Obsolescence programmée : le point sur les mesures votées en commission, à l’Assemblée

Poubelle la vie
Droit 10 min
Obsolescence programmée : le point sur les mesures votées en commission, à l’Assemblée
Crédits : Anrodphoto/iStock/Thinkstock

Le projet de loi « anti-gaspillage » a été adopté la semaine dernière par les députés de la commission du développement durable. Retour sur les principales mesures adoptées, ou, au contraire, supprimées : indice de durabilité, extensions de garantie, disponibilité des pièces détachées, lutte contre l’obsolescence logicielle, etc.

Plus de 1 700 amendements avaient été déposés pour l’occasion par les élus de la commission du développement durable, saisie au fond de ce texte-clé porté par Brune Poirson, la secrétaire d’État en charge de la Transition écologique.

Si les députés ont supprimé (ou édulcoré) plusieurs mesures introduites en septembre dernier par le Sénat – bien souvent contre l’avis du gouvernement –, ils ont parfois maintenu certains dispositifs. Le texte se trouve même parfois étoffé, par exemple sur la question des garanties ou de l’accès à certaines pièces détachées, telles les batteries.

Davantage d'informations sur la « réparabilité » des produits électroniques

Afin d’inciter les Français à se tourner vers des produits plus durables (quitte parfois à devoir les payer un peu plus cher), le gouvernement proposait de renforcer l’information des consommateurs.

Sans surprise, « l’indice de réparabilité » prévu par le projet de loi « anti-gaspillage » a été confirmé en commission. Les députés ont d’ailleurs refusé que ce dispositif, semblable à l’étiquette énergie des produits électroménagers (A, B, C...), n’entre en vigueur qu’en 2022. Un amendement a ainsi été adopté afin que cet outil voit le jour dès le 1er janvier 2021 – comme le prévoyait le texte avant l’examen au Sénat.

Rappelons-en la logique : les fabricants d’équipements électriques et électroniques devront transmettre leur indice de réparabilité « ainsi que les paramètres ayant permis de l’établir » aux vendeurs, bien entendu « sans frais ». À charge ensuite aux magasins d’afficher cette sorte de note de manière visible, y compris en cas de vente en ligne.

Bien que le gouvernement se soit engagé à ce que le prix des pièces détachées entre dans le calcul de cet indice (voir notre article), les députés de la commission du développement durable ont souhaité, sur proposition de la rapporteure Véronique Riotton, que la loi le prévoit expressément.

Les parlementaires ont également adopté un amendement soutenu par Paula Forteza (LREM), visant à ce que les informations utilisées pour l’indice de réparabilité soient au passage mises en ligne par les fabricants, « dans un format aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ». L’idée : arriver à la constitution d’une base de données en Open Data, qui pourrait par exemple alimenter des applications, semblables à Yuka ou Open Food Facts, afin de permettre aux consommateurs de mieux comparer les différents produits.

L’indice de durabilité également maintenu

Estimant qu’un bien qui est facilement réparable n’est pas forcément appelé à avoir une « espérance de vie » plus longue, les sénateurs avaient suivi différentes associations, notamment de consommateurs, et voté en faveur de l’introduction, à horizon 2024, d’un « indice de durabilité ».

La commission du développement durable a maintenu ce dispositif (au moins en substance), et précisé qu’il viendrait en complément ou en remplacement de l’indice de réparabilité.

Cet indice inclura « notamment de nouveaux critères tels que la fiabilité et la robustesse du produit », précise l’amendement adopté par les députés. En marge du texte, le gouvernement a été invité à s’appuyer sur « un faisceau d’indices donnant une vision générale comprenant : réparabilité, fiabilité du service après-vente (garanties étendues et modalités d’interventions), robustesse du produit, éco-conception ainsi qu’une dimension logicielle (durée de disponibilité du support technique, réversibilité des mises à jour...) ».

Si le principe de l’indice de durabilité a été approuvé, son périmètre pourrait néanmoins être considérablement réduit par le gouvernement. Les députés ont en effet confié à l’exécutif le soin de définir ultérieurement, par décret, une liste des équipements et produits, notamment électroniques, qui seraient concernés.

Les dates limites de consommation intégrées dans les codes-barres

Afin de lutter contre le gaspillage alimentaire, la commission a adopté un amendement prévoyant que les codes-barres intègrent, à partir de 2025, « la date limite de consommation, la date de durabilité minimale et le numéro de lot (...) des denrées alimentaires ».

