Les députés ont adopté cette nuit l’article 1er de la proposition de loi contre la haine en ligne. Celui qui instaure un délit de non retrait des contenus manifestement rattachés à une infraction. Après l'échec de la commission mixte paritaire, le texte a une nouvelle fois divisé. Compte rendu de ces heures de séance nocturne.
« Comment continuer à faire société quand s’insinue au plus profond d’entre nous le sentiment d’impunité ? » Dès les premières minutes de cette nouvelle lecture, Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, est venu apporter le soutien gouvernemental à la proposition de loi déposée et défendue par la députée LREM Laetitia Avia.
Enfonçant quelques portes ouvertes, le membre du gouvernement assure que la haine ne peut être tolérée en ligne comme dans la rue et celui-ci a voulu battre une idée « trop souvent répandue » selon laquelle il serait « vain de légiférer » ou d’appliquer le droit en ligne. Il a tenu à saluer ce droit en gestation, engageant un cadre « efficace », « applicable », « vérifiable ». Non sans regretter qu’il n’y ait pas eu « d’accord transpartisan ».
L’échec de la commission mixte paritaire se résume aisément : si les députés ont défendu bec et ongles l’idée d’un délit de non-suppression des contenus manifestement rattachés à une infraction « haineuse », les sénateurs lui ont préféré une sanction administrative dans le cadre d’une obligation de moyen.
De même, les premiers avaient voulu faire entrer les moteurs de recherche dans la boucle, ce qu’ont refusé les seconds. Néanmoins, Cédric O a salué la « prise de conscience » sur la problématique du texte. « La loi est fortement attendue. Elle sera scrutée », notamment par les autres États membres qui n’ont pour l’heure que l’expérience allemande sous la dent, ou le Digital Service Act en chantier à Bruxelles.
Laetitia Avia pour sa part est revenue sur la longue histoire de cette proposition de loi sur laquelle le gouvernement a déclaré l’urgence, afin de limiter le nombre de navettes entre députés et sénateurs.
Elle a épinglé ceux qui ne conjuguaient son texte que sous l’angle du renoncement : une mission contre la haine en ligne qui allait être vaine, un rapport qui ne servirait au mieux qu’à caler « des armoires ». Elle a salué la volonté politique du chef de l’État, tout en dénonçant plus directement ces sénateurs qui ont voulu « laisser aux plateformes les clefs d’une voiture de course », avec la liberté de choisir la route et la destination finale.
Entre le délit de non-retrait, les nouveaux pouvoirs accordés au CSA, la possibilité pour le conseil d’adresser des sanctions administratives en cas de surcensure, voilà une proposition qui serait, selon elle, « aux antipodes du renoncement ». L’objectif, insiste la députée LREM, est qu’en 2020 en France, plus personne n’ait peur de s’exprimer sur les réseaux sociaux.
« Une énième déclinaison de la grammaire de la novlangue »
La beauté du portrait tiré par la rapporteure n’a pas été partagée par Danièle Obono. Selon la députée France Insoumise, cette proposition donne le pouvoir de régulation de la liberté d’expression aux plateformes.
Il renforcerait leur situation monopolistique, aux antipodes des volontés ou des opportunités initiales attendues des réseaux, à savoir offrir une place aux discours des citoyens face aux géants des médias. « Vous allez finir par faire d’Internet, ce que vous avez fini par faire de la télévision et de la radio ». Et selon l’élue, « votre proposition de loi n’est qu’une énième déclinaison de la grammaire de la novlangue ».
Sans surprise, la motion de rejet LFI a été repoussée dans un hémicycle où le groupe LREM est en majorité. Son collègue Alexis Corbière a regretté que la proposition génère une forme de prime à la censure où les plateformes privilégieront la censure rapide plutôt que de faire face à des sanctions très lourdes.
Toujours dans la discussion générale, Frédéric Reiss, député LR, s’est souvenu des observations de la Commission européenne, peu tendres avec le texte français. Vouloir imposer aux plateformes des obligations non conformes au droit EU, a-t-il relevé, « n'est pas très raisonnable ».
La future loi Avia ? Un fondement à d'autres textes
Si le groupe s’est dit réticent, le MoDem s’est montré beaucoup plus satisfait de la rédaction actuelle, excepté Philippe Latombe. Mieux. Pour Isabelle Florennes, « ce texte servira de fondement à d'autres dans un futur proche ». En somme la future loi Avia aujourd’hui calquée sur les contenus dits haineux, pourrait être déclinées, servir de trame, de modèle.
Le PS a également montré tout son intérêt. « Aujourd'hui j'ai le sentiment que nous sommes arrivés à un équilibre tout à fait acceptable », a ainsi jugé la députée George Pau-Langevin.
Au sein de l’UDI et apparentés, qui a annoncé voter favorablement, Laure de la Raudière a répété son opposition au cœur de la proposition, à savoir la responsabilité pénale des plateformes en cas de non-suppression des contenus haineux. « On demande à la plateforme de jouer le rôle du juge », alors que la zone d’ombre, celle des contenus gris, ne serait pas convenablement traitée par des algorithmes, bêtes amas de codes incapables de faire le tri entre opinions et contenus infractionnels.
Confier le pouvoir de juge aux plateformes dans le traitement des contenus illicites a aussi été épinglé par la députée Frédérique Dumas (Libertés et Territoires). Alors que la Commission européenne a invité la France à travailler plutôt sur le Digital Service Act, l’élue considère que Paris, en prenant une mesure nationale, compliquera le chantier en cours.
