Mineurs et porno en ligne : pour Jacquie et Michel, « la prévention est la meilleure des armes »

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Droit 8 min
Mineurs et porno en ligne : pour Jacquie et Michel, « la prévention est la meilleure des armes »
Crédits : Pseudopixels/iStock/Thikstock

Suivant le cap fixé par Emmanuel Macron, une proposition de loi LREM a été déposée afin de lutter contre l’accès des mineurs au porno en ligne. L’idée ? Disqualifier pénalement la solution utilisée par la plupart des sites pour adultes, la bannière dite de « disclaimer ». L'éditeur Jacquie et Michel revient dans nos colonnes sur cette problématique.

Le Code pénal prévoit à ce jour 3 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour quiconque fabrique, transporte ou diffuse un contenu pornographique, dès lors que celui-ci est « susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».

Juridiquement, explique la commission des lois, cet article « n’exige aucune intentionnalité de la part de l’auteur des faits : le délit est constaté objectivement, par l’exposition d’un mineur au message qui lui est interdit, sans que celle-ci résulte forcément d’une volonté délibérée ou perverse ».

Cette intentionnalité de l’acte « est acquise dès lors que son auteur a conscience du contenu du message et de le fabriquer, de le transporter ou de le diffuser dans des conditions qui rendent un mineur susceptible d’y accéder ». Il pèse ainsi sur les producteurs, les transporteurs et les diffuseurs d’un contenu X, « une obligation de moyens pour prévenir l’accès des mineurs à leur marchandise ».

L’article 11 de la proposition de loi contre les violences conjugales ajoute en conséquence un alinéa à cet article 227-24 du Code pénal pour revoir cette obligation de moyen. Il prévoit que ces infractions « sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans » (notre actualité détaillée).

Ainsi, le simple fait d’afficher sur la page d’accueil un message d’alerte demandant à l’internaute de déclarer qu’il est adulte ne permettrait plus d’évincer le risque de condamnation. C’est très exactement ce qu’a souhaité le chef de l’État, pas plus tard qu’en novembre 2019.

Comment les sites pour adultes vont-ils gérer cette contrainte, sachant qu’il reviendrait en l’état à chacun de déterminer les moyens adéquats pour s’assurer que l’internaute est bien un majeur ?

Le bridage, solution séduisante mais vaine

Contacté, « Thierry », l’un des responsables du site X Jacquie et Michel enfonce une porte ouverte avant de tirer le signal d’alarme : « nous sommes évidemment pour la protection des mineurs, mais étant un pur produit internet depuis 1999, nous n'avons que trop conscience du fait que tenter de le brider est chose vaine ».

Lors de son audition par la rapporteure, la députée LREM Bérengère Couillard, « nous avons argumenté sur le fait que les VPN annihileraient toute action concrète techniquement mise en place. Aussi, nous pensons que la prévention est la meilleure des armes ».

Pour la plateforme pour adultes, imposer une telle réforme en France « ne ferait que faire mettre au pli les entreprises du X françaises qui sont passées d'une quinzaine il y a une dizaine d'années à deux aujourd'hui ». La solution serait donc à rechercher plutôt du côté des parents. « Ils doivent être sensibilisés aux solutions déjà existantes et pour la plupart efficaces, ils doivent aussi surveiller la consommation écran de leurs enfants ».

Sur le site X, « nous avons décidé de commencer par modifier nos disclaimers en y ajoutant un paragraphe concernant la protection des mineurs. Nous avons déjà eu des échos de parents qui n'y pensaient pas et qui nous remerciaient ». Toutes les pages d’accueil des sites édités par le groupe Ares (outre Jacquie et Michel, la Voix du X, Colmax, Hot Vidéo, etc.) vont elles aussi être revues et corrigées « pour continuer la sensibilisation ». D’autres réformes sont envisagées « comme la création obligatoire d'un compte même pour visionner les trailers ».

Une proposition de loi, mais beaucoup de questions

Le sujet épinglé par la proposition de loi interroge. « Le problème de la question judiciaire reste les abus. À quel moment définit-on qu'un site n'est pas conforme ? Doit-on définir des pratiques "acceptables" et d'autres non ? Qui va décider de ça ? ». Notre correspondance craint qu’à l’occasion, « on entrave la liberté sexuelle, le fantasme et l'évasion ».

Par contre, « si une solution technique est viable et qu'elle peut être appliquée à TOUT le monde (et pas qu'aux Français), alors discutons-en ». Dit autrement, une solution franco-française fait tressaillir. La plateforme nous relate que depuis 2006 et le succès des « tubes » spécialisés (YouPorn, PornHub, etc.) « sept studios sur dix dans le monde ont mis la clef sous la porte ».

Ces sites « ont déversé pendant des années des milliers de contenus gratuits, volés aux studios, attirant un trafic colossal. Dans notre groupe, la VOD ne représente plus que 25/30% de notre chiffre d’affaires global. Ceux qui n'ont pas diversifié leurs activités ont dû fermer ».