« Cela permettrait une gestion informatisée bénéficiant aux consommateurs et à tous les acteurs économiques de la filière », a fait valoir Graziella Melchior, rapporteure de la commission des affaires économiques. En magasin, par exemple, « au lieu de contrôler visuellement tous les jours les produits un à un, et de les retirer manuellement du rayon au dernier moment, une gestion des stocks anticipée pourrait être effectuée grâce à la digitalisation des dates de péremption ».

Pour les consommateurs, les députés espèrent arriver à des alertes sur téléphone, « rappelant les denrées périssables dans [les] frigidaires ».

Pas de mention relative à la garantie légale de conformité sur les factures

Toujours dans l’objectif de renforcer l’information des consommateurs, les élus de la commission du développement durable ont souhaité que de nombreuses informations soient rendues publiques chaque année par les pouvoirs publics, en Open Data, telles les quantités de déchets collectés et traités par les éco-organismes, ainsi que les zones géographiques où sont réalisées chacune des étapes de traitement des différents flux de matière. Ou bien encore les coordonnées des lieux de collectes ou de reprise des déchets.

En revanche, les parlementaires ont supprimé l’obligation, introduite par les sénateurs, visant à ce que les factures précisent que l’achat d’un produit « s’accompagne d’une garantie légale de conformité ».

« Si cette volonté est louable, elle risque d’introduire plus de confusion que de clarté », s’est justifiée Graziella Melchior (LREM). « La mention d’une garantie légale, sans explication sur la durée ni sur les produits effectivement concernés risque de semer le doute chez le consommateur. »

Favoriser les réparations grâce aux extensions de garantie

Bien que la durée de la garantie légale de conformité dépende en grande partie du droit européen, la commission du développement durable a voté deux amendements destinés à étendre le bénéfice de cette protection au profit des consommateurs.

Premier cas de figure : si un défaut apparaît et que le vendeur propose une réparation, la garantie légale de conformité sera étendue de six mois. Au total, la durée de couverture pourrait ainsi atteindre deux ans et demi.

Seconde possibilité : en cas de remplacement du produit, la garantie légale de conformité sera renouvelée (dans la limite d’une fois, pour éviter les abus). Dans cette hypothèse, la garantie serait susceptible de frôler les quatre ans.

L’objectif de ces dispositions ? Encourager les réparations, plutôt que le remplacement pur et simple. Et pour cause : si le vendeur opère un remplacement (ce qu’il peut imposer, si ça lui revient moins cher qu’une réparation), la durée de couverture du bien sera plus longue.

Des pièces disponibles pendant au moins 5 ans pour les téléphones et ordinateurs

Manifestement décidés à favoriser la réparation des produits, notamment électroniques, les élus de la commission du développement durable ont adopté une série d’amendements significatifs.

À ce jour, les fabricants disposent d’un délai de deux mois maximum pour fournir des pièces détachées (dès lors qu’ils ont préalablement averti le consommateur que celles-ci étaient disponibles). Si le texte voté par la commission était maintenu en l’état, cette durée serait ramenée à quinze jours ouvrables, c’est-à-dire hors dimanches et jours fériés.

Autre amendement : pour l’électroménager et les « petits équipements informatiques et de télécommunications » (y compris écrans, moniteurs...), les pièces détachées devront être disponibles pendant une durée définie ultérieurement, par décret, mais qui ne pourra « être inférieure à cinq ans à compter de la date de mise sur le marché de la dernière unité du modèle concerné ».

« L’Union européenne va imposer une durée de dix ans pour la disponibilité des pièces détachées sur la plupart des appareils gros électroménagers à partir de 2021 », s’est justifiée la rapporteure, Véronique Riotton. L’élue LREM a ainsi plaidé pour une disponibilité d’au moins cinq ans pour les pièces détachées des téléphones mobiles, smartphones et ordinateurs portables, « souvent victimes d’un renouvellement accéléré (18 mois de vie en moyenne pour un smartphone selon l’ADEME».

Les dispositions introduites par le Sénat afin que les consommateurs bénéficient à l’avenir d’informations détaillées sur la durée de disponibilité des différents types de pièces détachées des appareils électroniques (batterie, écran, clavier, etc.) ont d’autre part été maintenues. Et ce alors qu’une simple information générale prévaut aujourd’hui.

