Une société spécialisée dans les opérations de type « isolation à un euro » vient de se voir infliger une sanction de 500 000 euros par la CNIL. L’autorité a dressé une longue liste de manquements, au fil d’une délibération que certains professionnels du démarchage seraient avisés de lire attentivement.
Il aura suffi d’une simple plainte pour que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) effectue un contrôle dans les locaux de la société Futura Internationale, en mars 2018. Bien que la plaignante ait signalé aux opérateurs téléphoniques qu’elle ne souhaitait pas être démarchée, le tout suivi d’un courrier adressé au siège de la société, les appels avaient continué.
Une fois sur place, la gardienne des données personnelles a constaté que la prospection commerciale de la société était sous-traitée auprès de plusieurs centres d’appels, pour la plupart situés en Afrique du Nord.
Les numéros de téléphone étaient obtenus « soit directement auprès des personnes concernées (prenant d’initiative contact avec la société ou contactées dans le cadre d’opérations de prospection téléphonique par des prestataires utilisant leurs propres annuaires), soit collectés auprès de tiers dans le cadre d’un programme de parrainage ».
La CNIL a au passage découvert dix-neuf courriels, similaires à celui de la plaignante, dans lesquels d’autres personnes exprimaient elles-aussi leur refus d’être démarchées.
En interne, des propos injurieux à l'égard des clients
Surtout, la délégation dépêchée par l’autorité administrative a observé que « dans un nombre conséquent de conversations, les personnes n’étaient pas informées de l’enregistrement de l’appel ». Ce qui est interdit.
Et dans les cas où les prospects étaient avertis de l’enregistrement, « aucune autre information relative à la protection des données personnelles n’était communiquée », déplore la CNIL.
Autre « trouvaille », et pas des moindres : le logiciel de gestion de la clientèle permettait aux téléopérateurs d’enregistrer des commentaires (à destination des salariés de la société Futura Internationale). La CNIL a ainsi découvert « des propos relatifs à l’état de santé des personnes démarchées ainsi que des propos injurieux à leur encontre ».
En septembre 2018, l’autorité indépendante a commencé par mettre en demeure Futura Internationale de se plier aux obligations posées notamment par le RGPD, sous deux mois – en procédant à la suppression des commentaires litigieux, en respectant le droit des personnes à refuser que leurs données ne soient utilisées à des fins de démarchage, etc.
Faute de s’être pliée aux exigences de la CNIL (et ce en dépit d’un délai supplémentaire de deux mois), l’institution a ouvert une procédure de sanction à l’encontre de l’entreprise, qui s’est soldée par une amende de 500 000 euros.
Des prospects pas ou trop peu informés
La CNIL a tout d’abord condamné le manque d’information des personnes démarchées. Pour la gardienne des données personnelles, le fait d’avertir son interlocuteur que la conversation est enregistrée n’est pas suffisant.
« Il est nécessaire que la personne soit mise en mesure de prendre connaissance de l’information relative au traitement de ses données personnelles au moment où ses données sont collectées, et non uniquement ultérieurement. Ainsi, une information, même sommaire, doit lui être communiquée par l’intermédiaire du service vocal ou du téléopérateur, en lui offrant la possibilité d’obtenir communication d’une information complète soit grâce à l’activation d’une touche sur son clavier téléphonique, soit par l’envoi d’un courriel par exemple », explique la CNIL, les yeux rivés sur l’article 13 du RGPD.
Chaque personne doit ainsi pouvoir savoir, dès le début de l'enregistrement, quelle est la finalité du traitement, l’identité du responsable de traitement, les droits dont elle dispose, etc.
Un droit d’opposition ignoré
Futura Internationale s’est ensuite vu reprocher d'avoir ignoré les demandes des personnes qui ne souhaitaient plus être sollicitées (soit plus de trois cent personnes au jour de la délibération de la CNIL).
« L’opposition exprimée par les personnes démarchées restait vaine : lorsqu’elle était exprimée auprès du siège de l’entreprise, les sous-traitants n’en étaient pas informés et poursuivaient les opérations de prospection ; lorsqu’elle était exprimée directement auprès d’un sous-traitant, ni le siège ni les trente-cinq autres centres d’appels travaillant alors pour la société n’en étaient informés, et la prospection perdurait malgré le refus exprimé par les personnes », regrette la CNIL.
Pour l’institution, la société aurait dû mettre en place un mécanisme permettant une prise en compte effective du droit d’opposition exprimé par les personnes faisant l’objet de prospection téléphonique. « Elle devait, à ce titre, être en mesure de s’assurer que l’opposition exprimée par les intéressés était respectée et que les personnes ayant fait part de leur opposition ne reçoivent plus d’appels de prospection de la part de ses sous-traitants. »
Des commentaires « inadéquats »
Quant aux commentaires injurieux à l’égard des personnes démarchées par téléphone, la CNIL a jugé qu’ils étaient « par leur nature même (...) inadéquats » au regard de la finalité pour laquelle les données étaient traitées. « Rien ne justifie, en l’espèce, la présence de données relatives à la santé des personnes dans le logiciel de gestion des clients et prospects », ajoute l’autorité indépendante.
Aux yeux de l’institution, il appartenait à Futura Internationale de « mettre en place un système contraignant (...) permettant de s’assurer que les comportements constatés ne sont pas réitérés, soit en empêchant automatiquement l’enregistrement de certains termes dès la saisie, soit en effectuant une revue automatisée quotidienne des commentaires enregistrés ».
L’entreprise également sanctionnée pour « défaut de coopération »
Enfin, la société a été épinglée pour son manque de coopération avec la CNIL. « L’absence de réponse aux demandes formulées par les services de la CNIL et à la mise en demeure adressée par la présidente de la Commission, comme l’absence de prise en compte de ces demandes avant la notification d’un rapport de sanction, suffisent à démontrer, sinon la volonté clairement exprimée de ne pas donner suite aux sollicitations de la CNIL, à tout le moins un désintérêt flagrant pour ces sujets », souligne la gardienne des données personnelles.
Outre cette amende de 500 000 euros, Futura Internationale a été enjointe à corriger tous les problèmes dénoncés par la CNIL. Le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard (à l’issue d’un délai d’un mois suivant la notification de la délibération de l’autorité).
La CNIL monte au créneau contre le démarchage abusif
Cette sanction a d’autre part été rendue publique « au regard de l’importance de la problématique de la prospection commerciale, tant par rapport à son ampleur qu’à ses conséquences pratiques pour les personnes démarchées », se justifie la CNIL.
L’institution laisse au passage entendre qu'elle entend ainsi répondre à une « attente légitime » d’un grand nombre de Français, qui se montrent régulièrement exaspérés du démarchage téléphonique. Et ce alors que la liste d’opposition Bloctel, qui relève quant à elle du Code de la consommation, se montre trop peu dissuasive.
L’Assemblée nationale devrait d’ailleurs se repencher sur ce dossier en janvier (voir notre article).