Stéphane Richard était hier devant la Commission des affaires économiques du Sénat. Pendant près de 2h30, le président directeur a pu faire un exposé de la position d’Orange sur des sujets d’actualité et répondre plus ou moins précisément aux très nombreuses questions des sénateurs. Voici la première partie de notre compte rendu.
Il y a deux semaines, Orange dévoilait son plan Engage 2025 sur l’avenir du groupe pour les cinq prochaines années, où il était notamment question de la fin du réseau cuivre. Ce n’est donc pas une surprise si c’était l’un des sujets évoqués par Stéphane Richard dans son discours d’introduction.
Pour le patron d’Orange, la problématique est simple : « on ne va pas garder indéfiniment deux réseaux fixes en France », c’est-à-dire cuivre pour le xDSL et la fibre optique. Le programme a déjà été détaillé par l’opérateur : « après une première phase d’expérimentation, le décommissionnement du cuivre démarrera dès 2023 et devrait aboutir en 2030 ».
- Stéphane Richard (Orange) : fin du cuivre, prix de la fibre, 5G et… « foutaise totale »
- Djingo, Orange Bank, Cloud Act européen : satisfactions et regrets de Stéphane Richard
« L’extinction et le retrait du cuivre ont déjà démarré »
L’audition était l’occasion de rappeler que « l’extinction et le retrait du cuivre ont déjà démarré : dans les quatre dernières années, on a compacté et retiré 80 000 tonnes de cuivre de nos réseaux en France ». Il faudra encore une dizaine d’années pour « sortir complètement du cuivre ».
Stéphane Richard en profite pour lancer un appel au régulateur : « le délai fixé par l’Arcep est de cinq ans entre le moment où on peut notifier/annoncer la sortie du cuivre et le moment où elle se déroule effectivement », le but étant de laisser le temps à tous les acteurs de se préparer (clients comme FAI). « Nous pensons que ce délai de cinq ans est trop long, quand on a dix ans devant soi, ça ne va pas : l’échelle n’est pas bonne […] On demande à l’Arcep de raccourcir ce délai ». L’Autorité n’a pas encore donné sa réponse.
La fibre au même prix que le xDSL ? Non… n’en déplaise à Stéphane Richard
Lors de la séance de questions-réponses, Stéphane Richard a été interpelé sur les tarifs des abonnements fibre supérieurs à ceux des offres xDSL. Comme nous avons en effet eu l’occasion de l’expliquer récemment, là où la fibre passe, le xDSL trépasse et les clients ne peuvent plus souscrire à une offre xDSL s’ils sont éligibles au FTTH.
Le président d’Orange dément formellement : « la fibre n’est pas plus coûteuse que le cuivre, l’abonnement de base à la fibre est exactement au même prix que le cuivre, c’est un choix historique ». Pour bien faire passer le message, il le réaffirme durant son discours : « la fibre n’est pas plus chère que le cuivre », même si le « revenu moyen des abonnés sur la fibre est un peu supérieur, car ils consomment plus de services ».
Problème, ce n’est pas ce que dit le site d’Orange : l’abonnement Livebox est à 36,99 euros par mois et Livebox Up à 44,99 euros hors promotion, contre respectivement 41,99 et 49,99 euros en version « Fibre » soit 5 euros de plus par mois. Certes le tarif la première année est aligné, mais uniquement par le biais de promotions plus importantes sur le FTTH.
Chez Sosh, la marque low cost d’Orange, la situation est identique : 19,99 euros par mois en xDSL et 29,99 euros en FTTH. Là encore, la première année est à un tarif promotionnel identique de 14,99 euros par mois. On retrouve également un écart de tarif hors promotion chez Bouygues Telecom (2 euros de plus par mois en FTTH) et SFR (5 euros de plus par mois en FTTH). Seul Free ne pratique pas de différence, bien qu‘il réserve son offre la moins chère (Freebox Crystal) à ceux qui ne peuvent profiter que de l’ADSL chez le FAI.
