Avec la récente mise en œuvre du Répertoire électoral unique, certains députés estiment que la carte électorale pourrait purement et simplement disparaître. Un amendement a été adopté à ce sujet, hier, invitant l’exécutif à ouvrir ce dossier.
La carte d’électeur, dont la dernière page est traditionnellement tamponnée lors de chaque scrutin, vit-elle ses dernières heures ? À ce stade, rien n’est joué. Mais l’idée, qui est loin d’être nouvelle, fait son bout de chemin, notamment dans les rangs de la majorité.
Le député Jacques Savatier, rapporteur spécial (LREM) du projet de loi de finances, a ainsi fait adopter hier, contre l’avis du gouvernement, un amendement visant à examiner « la possibilité de sa dématérialisation ».
Et pour cause. Ce document officiel n’est pas obligatoire pour voter : une pièce d’identité suffit, à condition bien entendu que vous soyez inscrit sur les listes électorales.
Des citoyens informés des élections par mail ou via les réseaux sociaux ?
« Alors que jusqu’à présent, nous ne disposions pas d’une base solide en matière de tenue des listes électorales, la mise en service du Répertoire électoral unique permet d’imaginer des évolutions au cours des années à venir », a fait valoir Jacques Savatier, hier soir, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.
Le fameux répertoire, confié à l’INSEE, présente la particularité d’être mis à jour en continu, grâce à un système de gestion entièrement automatisé (à partir des inscriptions validées en mairie, des décès, etc.). C’est grâce à cette réforme, adoptée en 2016, qu’il est désormais possible de voter même si l’on s’est inscrit au-delà de la date fatidique du 31 décembre.
« Je me suis rendu compte, quand j’ai eu à travailler sur ces questions, que 3 millions de personnes n’étaient pas inscrites et 6 millions mal inscrites, dont plus des trois quarts ne votaient pas. Je pense en conséquence que la façon dont nous informons les électeurs est à reconsidérer », a lancé le rapporteur spécial. Avant d’évoquer la piste suivante : « Nous pourrions leur laisser, notamment aux plus jeunes d’entre eux, qui sont acculturés au numérique, la possibilité de choisir d’être informés soit par format papier soit par format électronique, dans la perspective d’un renouveau de la vie démocratique. »
Un coût jugé modique pour un « symbole fort » de la démocratie
En marge des débats, Jacques Savatier a appris auprès du ministère de l’Intérieur que de « multiples développements » étaient d’ores et déjà envisagés par les pouvoirs publics. Parmi lesquels « la possibilité de rappeler aux électeurs la tenue d’un scrutin six mois avant sa date et de les informer de leur inscription à un bureau de vote déterminé », ou bien encore « la mise en place de fonctionnalités destinées aux jeunes par le biais de passerelles avec les applications qu’ils utilisent, à l’exemple de la géolocalisation des bureaux de vote sur Snapchat ».
Au fil d’un rapport, le député LREM explique au passage que l’impression de chaque carte revient à 0,7 centime d’euro (et deux centimes d’euros environ en outre-mer), auxquels il faudrait ajouter 5 centimes d’affranchissement. En effectuant un rapide calcul, on arrive à une addition de plus de deux millions d'euros pour l'ensemble des citoyens inscrits sur les listes électorales.
Estimant que la carte d’électeur « tend à perdre sa raison d’être dès lors que le Répertoire électoral unique fournit aux électeurs les informations nécessaires afin de prendre part aux scrutins » (un téléservice permet désormais de trouver son bureau de vote), Jacques Savatier proposait donc que le gouvernement produise un rapport « évaluant l’utilité du maintien » de la carte électorale. Outre la piste de la dématérialisation, précise son amendement, ce rapport devra s’intéresser à « l’importance de ce titre [la carte d’électeur, ndlr] dans la tenue des listes électorales et dans l’exercice du droit de vote ».
« Je pense qu’on peut aujourd’hui tirer les enseignements de certaines procédures de dématérialisation qui présentent un intérêt sur le plan budgétaire et sur celui de l’efficacité administrative », a continué Jacques Savatier, dont le rapport reconnaît néanmoins que la production des cartes électorales « occasionne une dépense modique » pour les finances publiques.
Le gouvernement renvoie la balle aux parlementaires
Sur le banc du gouvernement, Christophe Castaner a toutefois clairement prévenu que l’exécutif ne souhaitait pas voir la carte électorale disparaître. « La dématérialisation est une bonne chose et nous devons y travailler. Il faut néanmoins qu’elle demeure optionnelle car de nombreux électeurs restent attachés au support papier », a ainsi fait valoir le ministre de l’Intérieur.
Christophe Castaner s’est dit « attaché à la carte électorale, dont le coût de production n’est pas forcément déterminant s’agissant d’un symbole fort de la vie démocratique et de la citoyenneté ».
Le locataire de la Place Beauvau a au passage souligné que ce document permettait aussi « l’adaptation de la liste électorale via le retour NPAI – « N’habite pas à l’adresse indiquée » –, ce que ne permet pas le retour à l’expéditeur des professions de foi, les délais étant dans ce cas trop courts ».
Ironie de l’histoire : Christophe Castaner a invité les députés à « s’emparer de cette question » et à mener leur « propre réflexion », du fait de ce « parti pris » de la part de l’exécutif. « J’emploierais volontiers les moyens du ministère de l’Intérieur à éclairer cette réflexion dont le cadre logique me semble être la commission des lois », a-t-il également proposé.
Sans succès : les députés ont voté l’amendement de Jacques Savatier, qui prévoit que le gouvernement présente ses conclusions au Parlement dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation du projet de loi de finances pour 2020.