Fedora 31 devrait être disponible dans quelques jours, après un premier retard. Les nouveautés sont importantes, surtout sur le plan technique. On note ainsi une forte progression de Wayland et des performances une nouvelle fois en hausse.
Fedora est depuis longtemps le laboratoire de Red Hat. L’entreprise s’en sert pour tester logiciels, composants et technologies en vue d’une éventuelle intégration dans sa distribution à destination des serveurs.
On dit de Fedora qu’elle est « l’upstream » de Red Hat, ce qui explique son orientation particulière : on y trouve presque toujours les dernières versions des paquets. Côté utilisateur, on ne s’étonnera donc pas de retrouver des composants modernisés un peu partout. Mais c’est sous le capot que se produisent actuellement les plus gros changements.
Fedora traverse en effet une phase intensive de modernisation, en particulier tout ce qui touche à Wayland. Les développeurs peuvent désormais entrevoir leur Graal : se débarrasser du vieux X.org.
La grande valse des mises à jour : GNOME 3.34, noyau 5.3.7…
Comme toujours avec Fedora, on peut compter sur les dernières versions des paquets ou presque. On retrouve donc bien sûr GNOME 3.34, sorti il y a un peu plus d’un mois.
Les nouveautés principales n’ont pas changé : création de dossiers personnalisés par glisser/déposer dans la vue globale des applications, un rafraichissement visuel du thème principal avec notamment de nouvelles icones, le navigateur Web peut épingler les onglets et isole les processus, des améliorations diverses pour Boxes, plus aucune limite pour le nombre de sauvegardes dans Games, le suivi des modifications de dossiers par Music ou encore le support dans Terminal des langues se lisant de droite à gauche.
On note aussi, pour la troisième version consécutive, un accent mis sur les performances, avec notamment l’aide de Canonical. Des animations sont plus fluides, les icônes s’affichent plus rapidement et l’ensemble est plus réactif. Le constat est manifeste, aussi bien en installation native (Core i5 3,2 GHz, 16 Go de RAM, SSD, GeForce GTX 1660 Ti) que dans une machine virtuelle aux ressources volontairement limitées (un seul cœur, 4 Go de RAM).
Dans cette dernière, créée sous VMWare Workstation 15.5, c’est même la première fois que le déplacement du curseur et la plupart des animations étaient aussi fluides qu’en installation native. D’autres manipulations, comme le déplacement des fenêtres, perdent cette fluidité.
Fedora embarque également un noyau Linux 5.3.7. Cette branche apporte elle aussi bon nombre de nouveautés : prise en charge des GPU Navi 10 d’AMD (dont les Radeon RX 5700), des puces graphiques intégrées Intel Gen 11 (Ice Lake), du HDR pour les IGP Intel, de la plage 0.0.0.0/8 pour IPv4, l’hyperviseur ACRN pour les objets connectés, Speed Select d’Intel pour certains Xeon, ou encore la délégation par Netfilter de certaines opérations à des puces réseau, pour décharger le CPU.
Les applications classiques sont évidemment présentes, dans leurs dernières moutures ou presque : Firefox 69.0.3, Thunderbird 68.1.1, LibreOffice 6.3.2, etc. Signalons d’ailleurs au sujet de Firefox que pour la première fois, le navigateur fonctionne avec Wayland sans requérir de compatibilité avec X. Une étape importante dans l’abandon de ce dernier.
Il reste cependant du travail. Comme le mentionnait Phoronix le 8 octobre, Firefox 71 contient plusieurs bénéfices importants pour Wayland, notamment le support des textures DMA-BUF pour OpenGL, permettant une communication directe avec le GPU. Lors de la lecture de vidéo en décompression matérielle, cette prise en charge évite de nombreuses opérations de copie de données depuis et vers la puce graphique.
