Alors que les plateformes de vente en ligne (et notamment les marketplaces) sont régulièrement pointées du doigt, de récents textes viennent de renforcer l’arsenal à la disposition des pouvoirs publics, et plus particulièrement de l’administration fiscale, pour lutter contre la fraude à la TVA. Explications.
Le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, l’avait annoncé l’été dernier, dans une interview aux Échos : l’État entend récupérer « plusieurs centaines de millions, voire plusieurs milliards » d’euros en luttant davantage contre la fraude à la TVA, qui est pour mémoire collectée par les professionnels lors de la vente de biens ou de services.
Dans le collimateur de l’exécutif, se trouvent tout particulièrement les plateformes de vente en ligne, implicitement considérées comme complices de certains fraudeurs.
Bien que les obligations reposant sur les épaules de ces intermédiaires aient été élargies ces dernières années (notamment avec la transmission automatique des revenus générés par leurs utilisateurs), le gouvernement a récemment décidé de resserrer la vis, en partie sous l’impulsion de l’Union européenne.
Un principe de « responsabilité solidaire des plateformes » désormais en vigueur
Le problème est désormais bien connu, comme l’a récemment souligné l’Inspection générale des finances : des vendeurs, basés à l’étranger, échappent à la TVA en passant par des marketplaces, telles celles d’Amazon ou Cdiscount. Il y a un peu plus d’un an, un rapport sénatorial reconnaissait ainsi que la fraude à la TVA s'avérait « quasiment indétectable », dès lors que les colis correspondants étaient « non-déclarés, ou déclarés abusivement » comme des envois dits à valeur négligeable (EVN), des cadeaux ou des échantillons.
Depuis le 1er janvier 2020, un principe de « responsabilité solidaire des plateformes » prévaut néanmoins à l’encontre des plateformes comptabilisant plus de cinq millions de visiteurs uniques par mois. Le dispositif, qui a des petits airs de riposte graduée, avait été programmé par la loi de finances pour 2019. Il vient d’être complété par un arrêté, publié la semaine dernière au Journal officiel.
Sur le fondement de « présomptions », l’administration fiscale pourra dénoncer à toute plateforme un utilisateur soupçonné de « se soustrai[re] à ses obligations en matière de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée ». La Direction générale des finances publiques (DGFiP) effectuera plus concrètement un « signalement », précisant notamment les « obligations fiscales pour lesquelles la défaillance de l’assujetti est présumée », ainsi que les « périodes concernées ».
La plateforme sera alors invitée à :
- Rappeler à l’utilisateur soupçonné quelles sont ses obligations fiscales et sociales (telles que le présentent certains documents de synthèse proposés par Bercy et l’URSSAF).
- Demander à ce même utilisateur « de prendre contact avec l’administration en vue de régulariser sa situation fiscale ».
- Le cas échéant, demander à l’utilisateur de fournir son numéro de TVA intracommunautaire, en vue d’une vérification (toujours par la plateforme).
- Le cas échéant, demander à l’assujetti de « désigner un représentant fiscal en France », en application de l’article 289 A du Code général des impôts.
À titre complémentaire, précise l’arrêté du 30 décembre dernier, les plateformes pourront prendre de leur propre initiative toute mesure jugée « utile ».
À charge ensuite aux intermédiaires concernés de revenir sous un mois vers la DGFiP, afin de détailler les actions effectivement entreprises : date et nature des actions mises en œuvre, éléments susceptibles de « permettre à l'administration de vérifier que l'assujetti a régularisé sa situation », etc.
Les plateformes incitées à exclure les fraudeurs
Faute de retour de la plateforme ou de régularisation passé ce délai d’un mois, l’administration aura la possibilité de franchir une seconde étape – en mettant formellement en demeure la plateforme de « prendre des mesures supplémentaires ou, à défaut, d’exclure l’assujetti concerné ».
Outre les actions énumérées précédemment, les opérateurs seront invités à prendre « toute mesure permettant de suspendre l'activité de l’assujetti concerné en lien avec des transactions imposables à la taxe sur la valeur ajoutée en France ». À nouveau, Amazon, eBay, Cdiscount... disposeront d’un délai d’un mois pour revenir vers Bercy, en précisant (et démontrant) les efforts déployés.
À défaut d’avoir exclu l’utilisateur et/ou d’avoir mis en œuvre les mesures de rétorsion réclamées par l’administration fiscale, la TVA deviendra « solidairement due par l’opérateur de plateforme ».
Une nouvelle extension dès 2021
Ce n'est pas tout, puisque la toute récente loi de finances pour 2020 entend poursuivre ce mouvement.