Nous avons contacté le service presse d’Orange afin d’avoir des explications, sans réponses pour le moment.
Le « côté surréaliste » du service universel
Sur la question du service universel et l’entretien du réseau cuivre, Stéphane Richard annonce que son groupe a adopté un plan et plus de moyens : « on a augmenté de 17 % le budget de maintenance et réparation des lignes de cuivre en 2019 […] on a mis en place une Task Force centralisée » qui peut intervenir partout en France en cas de problème d’envergure.
Tous ces changements devraient conduire au respect des indicateurs de qualité de l’Arcep sur le service universel : « je ne pense pas que de ce côté-là il y aura matière à nous sanctionner… puisqu’on agite toujours cette menace ». Richard donne au passage son point de vue sur cette situation qui « a un côté surréaliste » : « le service universel, personne ne veut le faire, il n’y a pas de candidat – le seul c’est nous et on comprend pourquoi – et de toute façon si on n’avait pas été candidat on aurait été désigné d’office. Le service universel ne nous rapporte que des coups/coûts [au choix, ndlr] et des ennuis ».
Rappelons que le service universel est notamment financé par un fonds auquel participent plusieurs opérateurs, sous contrôle de l’Arcep. Pour l’année 2020, Bouygues Telecom verse 1,7 million d‘euros, SFR 1,6 million, Iliad 1,4 million, etc. Le total est de 5,1 millions d’euros.
Dans un second temps, le président d’Orange est revenu sur la question du réseau cuivre et son entretien, en reconnaissant que « ça ne sera jamais parfait ». Le FAI affirme dans tous les cas ne pas avoir « lâché cette mission et y met des moyens » : 500 millions d’euros par an pour l’entretien, les réparations étant réalisées par une autre entité d’Orange.
Les réseaux mobiles en France et le cas de Huawei
Sur la 5G, Orange est « dans les starting-blocks », ce qui ne surprendra personne, d’autant que l’opérateur dispose (et de loin) du plus grand nombre d’autorisations d’expérimentations délivrées par l’Agence nationale des fréquences (ANFR).
« En 2020, on est prêt [à déployer] partout où on le pourra, c’est-à-dire en clair partout où il y aura des fréquences et – c’est un point très important – des conditions a peu près claires pour savoir comment ce déploiement peut se faire et avec qui », indique Stéphane Richard. « La question de savoir avec quels industriels les opérateurs vont pouvoir faire leur déploiement n’est pas très claire aujourd’hui en France », ajoute-t-il.
Bien sûr, il est question de Huawei « qui est aujourd’hui, de loin et même de très loin, le premier équipementier mondial […] Sa part de marché dans les équipements de réseau dans le monde est de l’ordre de plus de 30 %. Elle est plus importante sur l’ensemble de l’Europe […] et nulle aux États-Unis (ça n’étonnera personne), ce qui explique au passage pourquoi les Américains sont très virulents contre les Chinois : le fait de bannir les Chinois ne les pénalise pas ».
Par contre, Huawei n’est pas présent en France chez Orange et Iliad, alors que des équipements radio du Chinois sont exploités par Bouygues Telecom et SFR, mais dans tous les cas pas sur le cœur de réseau : « En France, tout ce qui est cœur de réseau ne se fait pas avec Huawei, ni avec aucun Chinois, ce sont des fournisseurs américains en l’occurrence ».
En finir avec le « mythe » de l’antenne radio avec un micro
« Les questions de sécurité des données sont plus sensibles sur les cœurs de réseau. Nous estimons – nous ce n’est pas Orange mais toute l’industrie mondiale – qu’elle n’existe absolument pas sur la partie radio. Cette espèce de mythe de "j’ai une antenne qui a été fabriquée en Chine donc il doit y avoir un micro dessus qui fait que toutes mes conversations sont écoutées quelque part au parti communiste chinois" est une foutaise totale ».