Parmi les autres nouveautés importantes, signalons : RPM 4.15 avec le passage de la compression xz à zstd (décompression beaucoup plus rapide, au prix d’une compression un peu plus lente), l’intégration de Xfce 4.14 (et un nouveau spin aarch64 avec cet environnement) et le support de cgroup v2. Ce dernier est un mécanisme organisant la hiérarchie et la distribution des processus, de manière contrôlée et configurable.
Notons enfin l’arrivée de Fleet Commander 0.14.1. Cet outil permet des déploiements massifs de systèmes Fedora ou RHEL (Red Hat Enterprise Linux). Tous les réglages de GNOME sont accessibles, ainsi que des applications comme Firefox et LibreOffice. Principale nouveauté de cette version, le support d’Active Directory, permettant le déploiement de profils même si le service d’annuaire de Microsoft est utilisé dans l’infrastructure.
Wayland : le grand chantier continue, malgré l’avance
Fedora a été la première distribution à basculer sur le nouveau serveur d’affichage par défaut, avec la version 26 du système. Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru, et si la destination est désormais en vue, le travail n’est pas terminé.
Fedora 31 franchit tout de même une étape majeure avec l’exécution par défaut de Firefox et des applications Qt en Wayland. L’un des nouveaux gros objectifs de la distribution est XWayland. Ce composant permet aux applications utilisant toujours X de pouvoir être exécutées dans une session Wayland, en assurant le relai.
Il avait jusqu’à présent deux modes de fonctionnement : activé ou non, des états permanents. Fedora 31 introduit XWayland à la demande, où il ne s’active que pour une application qui le réclame, retournant dormir à sa fermeture.
Le principe est simple, la réalisation complexe. Comme l’indiquait il y a un mois Christian Schaller, ingénieur logiciel chez Red Hat, le travail a nécessité de nombreuses contributions, notamment de Iain Lane de Canonical. Ce dernier a créé des patchs pour la session utilisateur de Systemd, finalisés par Benjamin Berg, permettant une implémentation plus simple de XWayland à la demande.
Point intéressant, ces patchs aideront plus tard à généraliser ce nouveau comportement à d’autres services sous GNOME. Dans une version future de Fedora, les utilisateurs n’ayant par exemple pas de Bluetooth ne lanceront plus le service.
La progression vers Wayland est également pour les développeurs l’occasion de faire du ménage. Par exemple, tout ce qui touche aux fonctions d’accessibilité pour le clavier et la souris ne contient plus une seule ligne liée à X. Conséquence, certains effets graphiques ont été ajoutés, comme un camembert se remplissant progressivement pour indiquer quand le stationnement du curseur sur un bouton équivaut à un clic, si cette option a été activée.
D’autres travaux sont en cours. Par exemple, la suppression de toutes les dépendances à X dans le centre de contrôle de GNOME Shell. Le nettoyage, important, est présent uniquement sous forme expérimentale dans Fedora 31, les développeurs estimant que de tels changements nécessitent un temps de maturation. Ils espèrent que la bascule sera prête pour Fedora 32.
Notez que Fedora est toujours face à un problème avec les pilotes propriétaires de NVIDIA (intégrés récemment dans Ubuntu 19.10, voir notre article). Si l’utilisateur les installe, Wayland sera désactivé par défaut. Le problème se situe côté NVIDIA, l’entreprise ne supportant toujours pas XWayland pour l’accélération graphique. De fait, si une application X y faisait appel (c’est le cas de nombreux jeux), toute accélération graphique serait désactivée, aboutissant à des performances bien moindres (rendu logiciel). NVIDIA est au courant de la situation et a indiqué travailler sur le sujet. Là encore, l’espoir est de résoudre le souci pour Fedora 32.
QtGNOME, OpenH264, Toolbox et autres : de multiples améliorations
Fedora 31 est une version importante pour la distribution, tant les ajouts ont été nombreux dans de nombreux composants et services.
