La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale reprendra la semaine prochaine l’examen de la proposition de loi visant à mieux encadrer le démarchage téléphonique. Next INpact a pu interroger son auteur et rapporteur, Christophe Naegelen, sur la tournure que devraient prendre les débats à venir.
Bien que les parlementaires de tous bords jugent la liste d’opposition Bloctel insuffisante et inefficace, la réforme de la législation applicable au démarchage téléphonique avance de manière pour le moins laborieuse...
En juin 2018, les députés ont adopté – après que la majorité l’ait largement édulcorée – une proposition de loi déposée par le groupe LR, et soutenue notamment par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir.
En décembre de la même année, les élus du Palais Bourbon se sont à nouveau penchés sur le sujet en approuvant une seconde proposition de loi, portée par le centriste Christophe Naegelen, et visant cette fois « à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux ». Ce texte, plus vaste, reprenait en grande partie les mesures votées quelques mois plus tôt par l’Assemblée.
Seule cette seconde proposition de loi a pu être débattue – et adoptée – par le Sénat, en février 2019. Les élus de la Haute assemblée ont toutefois procédé à différentes modifications (voir notre article) : plafonnement des amendes encourues par les contrevenants, introduction de « normes déontologiques », par décret, afin d’imposer par exemple aux prospecteurs de respecter certains jours et horaires de démarchage, etc.
Or on le sait : ce texte étant poussé par des parlementaires, il n’y aura en principe d’adoption définitive qu’en cas de vote « conforme », à la virgule près, entre les deux assemblées. Toute modification entraîne une poursuite de la navette.
Quel regard portez-vous sur le texte adopté par le Sénat, il y a quasiment un an ?
Il y a eu des modifications qui ont été apportées, parfois intéressantes. Mais en un an, la situation a énormément évolué. Et c'est pour cela que je pense qu'il est nécessaire d'y introduire de nouvelles dispositions.
Depuis le vote du Sénat, il y a eu les préconisations de l'Arcep, auxquelles il faudrait donner un véritable cadre légal, de telle manière à éviter le spoofing, ainsi que l'usurpation d'identité géographique [ndlr : en faisant croire par exemple que l’on appelle depuis la même région, grâce aux indicatifs « 01 », « 02 », etc.].
Et l'autre point qui me paraît extrêmement important, c'est de responsabiliser encore plus les donneurs d'ordre. Il y a certains donneurs d'ordre qui ne sont pas enregistrés sur Bloctel et qui savent très bien qu'ils passent par des centrales d'appel qui ne le sont pas plus. Je pense qu'à un moment donné, même si ce sont des centres situés à l'étranger, il faut responsabiliser la source – le donneur d'ordre – et la punir.
On se doit donc d'aller plus loin.
On ne se dirige donc pas vers une adoption « conforme », qui aurait permis de mettre un terme à la navette parlementaire ?
Non, ce ne sera pas une version conforme à celle du Sénat. Le but, c'est d’arriver à un texte qui permette d'éviter les allers-retours avec la Haute assemblée.
Quelles modifications allez-vous soutenir ?
Étant donné qu’il s’agit d’une seconde lecture, la règle de « l’entonnoir » nous empêche d’introduire des dispositifs trop innovants. Mais nous étudions plusieurs pistes d’amélioration, notamment autour de la responsabilisation des donneurs d'ordre et l'usurpation d'identité géographique.
Souhaitez-vous revenir sur le plafonnement des sanctions, tel que voté par le Sénat ?
Il reste encore une semaine [avant l’examen en commission, prévu pour le mercredi 22 janvier, ndlr], ce sont des discussions à avoir. Ce n’est pas un casus belli, mais je ne pense pas qu'il faille limiter les sanctions. Ce n'est pas un bon signal à envoyer.
Et sur le maintien de la dérogation à Bloctel en cas de « relations contractuelles préexistantes » ?
Cet article est extrêmement complexe. Nous avons encore clairement besoin de travailler. J'essaie d'expérimenter des choses, en en parlant aux différents acteurs, pour arriver à un consensus entre la position des associations [de défense des consommateurs, ndlr] et celle des entreprises.
Quel est désormais le scénario le plus plausible : un vote à l’Assemblée, suivi d’adoption « conforme » au Sénat ?
Je vais travailler avec le rapporteur du Sénat, avec les sénateurs, justement pour pouvoir arriver à un texte qui fasse consensus.
Nous n'avons plus le temps d'attendre. C'est un sujet qui est tellement important, qui embête tellement nos concitoyens, qu’on n'a plus le temps de lambiner et de se regarder dans le blanc des yeux !
Pourquoi sur ce dossier, qui fait l'unanimité sur les bancs politiques, n'arrive-t-on pas à avancer plus rapidement ?
Parce que mon groupe parlementaire [UDI-Agir, ndlr] n'a qu'une seule journée de « niche » dans l'année pour inscrire des textes à l'ordre du jour. Ce n’est pas pour rien que 95 % des textes adoptés sont des projets de loi, qui viennent du gouvernement, et non des propositions de loi, qui viennent du Parlement.
Est-ce que ça signifie, en creux, que la majorité est réticente à légiférer ?
Non, pas du tout. C’est un texte qui a été voté en première lecture à l'unanimité. J'espère qu'il en sera de même en deuxième lecture.
Je ne tiens pas à mettre de l'huile sur le feu. Tout le monde a travaillé dans le bon sens pour cette proposition de loi, ce qui est très bien.
En 2019, la CNIL est également montée au créneau en infligeant une amende de 500 000 euros à une entreprise d’isolation ayant bafoué les droits de certaines personnes qui s’opposaient à être démarchées. Que vous a inspiré cette sanction ?
On est encore dans un cas qui est différent, mais pour moi, il faut impérativement punir sévèrement et les donneurs d'ordre, et les entreprises qui s'occupent de démarcher de manière intempestive, dès lors qu'elles ne respectent pas le cadre légal.
Grâce à cette proposition de loi, le cadre légal va être grandement renforcé, sécurisé et rendu même presque plus strict qu’avec de l'opt-in. Après, se pose la question des moyens. Aujourd'hui, c'est la DGCCRF qui contrôle. Or ils n'ont pas des moyens énormes... Dès lors que les décrets d'application seront sortis, le but sera double : augmenter les contrôles, et voir dans quels cas on peut demander à l'Arcep de jouer aussi un rôle.