Bérangère Couillard (LREM), rapporteure de la proposition de loi contre les violences conjugales, ne veut pas seulement disqualifier les disclaimers à l'entrée des sites pornographiques. Elle envisage de bloquer ces sites dès lors qu'ils seraient susceptibles d'être vus par le jeune public. Explications.
Le Code pénal prévoit 3 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour quiconque fabrique, transporte ou diffuse un contenu pornographique, dès lors que celui-ci est « susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».
C’est à partir de cette disposition qu’un texte LREM entend aiguiser la lutte contre l’accès des mineurs au porno en ligne.
Taillé pour l’occasion, l’article 11 de la proposition de loi contre les violences conjugales vient compléter cet article 227-24 du Code pénal en prévoyant que ces infractions « sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans. »
Dit plus simplement, le simple fait de placarder une bannière ou un « disclaimer » à l’entrée d’un site porno où l’internaute déclare qu’il est « majeur » ne sera plus suffisant. L’introduction d’une telle disposition ne doit rien au hasard puisqu'elle s'inscrit dans la suite de plusieurs sorties officielles du président de la République.
Des vœux présidentiels à la proposition de loi contre les violences conjugales
En novembre 2017, Emmanuel Macron s’était déjà plaint du manque de régulation de l’accès aux contenus pornographiques en ligne. « Aujourd'hui, précisait-il à l’occasion de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes, la pornographie a franchi la porte des établissements scolaires comme naguère l'alcool ou la drogue ».
Et selon lui, « nous ne pouvons pas d'un côté déplorer les violences faites aux femmes et de l'autre, fermer les yeux sur l'influence que peut exercer sur de jeunes esprits, un genre qui fait de la sexualité un théâtre d'humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes ».
Un an plus tard, pour la journée cette fois des droits de l'enfant, il a souhaité la mise en place d’un « contrôle parental par défaut », sauf si le marché parvenait à trouver « une solution robuste » dans les 6 mois pour régler cette question.
Le chef de l’État annonçait dans la foulée sa volonté de voir préciser dans le Code pénal que « le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l’accès à la pornographie des mineurs ». Selon lui, « le choix des moyens sera laissé à l’appréciation des sites pourvu qu’ils soient efficaces et réels ».
Autant dire que la « PPL » vient traduire légalement cette volonté présidentielle.
Le porno est légal mais doit être inaccessible aux mineurs
Sur les dispositions précitées, un document de la commission des lois de l’Assemblée nationale rappelle que si « la fabrication, le transport et la diffusion d’un message pornographique sont des activités parfaitement légales », le Code pénal sanctionne bien « l’exposition de mineurs à son contenu, voire l’existence de mineurs susceptibles d’être exposés à son contenu ».
La jurisprudence est mince sur le sujet. Un arrêt phare a été rendu le 23 février 2000. La Cour de cassation avait en effet validé un arrêt d’appel qui avait condamné l’éditeur d’une revue ayant offert à ses lecteurs un CD-ROM. Sur ce support, étaient copiés des contenus pornos, certes protégés par une clef.
Mais « si ces disques étaient cryptés, des enfants pouvaient les obtenir, ainsi que la clé permettant leur visionnage, simplement en se présentant comme majeurs, sans aucun contrôle, par l'intermédiaire d'un serveur télématique ». Près de 20 ans plus tard, la problématique reste donc la même, à supposer que les moeurs n'aient pas bougé d'un poil.
Selon l’analyse de la commission des lois, cette contrainte d’accès s’analyse comme une obligation de moyens : « Il pèse (…) sur les producteurs, les transporteurs et les diffuseurs d’un message pornographique une obligation de moyens pour prévenir l’accès des mineurs à leur marchandise ».
Une obligation « d’autant plus importante que l’attitude active et intentionnelle d’un mineur pour accéder au contenu interdit n’exonère pas de sa responsabilité le fabricant, le transporteur ou le diffuseur du message ».