L’état du marché est simple : « Ils se sont maintenant acheté une virginité en rachetant un à un les survivants. Il y a deux grands groupes mondiaux : MindGeek (Pornhub, Youporn, Brazzers, Mydirtyhobby...) et WGCZ (Xnxx, Xvidéos, Penthouse, Private, LegalPorno...) qui contrôlent 90 % du porno. Suivent aussi les Russes de Xhamster. Les pourcentages restants sont partagés par une trentaine d'entreprises. Beaucoup plus petites ».

Lors de son audition par la rapporteure, l’éditeur a souligné sans mal qu’aucune solution ne serait efficace à 100 %. Dit autrement, un mineur qui voudrait voir des contenus X parviendra toujours à ses fins.

L’idée d’introduire un tiers de confiance

Sur le papier, plusieurs solutions sont envisageables comme l’instauration d’un tiers de confiance dont la mission consisterait à contrôler les accès pour interdire les visites des moins de 18 ans. Le secrétaire d'Etat au numérique Cédric O avait ainsi envisagé un temps un lecteur de carte pour valider sa majorité à l’entrée de ces sites. 

Évidemment, on pense ici à Alicem (ou Authentification en LIgne CErtifiée sur Mobile), solution reposant sur un système de reconnaissance faciale et lecture des documents d’identité (notre interview de Jérôme Tellier, directeur de l’Agence nationale des titres sécurisés ou ANTS). Une solution donc séduisante, mais à la concrétisation problématique.

Comment s’assurer du respect de la vie privée ? Comment garantir sa conformité au règlement général sur la protection des données personnelles ? Le RGPD range en effet dans le tiroir des données dites sensibles, celles concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique (article 9), au point d’en interdire par défaut le traitement.

Autre chose, son déploiement interroge sur des sites généralistes comme Twitter où quiconque peut trouver des photos X en un rien de temps. Nul besoin de rappeler qu’outre-Manche, un tel projet s’est soldé par un flop magistral.

Réclamer un numéro de carte bancaire à l’entrée des sites pornos ?

Autre suggestion : réclamer un numéro de carte bancaire à l’entrée des sites. Le hic est qu’il est possible pour un mineur de détenir une telle carte. En outre, une telle personne peut utiliser les numéros de ses parents.

Évidemment, là encore un VPN réduirait ce filtre à néant puisqu’il permettrait de simuler une connexion depuis une pays à la législation moins rugueuse. Enfin, la solution serait inapplicable à l’égard des sites X étrangers, lestant d’autant plus la position concurrentielle des acteurs français.

Par ailleurs, dans ce panorama dressé en 2003 par le ministère de la Culture, un arrêt de la cour d’appel de Paris indique, selon le résumé, que « la circonstance que l’accès à un site soit subordonné au paiement d’un droit d’accès, lequel peut être effectué par carte bancaire, ne suffit pas à regarder ce site comme totalement inaccessible aux mineurs » (la copie de l’arrêt, retrouvée  sur Archive.org)

L’une des pistes soufflées à la rapporteure par l’éditeur serait d’imposer aux sites X l’usage d’un script afin de garantir leur identification immédiate et systématique par les solutions de contrôle parental. Une sorte de « warning » interprétable par ces outils. On voit toutefois mal comment l’imposer à l’égard d’un site mexicain focalisé sur le public vénézuélien...

La délégation aux droits des femmes préconise le blocage

Saisie pour avis sur la proposition de loi discutée en séance les 28 et 29 janvier prochains, la délégation aux droits des femmes préconise d’aller beaucoup plus loin. Dans sa onzième recommandation, elle plaide tout simplement pour « un système de fermeture temporaire de l’accès, en France, aux sites Internet pornographiques ne respectant pas l’interdiction de diffuser un contenu pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ».

Solution qui séduit aussi la députée Bérangère Couillard. Rien de neuf sur le soleil du porno. En 2015, questionné par le député GDR Jean-Jacques Candelier, le ministère de la Famille avait identifié « plusieurs inconvénients importants ».

Le blocage « s'avère techniquement très difficile à mettre en œuvre, particulièrement pour les sites étrangers, les plus nombreux et les plus consultés ». De plus, « la mise à jour de la liste des sites interdits et les critères de choix posent également question ». Enfin, « les stratégies de contournement de l'interdiction peuvent aisément être élaborées alors qu'a contrario des sites de prévention et d'éducation sexuelle pourraient eux aussi devenir inaccessibles ».

Ainsi, plutôt que le blocage systématique des sites pour adultes, le même ministère préférait finalement privilégier « des mesures plus efficaces comme la bonne utilisation des logiciels de contrôle parental, mais aussi des actions de prévention, d'éducation à la sexualité, de respect de l'égalité femmes/hommes et de déconstruction des stéréotypes véhiculés par de très nombreux sites internet ».

Dans la charte révélée dans son intégralité par Next INpact vendredi dernier, les acteurs (opérateurs, FAI, éditeurs d’OS, fabricants de smartphone, etc.) ont pris plusieurs engagements dont celui de proposer des solutions pour protéger les mineurs, activables par les parents. Une nouveauté toute relative pour les fournisseurs d'accès.

 L’article 6 I 1 de la loi sur la Confiance dans l’économie numérique prévoit déjà qu’ils doivent informer « leurs abonnés de l'existence de moyens techniques permettant de restreindre l'accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens ». 

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