Dans un arrêt rendu le 20 décembre 2019, la cour d’appel de Paris a condamné la Manif pour Tous à verser 15 000 euros de réparation à la Société protectrice des animaux. Il lui a été reproché d’avoir notamment repris le hashtag #JeVousFaisUneLettre, fer de lance d’une campagne de la SPA lancée en avril 2016.
Le 16 avril 2016, la Société protectrice des animaux lançait une campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans le cadre de l’abattage, de l’expérimentation animale et de la corrida.
Avec le hashtag #JeVousFaisUneLettre, reprenant la célèbre prose de Boris Vian, elle invitait les internautes à réagir à la maltraitance animale et à contacter le chef de l’État. Cette campagne a fait l’objet de nombreuses reprises dans la presse…mais elle a aussi inspiré l’association La Manif Pour Tous et la fondation Jérôme Lejeune.
Selon le résumé fait par la justice, dès le 23 avril, ces deux structures ont affiché « sur leurs sites Internet respectifs des visuels rappelant celui des affiches de la SPA pour traiter des causes qui leurs sont propres à savoir, pour la première, le refus de la GPA et de la PMA pour les couples de même sexe, et pour la seconde, 'l’eugénisme’ des bébés porteurs de la trisomie 21, l’avortement 'tardif’ et l’euthanasie ».
Deux images valant deux mille mots :
Reprendre un hashtag, c'est légal ?
Les visuels n’ont pas laissé beaucoup de doute sur les sources d’inspiration alors que la SPA avait dépensé 5 775 euros pour la création de ses affiches, 15 221 euros pour leur impression et 129 594 euros pour l’achat d’espaces, soit un peu plus de 150 000 euros.
La cour d’appel de Paris, saisie par l’association qui fut déjà condamnée devant le tribunal de grande instance, a rappelé ce 20 décembre 2019 que « le parasitisme, qui consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d’un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis, résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité indépendamment de tout risque de confusion ».
En comparant les deux campagnes, elle a estimé que « LMPT et la Fondation Jérôme Lejeune ont profité des investissements réalisés par la SPA tant pour la création que pour la diffusion de sa campagne, ainsi que de sa notoriété ».
Diluer, brouiller, parasiter les messages de la SPA
Et ces deux intrépides se sont bien placés dans le sillage de la société de protection pour détourner sa campagne dédiée à la cause animale « au bénéfice de leurs propres causes tendant ainsi à diluer, brouiller et à parasiter les messages de la SPA ». Elle s’est notamment appuyé sur le fil Twitter où plusieurs hashtags #JeVousFaisUneLettre provenaient de ramifications départementales de l’association.
Celle-ci s’est cependant drapée derrière la liberté d’expression et l’exception de parodie pour sauver sa cause. La SPA a combattu l’un et l’autre de ces arguments : d’un, « la liberté d’expression n’autorise pas le détournement des investissements d’autrui ». De deux, elle ne revendique pas de droit d’auteur, la question de l’exception étant hors de propos.
La cour d’appel de Paris va concentrer ses attentions sur la liberté d’expression, en rappelant le contenu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
15 000 euros pour la SPA
Le cœur de la problématique retenue par les juges d’appel est donc simple : la condamnation sollicitée par la SPA, une ingérence dans la liberté d’expression, est-elle « nécessaire, dans une société démocratique pour atteindre un des buts légitimes prévus par ledit article et en particulier la protection des droits d’autrui » ?
La cour n’aura aucune difficulté pour répondre par l’affirmative. Par cette reprise, « la campagne [de la SPA] a perdu en clarté et en efficacité, a été en partie brouillée en ce qu’elle s’est trouvée associée à des associations et à des causes qui lui sont étrangères, voire antagonistes, les sympathisants de la SPA pouvant être tout à fait réfractaires aux thèses soutenues par l’association LMPT, mais aussi affaiblie ».
Pour déterminer le préjudice de ce parasitisme, les juges ont retenu que la campagne LMPT n’a duré que 17 jours sur le site de l’association, et 8 sur celui de la Fondation Jérôme Lejeune. Autre poids dans la balance, une publication judiciaire fut ordonnée sur chacun des deux sites et seuls 14 tweets ont concerné LMPT, et un la Fondation Jérôme Lejeune.
Alors que la SPA réclamait 50 000 euros de réparation, l’association LMPT sera condamnée à payer la somme de 15 000 euros pour réparation des préjudices de la SPA. La fondation Jérôme Lejeune sera tenue solidairement à hauteur de 5 000 euros.