Un décret met en place un régime de notification des opérateurs auprès de l’ANSSI. Pour simplifier, un opérateur doit indiquer à l’Agence qu‘il veut installer un équipement radio. Elle dispose alors de deux mois pour informer explicitement qu’elle est d’accord ou « ne rien dire, ce qui vaut rejet ». Stéphane Richard ajoute : « Nous on est plus libres, notre réseau radio c’est Nokia et Ericsson, donc la question Huawei est moins importante pour ce qui nous concerne ».
Les enchères 5G : une procédure « globalement correcte »
Sur les enchères 5G, le PDG n’est pas complétement de l'avis que la FFTélécom (dont fait partie Orange) et de Maxime Lombardini (Iliad) : « Je trouve que ce qui a été annoncé est globalement correct. Ce n’est pas idéal, mais un point d’équilibre assez raisonnable entre des objectifs différents […] Le prix n’est pas donné, mais en France ça n’a jamais été le cas ».
Concernant un éventuel retard par rapport au reste du monde (surtout après celui dans la procédure d’attribution) : « On n’est pas particulièrement en avance, mais on n’est pas à six mois près franchement ».
Pas de consolidation en vue, mais toujours plus de mutualisation
Le président d’Orange est ensuite revenu sur la question de la consolidation : il estime que l’on restera à quatre opérateurs en France : « ce n’est pas qu’on nous l’interdit, mais l’histoire propre des propriétaires des entreprises ne peut pas conduire à une solution qui permettra une consolidation ». Se pose donc la question de la mutualisation, à l’image de ce qu’ont déjà fait SFR et Bouygues Telecom sur une partie de leurs réseaux mobiles.
Pour le patron d’Orange, « il y a un certain nombre d’éléments qui poussent vers une plus grande mutualisation des réseaux, spécialement en Europe : équation économique (prix bas et investissement énorme) et aspect environnemental/écologique ». Mutualiser permet en effet de limiter la consommation énergétique des réseaux par exemple.
En prévision, Orange a décidé de regrouper dans une entité interne son parc de supports pour la téléphonie mobile, « sans intention de les vendre, mais pour se donner les meilleures conditions possibles pour aller davantage vers la mutualisation avec les autres. Éventuellement, si un jour l’occasion se présente, participer à la création d’une vraie compagnie de tours européenne avec d’autres opérateurs ».
Actuellement, Orange partagerait un tiers de son réseau mobile avec d’autres opérateurs, notamment les toits-terrasses qui seraient « beaucoup » utilisés par Bouygues Telecom et Free ; Orange affirme vouloir aller plus loin « dans cette mutualisation ». Cela permettrait aussi d’améliorer la couverture dans les zones rurales et peu denses.
Pour les entreprises, l’offre FTTE va s’étendre
Enfin, un mot sur la fibre pour entreprise qui connaît un décalage important sur la disponibilité avec le grand public : « Je prends notre part de responsabilité » lâche Richard, en reconnaissant qu’Orange n’a pas été assez « ambitieux ou réactif ».
Il promet du changement pour l’année prochaine avec une offre FTTE (E pour Entreprises) dédiée et disponible « à grande échelle ». Le FAI explique que cette offre « FTTE Passif permet à un Opérateur Entreprises de proposer des solutions innovantes et ainsi d’assurer l’accès des entreprises au Très Haut Débit sur leurs territoires ». Orange souhaite arriver à quatre fois plus de clients fibre entreprise en 2023 qu’en 2020.
Concernant le cas de Kosc en redressement judiciaire, Stéphane Richard ne souhaite pas commenter et se contente d’affirmer que la situation actuelle n’est « franchement pas la responsabilité d’Orange ». Un point partagé par Antoine Fournier, directeur général de Kosc : « Contrairement à SFR, c'est un acteur qui joue dans les règles. On a un acteur qui n'oublie pas ses intérêts, mais qui le fait dans les règles. Orange ne nous aide pas pour autant. Ces derniers mois, il a été un créancier qui a joué le jeu des procédures en cours, plutôt que chercher à nous faire disparaître ».