#BigBrotherBercy validé par le Conseil constitutionnel, après censure partielle

Prochaine étape, la CEDH ?
Droit 5 min
#BigBrotherBercy validé par le Conseil constitutionnel, après censure partielle
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY-3.0)

C’était le dernier recours interne avant déploiement effectif. Le Conseil constitutionnel a finalement validé la collecte de masse voulue par Bercy et les douanes. Seule une disposition accessoire a été censurée, mais le cœur de cette nouveauté est bel et bien sauvegardé. 

Les saisines de 60 députés (LR, PS/FI), celle de 60 sénateurs (LR), les courriers adressés par la Quadrature du Net ou les autres contributions extérieures n’y auront rien fait. Les neuf Sages n’ont pas partagé les craintes des adversaires de ce système d’une ampleur inédite : #BigBrotherBercy est conforme à la Constitution. 

Programmé par la loi de finances pour 2020 dans le cadre d’une expérimentation de trois ans, cet aspirateur a pour mission de collecter en son ventre les données ouvertes sur les réseaux sociaux, les plateformes de vente ou tous les sites de mises en relation. L’étape suivante ? Un traitement automatisé pour détecter des traces ou indices de fraudes, comme les ventes illicites de produits (drogue, tabac) ou encore les fausses domiciliations à l’étranger. 

Contrairement au Conseil d’État, le Conseil constitutionnel n’a pas vu de cavalier budgétaire dans ce processus en gestation législative. La juridiction administrative, dans son avis révélé dans nos colonnes, estimait pourtant que « ces dispositions, qui ne concernent ni les ressources ni les charges de l’État et ne sont pas davantage relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n’affectent pas l’équilibre budgétaire, ne relèvent pas du domaine de la loi de finances ».

Pour les Sages, au contraire, cet article a « sa place dans une loi de finances » puisque selon l’article 34 de la Constitution, la loi de finances de l'année peut comporter "des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire" ». Or ici, il s’agit de « doter les administrations fiscale et douanière d'un nouveau dispositif de contrôle pour le recouvrement de l'impôt ».

Atteintes proportionnées à la vie privée, à la liberté de communication et d'expression

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel relève que Big Brother Bercy permettra « d'une part, de collecter de façon indifférenciée d'importants volumes de données, relatives à un grand nombre de personnes, publiées sur de tels sites et, d'autre part, d'exploiter ces données, en les agrégeant et en opérant des recoupements et des corrélations entre elles ».

Même si les données sont rendues publiques par les personnes concernées, il y a atteinte à la vie privée. Et « dans la mesure où elles sont susceptibles de dissuader d'utiliser de tels services ou de conduire à en limiter l'utilisation, [les dispositions contestées] portent également atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication ».

Cependant, ceci posé, le conseil considère que l'atteinte n’est pas déséquilibrée, ou insupportable face à l’objectif de lutte contre les infractions fiscales et douanières. Et celui-ci de dresser la liste des garanties prévues par le législateur après d'intenses débats :

  • Le mécanisme est ciblé sur certaines infractions.
  • Le cas des domiciliations frauduleuses à l’étranger est « particulièrement difficile à déceler ».
  • Les seules données exploitées sont celles « librement accessibles » sur les plateformes, « à l'exclusion donc des contenus accessibles seulement après saisie d'un mot de passe ou après inscription sur le site en cause ».
  • Les contenus « doivent être manifestement rendus publics par les utilisateurs de ces sites » et donc délibérément divulgués par eux.
  • Il n’y a pas de système de reconnaissance faciale.
  • Seuls des agents disposant au moins du grade de contrôleur et spécialement habilités peuvent mettre en œuvre cette collecte.
  • La collecte, le traitement et la conservation ne peuvent être confiés à un sous-traitant de l'administration, contrairement à la conception des outils de traitement.
  • Les données manifestement sans lien avec les infractions recherchées et les données sensibles (comme les opinions politiques ou religieuses) devront être supprimées dans les 5 jours.
  • Les autres données inutiles seront supprimées dans les 30 jours.
  • Aucune procédure pénale, fiscale ou douanière ne sera engagée sur la seule base des fruits de cette collecte. Il faudra impérativement « appréciation individuelle de la situation de la personne par l'administration ».
  • Les internautes bénéficieront « des garanties relatives à l'accès aux données, à la rectification et à l'effacement de ces données ainsi qu'à la limitation de leur traitement ». Seul le droit d’opposition leur sera refusé.
  • Enfin, le pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge, devra « veiller à ce que les algorithmes utilisés par ces traitements ne permettent de collecter, d'exploiter et de conserver que les données strictement nécessaires à ces finalités ». 

Au final, le Conseil constitutionnel valide donc cette collecte de masse qui va pouvoir débuter en France durant les trois prochaines années. 

Une disposition censurée, des vannes ouvertes

Seule une disposition périmétrique a été censurée. Celle permettant de déployer ces algorithmes pour la recherche d’un manquement particulier : le défaut ou le retard de production d'une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure. Une indélicatesse sanctionnée par une majoration de 40 % des droits dûs. 

« Dans une telle situation, l'administration, qui a mis en demeure le contribuable de produire sa déclaration, a déjà connaissance d'une infraction à la loi fiscale, sans avoir besoin de recourir au dispositif automatisé de collecte de données personnelles » souligne le Conseil constitutionnel. Cette fois donc, l’atteinte au respect de la vie privée et à la liberté d'expression et de communication n’est plus proportionnée au but poursuivi.

Exceptée cette petite gifle constitutionnelle, les vannes sont désormais bien ouvertes. Aujourd'hui taillés pour traquer des infractions spécifiques en matière fiscale ou douanières, demain les algorithmes pourront être déclinés à toutes les sauces, notamment pour détecter d'éventuelles contrariétés aux prestations sociales.

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