En clair, la situation des éditeurs de « tubes » pornographiques va être périlleuse. Ils peuvent aujourd'hui échapper à la condamnation s’ils démontrent avoir opté pour les moyens techniques adéquats à l’entrée de leurs sites. Toutefois, la loi en gestation disqualifiant les bannières de vérification d’âge, il reviendra à chaque site de se débrouiller pour trouver une solution de remplacement. Belle affaire, qui s'est soldée par un bide outre-Manche.
20 millions de Français piqués au porno, chaque mois
« Il va falloir agir sur ce sujet ! » Lors de la séance du 15 janvier (00:51 et s.), la rapporteure Bérangère Couillard (LREM) s’est en tout cas émue que « 20 millions de Français regardent des sites pornographiques chaque mois ». Un niveau considéré comme « énorme », d’autant que des mineurs figureraient dans le lot.
Selon l’élue, les jeunes « ont des relations violentes quand ils ont 14 ou 15 ans quand ils sont avec leur première petite copine ou premier copain. Des actes violents dans les gestes mais aussi dans les relations sexuelles. Et donc évidemment, c’est l’accès à la pornographie en deux clics qui crée aussi ce problème ». Notons le « évidemment ».
Un amendement « blocage » en préparation de la séance
La pénalisation de ces sites trop facilement accessibles ne serait qu’une première étape. La députée LREM table sur une mesure plus musclée encore (00:53 et s. de la vidéo) : « Je souhaite mener des auditions complémentaires pour voir comment on peut agir pour la fermeture des sites qui ne respecteraient pas ces nouvelles conditions. Je pense à ces sites qui sont en libre accès avec des vidéos non payantes ».
Toujours lors des échanges en commission, elle avait quelques jours plus tôt vanté l’existence de dispositifs de blocage, « juridiquement sûrs et employés sans la moindre critique ». Elle regardait d’un œil attentif la législation sur les jeux d’argent en ligne (qui s’appuie sur un blocage judiciaire, et donc ordonné par une décision de justice). « C’est sans doute un exemple dont on pourrait s’inspirer d’ici la séance publique » (00:32 et s.).
Selon elle, « Internet s’érige en ce domaine en place de non-droit dans la complaisance générale avec toute une génération qui fait désormais son éducation à l’entrée au collège sur les scènes les plus extrêmes et avec une image des femmes totalement déplorables ». Un Internet où « des éditeurs étrangers mettent des millions de vidéos à disposition sans contrôle réel et qui échappe à tout contrôle parental alors que les buralistes se voient rappelés à l’ordre s’ils ne placent pas les magazines spécialisés à la bonne hauteur ».
L’examen en séance est programmé les 28 et 29 janvier 2020.
Le porno dans la proposition de loi Avia et le projet de loi Audiovisuel
D’autres textes en cours vont eux aussi permettre de s’attaquer au porno. Dans la proposition de loi contre la haine en ligne, la députée Laetitia Avia (LREM) a ajouté les contenus pornos accessibles aux mineurs parmi ceux que les plateformes devront supprimer en 24 heures.
Twitter aura donc à déterminer si telle photo, telle vidéo ou tel texte est « pornographique », est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur. Le cas échéant, il devra s'assurer de son retrait rapide en France sous la menace d’une amende de 1,25 million d’euros infligée par un tribunal. Autant dire que les notifications devraient pleuvoir sur ses équipes de modération, adressées par les plus prudes de ses abonnés.
Ce n’est pas tout. La future grande loi sur l’audiovisuel va armer l’Arcom – nouveau nom du CSA – d’un pouvoir inédit : après la radio, la télévision, les chaînes vidéo professionnelles, il sera compétent pour réguler les vidéos générées par les utilisateurs sur les plateformes comme YouTube (mais aussi les YouPorn-like).
L’Arcom devra veiller à ce que ces hébergeurs « prennent les mesures appropriées » pour que soient respectées les dispositions de l’article 15 de la loi de 1986 sur la communication audiovisuel : protection de l’enfance, de l’adolescence, respect de la dignité de la personne... De même, les programmes susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne devront pas être mis à disposition du public sauf apposition d’un système de contrôle parental. Cette loi à venir devrait aussi conduire à généraliser les dispositions de vérification d’âge.