L’arrivée de la 5G sur de nouvelles bandes de fréquences présente-t-elle des risques biologiques ou sanitaires potentiels ? Saisie par trois ministères, l’Anses doit apporter des éléments de réponses à cette délicate question. L’agence sanitaire vient de publier son rapport préliminaire où elle dresse notamment une liste des études disponibles.
L’Anses, en collaboration avec l’ANFR, vient de mettre en ligne son rapport préliminaire sur « l’exposition de la population aux champs électromagnétiques liée au déploiement de la technologie de communication 5G et effets sanitaires associés », un vaste sujet alors que le déploiement va commencer dans quelques mois. L’agence précise avoir été saisie le 9 février 2019 par les ministères en charge de la santé, de l’environnement et de l’économie.
5G sur les 3,5 et 26 GHz : deux nouvelles préoccupations pour l’Anses
Pour rappel, la 5G pourra être déployée sur les fréquences déjà attribuées aux opérateurs – de 700 MHz à 2,6 GHz – mais aussi sur de nouvelles bandes qui seront ouvertes pour l’occasion : les 3,5 GHz (de 3,4 à 3,8 GHz) et 26 GHz (de 24,25 à 27,5 GHz). L’Arcep vient d’ailleurs de donner le coup d’envoi de la procédure d’attribution des premières, tandis qu’il faudra encore attendre un moment pour les secondes (fréquences dites millimétriques).
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Tout cela va conduire à augmenter le nombre d’antennes déployées par chaque opérateur, et donc l’exposition aux ondes du public. C’est là que l’Anses entre en jeu : « L’augmentation prévue, avec le déploiement de la 5G, du nombre de sources émettant des champs électromagnétiques dans de nouvelles bandes de fréquences, nécessite à présent d’évaluer les effets biologiques ou sanitaires éventuels qui leur seraient spécifiquement associés ».
Dans son rapport préliminaire de 74 pages, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail commence par dresser un état des lieux des travaux déjà disponibles pour des fréquences identiques ou proches que celles utilisées par la 5G. Elle distingue bien les 3,5 GHz des 26 GHz, car les situations ne sont pas les mêmes.
3,5 GHz : un manque flagrant d’études sur les risques sanitaires...
L’agence fait rapidement face à un problème : « peu de publications ont étudié les effets d’exposition à des fréquences comprises entre 3 et 6 GHz ». La raison est simple : les technologies et fréquences étudiées de près par les scientifiques sont en phase avec les usages les plus développés, généralement en dessous de 3 GHz.
Le Wi-Fi dans les bandes des 2,4 et 5 GHz fait aussi l’objet de nombreuses études, mais cela reste toujours éloigné des 3,5 GHz de la 5G. Malgré tout, des déploiements ont déjà eu lieu dans cette bande de fréquence, mais pas avec le même niveau de pénétration que le potentiel de la 5G :
« Concernant l’exposition des personnes à des signaux dans la bande de fréquence 3,4 - 3,8 GHz, l’Anses soulignait, dans son rapport d’expertise publié en 2013, qu’en mai 2011, 19 acteurs bénéficiaient encore d’autorisations d’émission de boucle locale radio (BLR) en France métropolitaine dans cette bande de fréquences.
La majorité des déploiements correspond à des projets réalisés dans le cadre de réseaux d’initiative publique visant à apporter le haut débit fixe dans des zones non desservies à ce jour. La technologie de réseau sans fil pour la BLR la plus courante est celle de la norme WiMAX »
... comme sur les 26 GHz
On retrouve une situation analogue sur les 26 GHz : « Les dispositifs utilisant ces fréquences les plus élevées des radiofréquences et qui peuvent occasionner aujourd’hui une exposition des personnes sont, pour l’essentiel, les portiques à ondes millimétriques (détecteurs de sûreté utilisés dans les aéroports notamment), qui utilisent des fréquences variant de 24 à 30 GHz (proches de la bande de fréquence autour de 26 GHz dans laquelle la 5G sera déployée) et certains faisceaux hertziens et radars dont les fréquences se situent aux alentours de 50 GHz ».
Malgré tout, « aucune étude portant sur des fréquences comprises entre 24 et 30 GHz n’a été identifiée. Les effets des ondes millimétriques ont été largement étudiés dans la littérature, mais pour les fréquences comprises entre 40 et 60 GHz », explique l’Anses.
En 2010, lors de son analyse sur les effets sanitaires des scanners corporels, son groupe de travail avait alors établi qu’il était « concevable de supposer que les effets biologiques potentiels des champs électromagnétiques dans cette gamme de fréquences [autour de 30 GHz, ndlr] sont similaires à ceux des champs électromagnétiques à des fréquences légèrement plus élevées (comprises entre 40 et 60 GHz) ».
