Plusieurs sénateurs LR viennent de déposer une proposition de loi notamment destinée à « réduire les freins culturels qui empêchent un recours plus généralisé au télétravail ». Mesure-clé, qui pourra paraître contradictoire : conditionner le passage en télétravail à une présence préalable de trois mois minimum en entreprise.
Bien que le législateur soit intervenu à plusieurs reprises ces dernières années pour favoriser le recours au télétravail, le sénateur Édouard Courtial souhaite de nouveau modifier le Code du travail. « Dans un contexte de désindustrialisation et de métropolisation, le télétravail est une véritable opportunité pour les territoires ruraux afin qu'ils conservent des activités et leurs habitants », fait valoir le parlementaire.
Grâce au développement des réseaux d’Internet fixe et mobiles, de plus en plus de salariés travaillent désormais à domicile ou dans des « tiers-lieux » de type co-working. Édouard Courtial estime cependant que la France « est toujours à la peine au regard de ses voisins européens ».
Le télétravail « encore trop peu utilisé »
Selon une récente étude de la Dares (qui dépend du ministère du Travail), en 2017, seuls 3 % des salariés pratiquaient le télétravail au moins une fois par semaine. Ce qui est « trop peu » aux yeux d’Édouard Courtial. « Le taux moyen en matière de télétravail est d'environ 20 % voire 30 à 35 % dans les pays du nord de l'Europe », compare l’élu LR.
Depuis les « ordonnances Pénicaud » de septembre 2017, un simple accord entre employeur et salarié suffit pourtant pour opérer un basculement vers le travail à distance.
Pour Édouard Courtial, le « décrochage » français a dès lors une explication : la défiance. « Seule la confiance réciproque permet de gérer les ambiguïtés et contradictions d'un contrat qui n'est jamais assez complet pour donner une solution purement juridique aux problèmes soulevés par le travail à domicile, et force est de constater que cette confiance n'est pas généralisée dans notre pays », analyse le sénateur.
Sa proposition de loi entend ainsi lever ce frein culturel, puisqu’elle ambitionne « d'adapter l'environnement culturel et d'éduquer tant les salariés que les employeurs aux nouvelles pratiques impliquées par le télétravail ».
Pour renforcer le lien de confiance entre employé et employeur, son texte impose à ce dernier d’informer le télétravailleur « de la nature et du fonctionnement des dispositifs de contrôle et de comptabilisation du temps de travail ».
Une précision qui peut sembler redondante. En effet, le Code du travail prévoit d’ores et déjà que l’accord collectif ou la charte d’entreprise relative au télétravail précise (entre autres) « les modalités de contrôle du temps de travail » (relevés, pointages, etc.), de même que les « plages horaires durant lesquelles l'employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ».
Des mesures en décalage avec le droit actuel
Toujours dans la même logique, Édouard Courtial propose de conditionner le recours au télétravail « à une période minimum de trois mois de présence dans les locaux de l'employeur ». Une réforme qui pourrait faire grincer des dents, notamment dans les entreprises qui n’ont pas de locaux (et n’emploient que des salariés en télétravail)...
La proposition de loi vise enfin à faciliter le recours au télétravail pour les personnes habitant loin de leur travail. « L'enjeu est de taille, lance l’élu : 28,8 millions d'actifs employés parcourent en moyenne 26 km pour se rendre sur leur lieu de travail et en repartir, y consacrant chaque jour environ une heure. Ainsi, chaque année, pour que l'économie française puisse fonctionner, les travailleurs doivent effectuer plus de 6 milliards d'heures de déplacements (soit plus de 4 millions d'équivalents temps plein). »
Afin de « revitaliser » certains territoires, notamment ruraux et périurbains, Édouard Courtial voudrait permettre aux salariés de recourir au télétravail « lorsque leur entreprise se situe dans une zone à forte densité de trafic routier ou lorsqu'ils ne disposent pas de solution adaptée de transport en commun ».
Sur le plan juridique, la cible semble encore une fois loupée. Et pour cause : la proposition de loi prévoit simplement que ce sujet fasse à l’avenir l’objet d’une négociation annuelle (dans le cadre des négociations sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail). Sans garantie sur leur issue.
La réforme de 2017 était de toute manière déjà censée répondre à ce défi, puisque que tout employé « qui occupe un poste éligible à un mode d'organisation en télétravail » (tel que défini par accord collectif ou charte) peut demander à travailler à distance. L’employeur est alors en capacité de refuser, uniquement s’il peut « motiver sa réponse ».
Un mode d’organisation du travail qui a aussi des défauts
« Les télétravailleurs bénéficient d’un cadre de travail plus souple et de temps de trajets réduits. Néanmoins, ils n’en tirent pas une meilleure conciliation avec leur vie personnelle, ayant tendance à pratiquer des horaires plus longs et atypiques », temporise la Dares, en conclusion à une étude publiée au début du mois.
L’institution a en effet observé que les télétravailleurs se déclaraient « en moins bonne santé » et présentaient « des risques dépressifs plus importants que les non‑télétravailleurs ».
« Travailler à distance implique un isolement du collectif de travail : les télétravailleurs les plus intensifs (2 jours par semaine ou plus) peuvent moins compter sur l’aide de leurs collègues et de leur hiérarchie », explique notamment la Dares. Difficile pour autant d’établir un lien de cause à effet. « Tout compte fait, les télétravailleurs ne sont ni plus ni moins satisfaits de leur travail que leurs collègues », résume l’institution.
Restera maintenant à voir si la proposition de loi d’Édouard Courtial sera mise à l’ordre du jour du Sénat, ce qui est loin d’être systématique s’agissant des textes d’origine parlementaire.