OpenH264 par exemple supporte enfin les profils High et Advanced. S’agissant des deux profils les plus utilisés sur le web, ce support permettra aux utilisateurs de lire les contenus concernés sans avoir à installer un composant ou lecteur tiers. Si bien sûr leurs habitudes sont ailleurs (par exemple VLC), rien n’empêchera les éventuelles installations.
On reste dans le multimédia avec Pipewire, infrastructure audio en développement. Les utilisateurs n’y verront pas de grandes nouveautés, la nouvelle version n’offrant que de petites corrections et améliorations. Mais, là encore, Fedora 32 proposera davantage, car Pipewire sera proposé comme option aux utilisateurs de Jack et PulseAudio. Ils pourront basculer sur le nouveau composant et en revenir en cas de problème.
Des flatpaks pour Ardour, Carla, a2jmidid, Hydrogen, Qtractor et Patroneo devraient également être proposés. Si tout se passe bien, Fedora 33 devrait marquer la bascule vers Pipewire comme infrastructure audio par défaut.
Des progrès aussi pour QtGNOME, composant responsable de l’intégration des applications Qt dans GNOME. Les ajouts depuis Fedora 30 permettent aux concernées une plus grande cohérence graphique avec l’environnement de bureau, plutôt que d’afficher l’interface que l’on trouverait dans KDE. Ce module est également responsable du support du thème sombre, de la compatibilité avec les fonctions d’accessibilité de Qt et d’assurer la liaison avec les Flatpaks.
La Toolbox reçoit elle aussi des améliorations, plus générales cette fois-ci. L’outil permet pour rappel de créer des micro-conteneurs pour aider les développeurs. Par exemple, pour travailler sur un projet visant RHEL, on pourra créer un conteneur pour tester l’application sur ce système en particulier, ou en récupérer un spécialement conçu pour le machine learning. À compter de Fedora 32, l’outil sera d’ailleurs entièrement réécrit, abandonnant les scripts pour le langage Go.
Pour les amoureux de GNOME 2.x qui ne seraient pas encore passés à MATE ou Cinnamon, Fedora 31 propose plusieurs nouveautés dans le mode GNOME Classic, accessible depuis l’écran de connexion, via la petite roue crantée qui apparaît après sélection du compte utilisateur.
L’expérience générale a été améliorée, certaines zones encore très « GNOME 3 » ayant été modifiées. Le thème, la vue globale ou encore le coin actif (hot corner) sont ainsi plus proches de l’ancien GNOME. La barre supérieure affiche toujours bien sûr un menu pour les applications et un autre pour les emplacements principaux.
Fedora 31 sortira le 29 octobre… si tout va bien
La distribution est une habituée des retards. Dans l’absolu, rien de dramatique : les utilisateurs préfèrent sans doute à une large majorité attendre quelques semaines supplémentaires et obtenir un système stable. Fedora 31 devait initialement sortir le 22 octobre. Le planning prévoyait déjà une date de secours en cas de bugs bloquants. C’est ce qui s’est passé.
Si l’on se penche sur la liste des empêcheurs de tourner en rond, on trouve une exception DNF pour armv7hcnl, un souci de mise à jour depuis Fedora 30 pour dnf-yum, un problème graphique avec la mouture KDE Live en cas de démarrage en mode BIOS, ou encore une migration vers Fedora 31 impossible à cause de l’absence de libgit2.so.28()(64bit), sans possibilité d’installer ce dernier. La grande majorité de ces bugs ont des solutions en cours de test.
Notez qu’il est toujours possible de récupérer la bêta de Fedora 31 puis d’installer les nombreuses mises à jour sorties depuis. Mais à quelques jours de la version finale, les utilisateurs d’une mouture stable attendront plus volontiers que les développeurs donnent le feu vert.
Pour rappel, Fedora 31 ne sera disponible qu’en 64 bits. Si vous avez actuellement une version 30 en 32 bits, il n’y aura aucun chemin de migration proposé.
Nous reviendrons dans un prochain article sur Silverblue, variante spécifique et « immuable » de Fedora, fonctionnant sur la base d’images.