Il est important de rappeler que les effets des fréquences millimétriques – 26 GHz dans le cas de la 5G – et ceux sous les 6 GHz ne sont pas les mêmes : « La physique des interactions entre les rayonnements électromagnétiques et les propriétés diélectriques des tissus biologiques implique que plus la fréquence des ondes électromagnétiques augmente, plus les ondes sont absorbées par les couches superficielles de la peau et plus la profondeur de pénétration de ces ondes dans l’organisme diminue ». L’Anses reprend les recommandations de l’ICNIRP mises à jour en 2018 qui indiquent « qu’au-delà d’environ 6 GHz, l’échauffement survient principalement au niveau de la peau ».

4 études sur les 3,5 GHz, 174 pour les 26 GHz… au sens large
Pour trouver des études scientifiques « relatives aux effets biologiques et sanitaires éventuels liés à l’exposition aux champs électromagnétiques » et ainsi pouvoir poser son diagnostic, l’Anses s’est appuyé sur les moteurs de recherches Scopus, PubMed et EMF-Portal (les algorithmes utilisés sont détaillés page 24 de ce document).
S’il en était besoin, on se rend compte ici de l’intérêt de la science ouverte. Après élimination des doublons et un tri en deux étapes – d’abord sur la base de la lecture du titre et du résumé, puis sur la base de la lecture du texte intégral − seulement « quatre études concernant la bande [3 – 4] GHz ont été identifiées ».
La pêche n’est pas meilleure sur les 26 GHz car « aucune étude portant sur des fréquences comprises autour de 24 GHz, y compris jusqu’à 30 GHz, n’a été identifiée ». Par contre, en prenant un compte un spectre étendu, l’agence dispose d’un « total de 174 études concernant la bande [24– 60] GHz ».
Peut-on extrapoler les données existantes ?
L’Anses regrette donc le « manque important voire une absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels » pour les 3,5 GHz. Elle imagine un plan B, qui doit encore être validé : « dans quelle mesure, et sous quelles conditions, les résultats déjà obtenus en matière d’évaluation des risques pour la santé [pour des fréquences inférieures à 3 GHz, ndlr] pourraient être extrapolés et donc pertinents pour la 5G ».
Dans tous les cas, de telles extrapolations ne seraient pas suffisantes et son Comité d’experts spécialisé (CES) souligne « la nécessité de mener en parallèle des études dans la bande de fréquences autour de 3,5 GHz ». La recommandation est la même pour les fréquences comprises entre 24,25 et 27,5 GHz.
La question du beamforming en 5G
Un autre point à prendre en considération est l’utilisation d’antennes MIMO (Multiple-Input Multiple-Output) pour améliorer les performances de la 5G afin de « focaliser » l’émission vers une zone précise.
Les antennes « permettent ainsi de diriger le signal radio uniquement vers les utilisateurs quand ils en ont besoin plutôt qu’il soit émis dans toutes les directions de manière constante. Les puissances instantanées seront donc plus importantes, mais théoriquement plus limitées dans le temps et dans l’espace, ce qui modifiera les schémas d’exposition des utilisateurs ».
Bref, l’ANSES se contente pour le moment de soulever les nombreuses questions relatives à l’arrivée de la 5G et fait le point de la bibliographie disponible. Il faudra maintenant qu’elle épluche les publications scientifiques et tente d'apporter des réponses plus concrètes.
Démonstration du beam tracking avec de la 5G. Sur la gauche le "terminal" est bougé par l'ingénieur et l'émetteur s'adapte automatiquement pic.twitter.com/b4qI3e1U11
— INpact Hardware (@inpacthardware) January 25, 2017
La version finale arrivera après les premiers déploiements de la 5G
La version finale de son rapport est attendue pour le premier trimestre 2021, une date finalement assez lointaine puisque la procédure d’attribution des fréquences devrait se terminer au printemps, avec les premiers déploiements prévus dès la seconde moitié de l’année 2020.
Les opérateurs devront d’ailleurs s’engager à « ouvrir un service commercial basé sur un accès mobile disponible sur au moins 50% de la surface d’une commune de plus de 150 000 habitants et sur au moins 50% de la surface d’une autre zone d’un seul tenant couvrant au moins 150 000 habitants, situées dans des régions administratives distinctes ».
La 5G inquiète déjà certains collectifs, qui n’ont pas attendu le rapport préliminaire de l’Anses pour faire part de leurs craintes. L'Agence ne se prononçant par encore sur le fond, la situation ne devrait pas changer avant plusieurs mois.