfants et prendre le risque d’une expulsion des mineurs des foyers ».

Selon Laetitia Avia, il ne s'agit pas d'outer, mais de ne pas déresponsabiliser les parents

Contactée pas nos soins, la députée Laetitia Avia assure au contraire qu’ « il ne s’agit pas d’outer qui que ce soit, les associations spécialisées savent faire et gérer ces situations : savoir quoi dire, quand et comment. Elles ont un rôle d’accompagnement dont elles ont la pleine maitrise ».

Problème, une association dont le nom même évoquerait la lutte contre la haine LGBTI en ligne mettrait forcément la puce à l’oreille des parents, eusse-t-elle plongé sa plume dans l’encre de la prudence.

La rapporteure du texte conteste ce risque : « Il s’agit d’association de protection de l’enfance. Et si une association de protection de l’enfance peut par son identité même être problématique, elle peut très bien déléguer à un tiers. Sachant encore une fois qu’elle a la maîtrise de tout : quand (ça peut être des mois après), quoi (là encore l’éventail est large) et comment. Sur ce sujet, les associations n’ont pas attendu ma proposition pour savoir comment faire leur job »

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L’élue insiste : « les associations de protection de l’enfance ont un rôle et une action qui n’ont pas pour conséquence de déresponsabiliser les parents. Je ne parle pas uniquement de numérique là. Mais de manière générale. (…) le rôle du parent [est] de prendre soin de son enfant. Les associations sont un accompagnement des enfants et des parents ».

Et la députée de nous inviter à contacter le monde associatif pour savoir « comment [ces structures] travaillent ». 

Ce que nous avons fait... en joignant e-Enfance

« Incompréhension, méconnaissance, manque de pragmatisme » des députés

Créée en 2005, cette association est « RUP », reconnue d’utilité publique et sa mission consiste à « permettre aux enfants et adolescents de se servir d’internet et du mobile avec un maximum de sécurité ». Elle gère à ce titre la plateforme Netecoute.fr, une ligne d’appel national.

« La rédaction de l’Assemblée nationale témoigne d’une incompréhension, d'une méconnaissance de la réalité et d’un manque de pragmatisme », fulmine sa directrice, Justine Atlan. « En tant qu’association protectrice des intérêts de l’enfant, nous savons que les parents ne sont pas toujours les meilleurs protecteurs de l’enfant et encore moins sur le sujet de l’orientation sexuelle par exemple ».

La représentante de cette structure cofinancée par la Commission européenne admet avoir essayé à chaque navette « de sensibiliser sur le fait que cette rédaction pose problème ». Vainement...

Si à ce jour « dans 9 cas sur 10, il nous est impossible d’avoir les coordonnées des parents », l’idée de « demander systématiquement les coordonnées des parents au mineur peut créer un biais de confiance qui peut être contre-productif ». Cette professionnelle de la protection de l’enfance insiste : « il faut nous laisser une appréciation de l’intérêt de l’enfant. C’est une évidence ».

Dans son quotidien, « si nous constatons les faits qu’ils nous rapportent et s’ils sont qualifiés nous signalons à la plateforme, en vertu de nos procédures prioritaires avec elle dans le cadre de la protection des mineurs. Dans ces cas-là, les parents n’interviennent pas ».

L’association reconnaît qu’elle essaye toujours « de favoriser la communication avec les parents, car dans un monde parfait, ils sont un soutien ». Mais avec les formes. « Après signalement nous conseillons autant que possible au mineur d’échanger avec ses parents ou un adulte de confiance sur la situation. Mais il doit y avoir une cohérence entre les textes votés. Le législateur a autorisé un enfant de 15 ans à s’inscrire seul sur une plateforme en ligne. Dès lors il n’est pas illégitime qu’il lui appartienne à partir de cet âge de gérer seul au moins au stade du signalement son compte ».

Le critère de la reconnaissance d'utilité publique

Selon Justine Atlan, seules les associations reconnues d’utilité publique devraient être « ce tiers de confiance sanctuarisé par la loi ». Pourquoi ? « L’idée est d’élever le niveau de qualité attendue de l’association pour permettre de lâcher du lest en confiance sur l’obligation d’information des parents ».

« À l’heure où nous voulons tous favoriser le signalement, il faut capitaliser sur ce qui fonctionne et éviter que les enfants renoncent à signaler tous types de contenus haineux de peur que cette information soit donnée à leur parent » nous explique e-Enfance. « La RUP permet de garantir une transparence, une éthique dans la gouvernance et un historique. D’ailleurs les acteurs publics et privés se félicitent aussi de l’apport de ce label gage de professionnalisme. Et de leur côté, les plateformes souhaitent éviter le sur-signalement grâce à des tiers de confiance qui ont déjà prouvé leur expertise en la matière et en même temps s’assurer de la qualité de la prise en charge des mineurs ».

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