La cour d’appel de Poitiers vient d’invalider le licenciement d’un employé d'une grande surface, remercié après avoir publié des photos de voyage durant des périodes d’arrêt maladie. Les juges ont estimé que ces éléments ne suffisaient pas à prouver que le salarié s’était effectivement rendu à l’étranger.
Employé au rayon fruits et légumes d’un magasin Auchan, Monsieur X est licencié pour faute grave en octobre 2015, après plusieurs arrêts maladie. L’intéressé est effectivement absent à de nombreuses reprises, aux mois de mai et juillet, puis de manière continue d’août à la mi-octobre. Il avait été embauché, en CDI, en janvier 2015.
Dès le mois de juillet, l’employeur diligente un contrôle au domicile du salarié, à l’issue duquel le médecin signale que celui-ci était absent.
Dans sa lettre de licenciement, Auchan ne revient toutefois pas sur cet épisode. Le groupe explique à Monsieur X avoir « eu connaissance » de différents déplacements, rendus publics par ses soins « sur les réseaux sociaux » alors qu’il était en arrêt maladie.
Des séjours aux États-Unis, à l’île de Ré...
Le salarié est ainsi accusé d’avoir profité de ces périodes d’arrêt pour « se divertir pleinement » : « vacances à New-York et à Chicago au mois d’août 2015, présence au Parc des Princes le 11 septembre, au stade de Marseille le 4 octobre, à l’île de Ré le 9 octobre ».
Pour l’entreprise, un tel comportement s’avère « contraire à la bonne exécution, de bonne foi, du contrat de travail », ainsi qu’au « bon fonctionnement de l’équipe ». Plusieurs collègues auraient ainsi été « révoltés par de tels agissements », « abusifs ».
Le maintien du salarié dans l’entreprise étant jugé impossible, celui-ci a été licencié pour faute grave – c’est-à-dire immédiatement, sans préavis ni indemnité.
Un licenciement confirmé par les prud'hommes
L’affaire n’en est cependant pas restée là, puisque Monsieur X a contesté son licenciement devant la justice. Et pour cause : l’intéressé affirmait que ces voyages avaient été effectués en dehors de ses arrêts maladie (bien qu’il s’en soit fait l’écho sur Facebook durant ces mêmes périodes).
L’employé a également tenté de faire valoir, tout d’abord devant le conseil de prud’hommes, que les publications brandies par Auchan étaient purement privées. C’est en effet par le biais d’un collègue de travail, « ami Facebook », que l’entreprise a pu avoir connaissance de ces photos.
Alors que Monsieur X réclamait près de 20 000 euros d’indemnités, le conseil de prud’hommes de Poitiers a rejeté l'ensemble de ses demandes en mars 2018. Son licenciement pour faute grave a ainsi été confirmé.
Rien ne permettait de considérer que ces publications « reposaient sur des faits réels »
Saisie en seconde instance, la cour d’appel de Poitiers vient toutefois d’infirmer ce jugement, jeudi 3 octobre. « La société Auchan France établit bien que Monsieur X a posté, sur sa messagerie Facebook, à des dates auxquelles il était placé en arrêt de travail (...) des messages et photographies dont le contenu était destiné à informer ou à faire accroire qu’il se trouvait tantôt à New-York, tantôt à Chicago, tantôt à Paris ou à Marseille », analysent les juges (voir la décision sur Doctrine).
Toutefois, les magistrats estiment que l’employeur n’a apporté « aucun élément » permettant de contredire la version du salarié – lequel soutenait, à l’appui notamment de témoignages de voisins et de membres de son entourage, ne s’être en réalité rendu dans aucun de ces lieux, durant ces périodes.
« L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve, étant précisé que si un doute subsiste à cet égard, il profite au salarié », souligne la cour d’appel. Faute d’autres éléments à charge contre l'ex-employé, les juges ont ainsi donné gain de cause à Monsieur X. Avant d’enfoncer le clou :
« La société Auchan France n’établit donc pas qu’au cours de la période ayant couru du 13 juillet au 17 octobre 2015, Monsieur X a profité de ses arrêts maladie afin de se 'divertir pleinement’ mais seulement qu’il a diffusé, au cours de cette période, des messages dont rien ne permettait de considérer qu’ils reposaient sur des faits réels et qui, s’ils pouvaient générer une incompréhension, ne pouvaient cependant justifier son licenciement tant pour faute grave que pour une cause réelle et sérieuse. »
Le géant de la grande distribution a été condamné à verser plus de 6 000 euros à son ex-salarié, dont 2 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse ».
Hasard du calendrier, cette décision intervient alors que les pouvoirs publics souhaitent procéder à une « collecte de masse » des éléments rendus publics par les Français, notamment sur les réseaux sociaux, afin de lutter contre la fraude. Le fisc lorgne par exemple sur les photos de vacances des contribuables, qui pourraient mettre les agents de Bercy sur la piste d'éventuelles fausses déclarations (voir notre article).