Stéphane Peu (GDR) a mis pour sa part l’accent sur les moyens dévolus à la justice, dont le caractère « intangible » ne pourrait conduire qu’à un transfert de pouvoir de régulation aux plateformes. Selon lui, Pharos, plateforme de signalement gérée par la police, il n’y a que 24 fonctionnaires, et 6 pour la seule cellule dédiée à la haine en ligne. Ce pour gérer 163 000 signalements.
« 8 membres d'un journal satirique sont morts pour avoir usé de la liberté d'expression ». Cinq ans plus tard, Marine Le Pen pense que les dessins de Charlie Hebdo tomberaient désormais dans le champ des contenus à supprimer en 24 heures. « Seule la justice peut dire si un propos est contraire à la loi, non une plateforme, un algorithme ou un modérateur ». « MLP » n’a pu s’empêcher de relever que la proposition de loi ne fustige pas « le premier vecteur de haine », à savoir, selon l’élue, « l’islamisme ».
Minuit, l'heure du délit
À minuit, l’article 1 a été adopté. Pour mémoire, il dresse une liste d’infractions que les opérateurs auront impérativement à supprimer dans les 24 heures. Y sont compris l’apologie des crimes contre l’humanité, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.
S’y ajoutent la provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap. N’oublions pas l’injure raciale, à raison de l’orientation sexuelle.
« La liberté d’expression doit l’emporter. On ne doit pas privatiser la censure en la confiant aux algorithmes des réseaux sociaux ! » s’est vainement exprimé Guillaume Larrivé. Il avait déposé comme d’autres députés, un amendement de suppression.
Laetitia Avia a défendu ce délit de 250 000 euros d’amende. Et pour justifier ce modèle où la plateforme est finalement aux premiers rangs de la régulation, elle a considéré que même si on multipliait le budget de la justice par 1 000, il serait impossible de mettre un juge derrière chaque contenu. 8 millions de vidéos ont par exemple été modérées par YouTube ces trois derniers mois. Une idée de l’ampleur de la tâche.
La quasi-totalité des amendements non LREM a été repoussée comme celui de Philippe Latombe (Modem) qui avait imaginé un système de suspension provisoire des contenus.

Un champ (un petit peu) réduit
Au passage, le gouvernement a réduit le champ infractionnel de l’article 1er pour retirer celles à la traite des êtres humains et au proxénétisme, dont le caractère manifestement illicite serait trop difficilement qualifiable .
La députée Avia a déposé un sous-amendement pour remettre le harcèlement sexuel dans la boucle, autre infraction que voulait retirer l’exécutif. Selon elle, il s’agirait d’un « contenu, par nature, manifestement illicite ». « Nous ne pouvons pas retirer cette infraction du champ. Cela touche principalement les jeunes sur les réseaux sociaux. Des publications, des vidéos, des plateformes sur lesquelles des personnes s’adonnent à du harcèlement sexuel ».
La députée Laure de la Raudière avait proposé une solution sur les contenus gris, ceux pas tout à fait manifestement illicites, mais qui seraient retirés malgré tout par les plateformes à titre de précaution pénale. Elle avait envisagé, en pareil doute, « la possibilité, pour les plateformes, de saisir le juge judiciaire ».
Le délai de 24 heures aurait alors été reporté à la date de sa décision. Avis défavorable de Laetitia Avia, pour qui une plateforme peut déjà aujourd’hui saisir le juge. Elle a assuré aussi que si une plateforme retirait trop tardivement un contenu, en accomplissant les diligences nécessaires comme justement saisir la justice ou l’auteur des propos pour jauger du contexte, le caractère intentionnel de l’infraction ferait défaut.
Une grille d’analyse non partagée par Frédérique Dumas, qui ne l’a pas retrouvé dans la lettre de la proposition de loi.
Les vidéos pornos accessibles aux mineurs devront être retirées, non celles violentes
La future loi est présentée comme s’attaquant aux contenus « haineux ». Toutefois dans le périmètre des infractions, les opérateurs de plateformes comme YouTube, Facebook ou Twitter se devaient aussi de supprimer les contenus violents ou pornographiques susceptibles d’être vus par un mineur (article 227-24 du Code pénal).
Comme déjà souligné, l’infraction pourrait conduire à faire supprimer des vidéos très violentes, au hasard celle d’un manifestant recevant des coups de poing d’un agent des forces de l’ordre. À l’amendement 162, adopté, Laetitia Avia a finalement réservé ce traitement qu’aux seuls contenus pornos (vidéos, textes, photos…)
L’argument ? « Afin de mieux cibler cette obligation et compte tenu des conséquences particulièrement néfastes de l’exposition croissante des enfants à la pornographie en ligne, qui ne cesse de croître, cet amendement restreint l’obligation de retrait des contenus contrevenant manifestement à l’article 227-24 du Code pénal à ceux à caractère pornographique ».
L'obligation de retrait en 60 minutes
Au passage les députés ont adopté l’amendement 161 du gouvernement qui permet aux policiers d’adresser des notifications aux sites pour les contraintes à retirer les contenus « pédo » ou « terro » dans l’heure. Tous les groupes ont regretté la méthode : l’exécutif n’a déposé cet amendement que quelques heures avant les débats en nouvelle lecture.
Frédérique Dumas a relevé non sans malice qu’il était donc possible de laisser aux autorités la possibilité de qualifier un contenu avant de réclamer son retrait par les opérateurs. L’argument, quoique de poids, n’a pas eu d’effet (notre actualité).
L’article 1er a été adopté. Les débats reprendront cet après-midi et ce soir.