Dans l’hypothèse où une pièce de rechange (« indispensable à l’utilisation d’un bien disponible sur le marché ») serait indisponible, les députés ont ensuite souhaité que les fabricants soient tenus de fournir leurs plans pour impression 3D « aux vendeurs professionnels ou aux réparateurs, agréés ou non, qui le demandent ».

Des sanctions pour assurer le « droit à la réparation »

Le « droit à la réparation », introduit par le Sénat, a également été maintenu par la commission du développement durable. Serait ainsi interdite « toute technique, y compris logicielle, par laquelle un metteur sur le marché vise à rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’un appareil hors de ses circuits agréés ».

Les élus du Palais Bourbon sont même allés plus loin en ajoutant que les accords ou pratiques « ayant pour objet de limiter l’accès, à un professionnel de la réparation, aux pièces détachées, modes d’emploi, informations techniques ou de tout autre instrument, équipement ou logiciel permettant la réparation des produits », seraient à l’avenir prohibés.

Le tout (dans un cas comme dans l’autre) sous peine de deux ans de prison et de 300 000 euros d’amende, ont décidé les députés.

Objectif ? Faire en sorte que les appareils électroniques, notamment de type smartphone ou ordinateur portable, puissent être réparés par tous les professionnels, même s’ils n’appartiennent pas à un réseau de réparateurs agréées. Une mesure en écho notamment aux pratiques de certains fabricants quant aux batteries ou composants-clés impossibles à changer.

On signalera au passage que l’initiation des collégiens « aux techniques de réparation, de mécanique et d’entretien des produits » a été maintenue par la commission. Cette dernière a même réclamé au gouvernement un rapport « sur les dispositifs de sensibilisation à l’économie circulaire en milieu scolaire ».

Des mesures (timides) contre l’obsolescence logicielle

En revanche, les députés ont fait disparaitre les dispositions, là aussi introduites par les sénateurs, obligeant les constructeurs de smartphones et de tablettes à proposer des mises à jour de leurs systèmes d’exploitation pendant au moins dix ans. Une mesure destinée à lutter contre l’obsolescence logicielle, qui rend difficile (voire impossible) l’utilisation de certains appareils, pourtant encore en état de marche.

Pour faire passer la pilule, la commission a opté en lieu et place pour un « dispositif d’information du consommateur sur la compatibilité des mises à jour de logiciels avec un usage normal du produit ». Concrètement, cela signifie que les vendeurs devront indiquer « la durée au cours de laquelle les mises à jour des logiciels fournis lors de l’achat du bien restent compatibles avec un usage normal de l’appareil ».

Autre amendement : les consommateurs devront être informés de « l’existence de toute restriction d’installation de logiciel ». Une mesure poussée notamment par l’Association de promotion du logiciel libre (April).

Les élus du Palais Bourbon semblent toutefois hésitants sur les réformes à soutenir. Ils ont en effet demandé au gouvernement de leur présenter, encore une fois sous forme de rapport, des « pistes envisageables pour limiter les risques d’obsolescence logicielle liés aux mises à jour du système d’exploitation et des applications natives disponibles sur l’appareil lors de sa vente ».

Compteurs d’usages : vers une simple expérimentation

Dans un tout autre registre, la commission du développement durable a transformé l’introduction de « compteurs d’usage » (voulus là encore par le Sénat) en simple expérimentation.

Suivant les préconisations de certaines ONG, les élus de la Haute assemblée souhaitaient qu’à partir de 2022, les appareils de type lave-linge, ordinateur, téléphone... soient dotés d’un « dispositif visible au consommateur qui enregistre de façon cumulative l’usage du produit en nombre d’unités ». L’idée : informer l’utilisateur du nombre de cycles effectués par une machine à laver, de cycles de charges d’une batterie, etc.

Cette expérimentation serait menée pendant un an et demi, uniquement avec les acteurs volontaires.

Discussions en séance publique à compter du 9 décembre

Si le détricotage des mesures « anti-obsolescence programmée » est probablement moindre que ce que certaines ONG pouvaient craindre, de nombreuses modifications pourraient encore être adoptées la semaine prochaine, lors des débats en hémicycle. Et pour cause : les membres de la commission du développement durable sont généralement plus sensibles aux problématiques environnementales que leurs collègues, siégeant par exemple en commission des affaires économiques.

Une fois voté en séance publique, le projet de loi « anti-gaspillage » fera l’objet d’une commission mixte paritaire, où sept députés et sept sénateurs tenteront de trouver un compromis.

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