Loïc Hervé a déposé un amendement de suppression de l’article 57 du projet de loi de finances. Derrière #BigBrotherBercy, la possibilité pour le fisc ou les douanes de collecter massivement l’ensemble des sources ouvertes en ligne. L’élu centriste, membre de la CNIL, explique son opposition dans les colonnes de Next INpact.
Que Bercy et les douanes veuillent collecter des sources ouvertes, cela vous choque ?
Que Bercy veuille consulter, cela ne me gêne pas. Que Bercy veuille collecter, cela me choque beaucoup plus. La finalité, on la connait. C’est la lutte contre la fraude, mais on change complètement la philosophie de l’action. On ne fait plus du ciblage, mais du chalutage sur les données des gens, confié à un outil informatique – un algorithme –, qui va sortir un certain nombre de comportements suspects. Ce changement de mode de réflexion me pose problème.
Pourquoi ?
Cela relève de libertés publiques. Les données en question sont la prolongation de la vie privée des gens, de leurs activités, leurs choix politiques, de leur vie tout simplement. Elles sont rendues publiques certes, mais elles restent personnelles.
Le risque d’erreur et celui de changer la manière dont l’administration fiscale voit le contribuable me paraissent très problématiques.
Cela intervient quelque temps après l’adoption du RGPD. En quelques mois, nous avons demandé aux opérateurs électroniques de se mettre en conformité, de protéger les données personnelles qu’ils détiennent, et là on ouvre les vannes.
Pour moi, c’est un cavalier législatif. Cela n’a rien à faire dans un projet de loi de finances, mais doit faire l’objet d’une loi ad hoc. Il y a de quoi avoir un vrai débat, faire l’objet d’une discussion spécifique. Ce n’est pas possible d’aborder un tel sujet dans un article du projet de loi de finances. Lors des débats prévus en fin de matinée au Sénat, un certain nombre de collègues sénateurs vont intervenir. Ils ont les mêmes craintes que moi.
Saisie fin août, la CNIL a rendu un avis mi-septembre. Estimez-vous qu’elle a été entendue au moins partiellement ?
Je ne peux vous répondre, car je suis membre de la CNIL. La commission répond aux questions qu’on lui pose. Elle a fait un certain nombre d’observations. Il est vrai que dans la rédaction du Sénat, nous avons des garanties supplémentaires, mais je ne veux même pas aller sur ce terrain-là. Je ne veux pas rentrer en matière. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement de suppression (l'amendement, ndlr).
Je préfère qu’on supprime l’article tout bonnement et qu’on ait ce débat plus tard. Le projet de loi de finances, ce n’est pas le lieu, ce n’est pas le bon tempo, ce n’est pas le bon texte. Nous avons besoin qu’on nous explique, avec une étude d’impact. Aujourd’hui, en tant que parlementaire, j’estime ne pas être assez informé sur ce que veut faire Bercy.
Et puis c’est toujours pareil. On va nous faire le coup de l’expérimentation, qu’il existe des moyens pour supprimer des informations… on nous raconte n’importe quoi en réalité.
Avez-vous eu des échanges avec Bercy ou les Douanes ?
Aucun.
Le député Philippe Latombe se plaignait déjà d’informations lacunaires, de l’absence d’étude d’impact…
Évidemment, c’est tout de même la base de notre capacité en tant que parlementaire à faire la loi !
Des sénateurs sont-ils prêts à saisir le Conseil constitutionnel tout spécifiquement sur cet article ?
Oui. Je ne sais encore quel type de groupes (il faut 60 députés ou 60 sénateurs minimum). Me concernant, si jamais l’article est adopté, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que le juge constitutionnel se prononce sur plusieurs éléments. Des éléments formels de procédure législative visant un cavalier. Et sur le fond, le chalutage de toutes les données personnelles des Français à des fins de lutte contre la fraude fiscale. À tout le moins, cela pose question.
Les finalités de ce chalutage ont été ramenées à trois grands types d’infractions considérées comme graves, ce n’est donc pas suffisant ?
Non. Car une fois que l’outil marchera, il suffira de rajouter une ligne, ou deux ou trois ou quatre ou dix pour étendre le dispositif. L’objectif est clair : ils veulent cet outil. Ils savent que cela « gueule », donc ils annoncent des limitations. En réalité, cela pousse très fort pour avoir un instrument puissant.
Vous savez, cela s’appelle la dictature des honnêtes gens. Cela marche toujours comme cela. L’enfer est pavé de bonnes intentions. On vous raconte une histoire et à la fin, on ne poursuit plus le même objectif. Vous pouvez raconter que c’est pour trois ans, que c’est une expérimentation, qu’on a limité le nombre de finalités…
Je vais même vous dire, cela marche ! C’est moins cher et puis on chalute, on ramasse. Sur les autoroutes, veut-on lutter contre les gens qui roulent à 132 km/h ou pourchasser ceux qui foncent à 180 km/h ? Dans les caisses de l’État, je pense que ceux qui roulent à 132 rapportent plus que ceux qui roulent à 180. C’est un choix.
C’est un choix… mais on n’a pas représenté les conséquences en termes d’atteintes aux libertés publiques ! Dans le pays qui a inventé la CNIL il y a 41 ans et qui a inspiré le RGPD, il y a un double discours. L’un sur la protection des données personnelles, l’autre qui ouvre les vannes.
Ma crainte est qu’une fois qu’on sait que cela marche, on l’étende à d’autres finalités. On peut tout imaginer, mais il faut se poser les questions au bon moment. Je ne fais que rappeler la position traditionnelle des gens qui défendent les libertés publiques.