Afin de pousser les plateformes (Airbnb, eBay, Uber, Amazon...) à davantage de coopération, notamment avec l’administration fiscale, le gouvernement prévoit d’instaurer une « liste noire » des acteurs jugés « non-coopératifs ».
Si Bercy dispose de longue date d’un « droit de communication » auprès des acteurs du numérique, le législateur a considérablement étoffé ces dernières années les obligations pesant sur les plateformes dites d’économie collaborative.
Les sites de mise en relation (pour des échanges de biens, de services...) ont ainsi été enjoints à rappeler à leurs utilisateurs leurs obligations en matières fiscale et sociale : quand et comment déclarer des revenus issus d’une location ou d’un covoiturage, etc. Pour les sommes perçues à partir de 2019, les plateformes telles qu’Uber, eBay ou Airbnb devront par ailleurs en informer directement l’administration fiscale, sauf rares exceptions (voir notre article).
Bercy ne s’en cache d’ailleurs pas : les opérateurs de plateformes sont désormais « directement impliqués, comme contribuables mais aussi comme tiers auxiliaires de l’administration fiscale ».
Afin de s'assurer de la « pleine coopération des opérateurs de plateforme à cette démarche d’adaptation de la fiscalité à la numérisation de l’économie », le projet de loi de finances pour 2020 entend toutefois jouer la carte du name & shame. L’idée : diffuser sur Internet une liste des acteurs « ne respectant pas, de manière réitérée, les obligations auxquelles les astreint le droit fiscal français ».
Inscription sur une « liste noire », pour un an maximum
« La garantie d’une redistribution juste et équitable des richesses créées grâce au numérique passe par l’inclusion de l’ensemble des acteurs dans le prélèvement de l’impôt, utilisateurs comme opérateurs de plateformes », insiste l’exécutif, toujours en marge du budget 2020.
Dès lors qu’une plateforme fera l’objet de deux mesures de rétorsion (ou plus) « en moins de douze mois », l’administration fiscale pourra décider de l’inscrire, en guise de sanction, sur une « liste noire » précisant, outre sa « dénomination commerciale », son « activité professionnelle » et « son État ou territoire de résidence ».
Par « mesure de rétorsion », il faut entendre mise en recouvrement :
- De la TVA dont l’opérateur aura été rendu redevable au titre du nouveau principe de « responsabilité solidaire » des plateformes, applicable à partir de 2020.
- D'une imposition résultant d'une taxation d'office à la toute récente « taxe GAFA ».
- De l'amende prévue pour absence de réponse à une demande de l'administration fiscale dans l'exercice d'un droit de communication non nominatif ou du droit de communication spécifique prévu à l'égard des opérateurs de plateforme.
- De l'amende prévue pour non-respect des obligations relatives à la déclaration automatisée des revenus issus des plateformes.
- D'une imposition résultant d'une taxation d’office à la TVA sur les ventes à distance réalisées par l’intermédiaire de la plateforme.
« Cette sanction sera applicable aux opérateurs de plateforme qui après avoir fait l'objet de l'une des mesures prévues par le texte, fera à nouveau l'objet de l'une de celles-ci dans les douze mois qui suivent », résume le gouvernement. En pratique, cette mise au pilori numérique sera certes à l'initiative de l’administration fiscale, mais après avis « conforme et motivé » de la commission des infractions fiscales.
Dès lors que l’institution sera saisie, « une copie de la saisine de la commission » devra être adressée la plateforme mise en cause. Cette dernière pourra ainsi présenter ses observations écrites « dans un délai de trente jours », précise le projet de loi de finances. La commission des infractions fiscales appréciera au cas par cas, « au vu des manquements et des circonstances dans lesquels ils ont été commis », si la publication est justifiée.
Si l’inscription sur cette « liste noire » est confirmée, l’opérateur concerné devra en être averti. Cette notification détaillera au passage « les motifs » de la sanction et informera de la possibilité de présenter de nouvelles observations, dans un délai de soixante jours.
Aucune mise à l’index ne pourra d’ailleurs avoir lieu avant l’expiration de ce délai de soixante jours.
Une désinscription « sans délai » en cas de paiement par la plateforme
D’un point de vue plus technique, le texte prévoit que cette publication se fera « sur le site Internet de l'administration fiscale ». Des dispositions qui pourraient néanmoins être complétées ultérieurement, un décret étant censé préciser le dispositif.
En tout état de cause, cette mise à l’index ne pourra excéder un an. Elle sera d’ailleurs « retirée sans délai » dès lors que la plateforme aura « acquitté l'intégralité des impositions ou amendes » ayant motivé l’inscription sur la « liste noire ». Autant dire qu’avec ce nouveau dispositif, Bercy entend ajouter une nouvelle corde à son arc pour faire entrer certain réfractaires dans le rang.
L’exécutif estime en effet que cette mesure « permettra d’informer les consommateurs, et plus largement les citoyens, de l'identité des plateformes les moins respectueuses de leurs obligations fiscales, dans un but de transparence et d’amélioration de la concurrence dans le secteur de l’économie numérique ». En clair, le gouvernement espère que les Français se détourneront des sites pointés du doigt.
Une batterie de mesures pour limiter les fraudes à la TVA
Le projet de loi de finances pour 2020, dont l’examen débute tout juste à l’Assemblée, contient d’autres mesures en lien avec les plateformes.
Sur le fondement de la directive européenne de 2017 relative au commerce électronique, le gouvernement propose que les plateformes deviennent « redevables de la TVA lorsque celles-ci facilitent les ventes à distance de biens importés de moins de 150 euros ou qu’elles facilitent les livraisons domestiques ou les ventes à distance intracommunautaires de biens réalisées par leur intermédiaire par un vendeur non établi dans l’Union européenne ».
Le problème est en effet bien connu : des vendeurs, basés à l’étranger, échappent à la TVA en passant par des marketplaces, de type Amazon ou eBay. L’année dernière, un rapport sénatorial expliquait ainsi que la fraude à la TVA s'avérait « quasiment indétectable », dès lors que les colis correspondants étaient « non-déclarés, ou déclarés abusivement » comme des envois dits à valeur négligeable (EVN), des cadeaux ou des échantillons.
Les plateformes deviendront également redevables de la TVA dès lors qu’elles facilitent « des ventes de biens importés en provenance de pays tiers à destination de consommateurs situés en France ». Et ce, « à la place de la personne désignée comme destinataire réel des biens sur la déclaration d’importation (en règle générale, le client) ».
Afin de faciliter les contrôles, les acteurs du e-commerce devront en outre disposer d’un registre, à conserver pendant dix ans, « afin de permettre aux États membres où ces livraisons et prestations sont imposables de vérifier que la TVA a été correctement acquittée ».
Dans un registre similaire, il est prévu que les entrepôts présents sur le territoire national « tiennent à la disposition de l’administration les informations indispensables pour identifier les propriétaires des biens vendus, ainsi que pour définir la nature, la provenance, la destination et le volume des biens importés ».
Ces informations, accessibles (sur demande) à l’administration fiscale, permettront « d'identifier les redevables non établis en France et non immatriculés à la TVA ». Bercy explique que des recoupements pourront par ailleurs être effectués à partir des données transmises par les plateformes, au titre des revenus générés par leurs utilisateurs.