Sur le fondement de la directive européenne de 2017 relative au commerce électronique, le texte rend les plateformes redevables de la TVA à l’importation pour le compte de leurs utilisateurs, à partir du 1er janvier 2021, notamment lorsqu’elles facilitent des ventes de biens de plus de 150 euros, en provenance de pays situés en dehors de l’Union européenne. « Le destinataire [en principe le client, ndlr] restera solidairement tenu du paiement de la taxe », avait néanmoins souligné le Sénat au fil des débats parlementaires.
Pour les envois d'une valeur inférieure à 150 euros, les plateformes seront également réputées redevables de la TVA sur la vente de biens importés, sauf si elles effectuent une déclaration en bonne et due forme auprès d’un nouveau « guichet unique à l'importation » (dénommé « IOSS »).
Afin de faciliter les contrôles, les acteurs du e-commerce et de la mise en relation seront en outre tenus d’établir un registre recensant chaque livraison de biens ou prestation de services. Ce répertoire, à conserver pendant dix ans, devra être « suffisamment détaillé pour permettre de vérifier que la taxe sur la valeur ajoutée a été correctement appliquée ».
Les opérateurs devront préciser chaque année les montants soumis à TVA
Autre réforme, applicable depuis le 1er janvier 2020 en vertu d’un récent arrêté : les plateformes (Airbnb, Uber, Leboncoin, etc.) devront transmettre davantage d’informations à l’administration fiscale, chaque année, dans le cadre du dispositif de transmission automatique des revenus générés par leurs utilisateurs (voir notre article).
La mesure cible les professionnels, puisque les intermédiaires sont désormais tenus de préciser l’adresse URL de la « boutique » du vendeur, ou, à défaut, « l'identifiant » fourni par leurs soins. Mais aussi : « le nom commercial de l'utilisateur ou le nom d'utilisateur tel que communiqué sur la plateforme en ligne », ainsi que son numéro SIREN.
Alors que jusqu’ici, les plateformes devaient transmettre « le nombre et le montant total brut » des transactions réalisées par chacun de leurs utilisateurs au cours de l'année civile précédente, l’arrêté du 1er janvier dernier oblige les opérateurs à indiquer, « de manière distincte », le montant des transactions imposables à la TVA.
Autant dire que le fisc disposera ainsi de précieux éléments pour traquer les fraudes à la TVA. Et pour s’assurer du soutien des plateformes, la loi de finances pour 2020 prévoit l’instauration d’une « liste noire » des opérateurs jugés « non-coopératifs ».
Instauration d'une « liste noire » des opérateurs de plateforme non-coopératifs
Concrètement, dès lors qu’une plateforme fera l’objet d’au moins deux mesures de rétorsion en l’espace d’un an, l’administration fiscale pourra décider de l’inscrire, en guise de sanction, sur une « liste noire » précisant, outre sa « dénomination commerciale », son « activité professionnelle » et « son État ou territoire de résidence ».
Par « mesure de rétorsion », il faut entendre mise en recouvrement :
- De la TVA dont l’opérateur aura été rendu redevable au titre du nouveau principe de « responsabilité solidaire » des plateformes.
- De l'amende prévue pour absence de réponse à une demande de l'administration fiscale dans l'exercice d'un droit de communication non nominatif ou du droit de communication spécifique prévu à l'égard des opérateurs de plateforme.
- De l'amende prévue pour non-respect des obligations relatives à la déclaration automatisée des revenus issus des plateformes.
- D'une imposition résultant d'une taxation d’office à la TVA sur les ventes à distance réalisées par l’intermédiaire de la plateforme.
En pratique, cette mise au pilori numérique sera certes à l'initiative de l’administration fiscale, mais après avis « conforme et motivé » de la commission des infractions fiscales. Cette dernière appréciera au cas par cas, « au vu des manquements et des circonstances », si la publication est justifiée.
L’inscription sur liste noire (via « le site Internet de l'administration fiscale », précise la loi de finances) pourra durer jusqu’à un an. Elle sera d’ailleurs « retirée sans délai » dès lors que la plateforme aura « acquitté l'intégralité des impositions ou amendes » ayant motivé l’inscription sur la liste noire.
L’exécutif estime que cette mesure « permettra d’informer les consommateurs, et plus largement les citoyens, de l'identité des plateformes les moins respectueuses de leurs obligations fiscales, dans un but de transparence et d’amélioration de la concurrence dans le secteur de l’économie numérique ». En clair, le gouvernement espère que les Français se détourneront des sites pointés du doigt. Un décret devra encore préciser les modalités de mise en oeuvre de cette réforme.