Dans le cadre du projet de loi « anti-gaspillage », les sénateurs ont autorisé les forces de l'ordre à recourir à la vidéo-verbalisation, afin de lutter notamment contre les dépôts illicites d'ordures. Les contrevenants pourront ainsi être mis à l’amende, à distance et sans interpellation. À condition toutefois qu’ils puissent être identifiés.
Les personnes qui écrasent leur cigarette dans la rue ou qui jettent des papiers par la fenêtre de leur voiture seront-elles bientôt « vidéo-verbalisées », à l’instar de ce qui prévaut déjà depuis plusieurs années pour certaines infractions routières (stationnement interdit, usage du téléphone au volant...) ? Ce n’est pas forcément la première hypothèse visée par les sénateurs. Mais de fait, le texte qu’ils ont voté le 27 septembre dernier prévoit clairement cette possibilité.
Après deux semaines de débats, le Sénat a considérablement étoffé le projet de loi relatif « à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ». Outre une batterie de mesures contre l’obsolescence programmée (voir notre article), les élus de la Haute assemblée ont souhaité renforcer l’arsenal législatif visant les dépôts illicites d’ordures.
Le Sénat veut avancer plus vite que le gouvernement
Le gouvernement s’était déjà alarmé du problème. Dans son étude d’impact, le ministère de la Transition écologique faisait en effet valoir que les dépôts sauvages étaient « en voie d’augmentation ». Un phénomène aux « impacts multiples et directs », tant sur la qualité de vie des Français (« dégradation des paysages et du cadre de vie ») que sur l’environnement et la santé publique (pollution des sols, des cours d’eau, etc.).
L’exécutif demandait ainsi à pouvoir légiférer prochainement, par voie d’ordonnance, afin de « renforcer l’efficacité de la police des déchets ». Un cadre plutôt flou, alors que le gouvernement affirmait en marge de son projet de loi que la réforme consisterait à autoriser l’exploitation des « données issues de la vidéosurveillance », en vue « d’identifier les auteurs de dépôts illégaux de déchets ».

Ce manque de précision a cependant irrité le sénateur Jean-François Longeot, qui aurait préféré que l’habilitation sollicitée par le ministère de la Transition écologie fasse expressément référence à « l’utilisation de la vidéoprotection contre les abandons illégaux de déchets ». L’élu centriste a de ce fait déposé un amendement pour légiférer dès à présent, et graver directement dans le projet de loi « anti-gaspillage » des dispositions autorisant la vidéo-verbalisation des auteurs de dépôts sauvages.
Adopté sans débat particulier, en commission comme en séance publique, cet amendement prévoit que les images prises sur la voie publique, grâce aux caméras de surveillance, pourront être exploitées par les forces de l’ordre aux fins de « verbaliser l'abandon d'ordures, de déchets, de matériaux ou d'autres objets ».
À mi-chemin entre les radars automatiques et la vidéo-surveillance, la vidéo-verbalisation permet pour mémoire à un agent de police, installé devant ses écrans, de dresser un PV à distance. La contravention est reçue quelques jours plus tard par le titulaire de la carte grise, exactement de la même manière que s’il s’était fait flasher par un radar automatique (voir notre dossier).
À ce jour, seules certaines « infractions aux règles de la circulation » peuvent ainsi être vidéo-verbalisées : défaut de port de ceinture, usage du téléphone au volant, non-respect de stops et de feux rouges, refus de priorité aux piétons, dépassements dangereux, usage de voies et chaussées réservées à certaines catégories de véhicules (bus, taxis...), non-port du casque, etc.
L’amendement voté par le Sénat étend le champ de la vidéo-verbalisation aux décharges sauvages à proprement parler (machines à laver jetées en pleine nature, etc.). Mais aussi aux nombreuses atteintes à la propreté des voies publiques : abandon d’encombrants, jet de mégots, de sacs plastiques, etc. Des infractions en principe passibles d'une amende forfaitaire de 68 euros.
Couplage avec un accès au fichier des cartes grises
Pour pouvoir dresser leurs PV à distance, sans interpellation, les forces de l'ordre ont néanmoins besoin d’identifier le contrevenant. Pour les infractions routières, cette tâche s’avère plutôt aisée grâce aux plaques d’immatriculation.
Histoire de bien huiler le dispositif qui s’annonce, les sénateurs ont adopté un second amendement au projet de loi « anti-gaspillage », lequel précise que les policiers municipaux (de même que les gardes-champêtres) pourront eux aussi accéder au SIV, le fameux fichier des cartes grises, pour identifier les auteurs d’infractions « liées à l’abandon ou au dépôt illégal de déchets ».
Pour les personnes qui écraseraient simplement leur cigarette au cours d’une promenade (pour ne citer que cet exemple), l’affaire risque toutefois de se révéler bien plus délicate – pour ne pas dire impossible. Idem si le passager d’une voiture jette un papier par la fenêtre...
La vidéo-verbalisation n'est de fait possible que là où se trouvent des caméras... De plus, cette verbalisation « à la volée » n’est bien souvent utilisée que durant certaines plages horaires (pour des raisons de moyens humains). Il suffirait donc de se rendre dans des zones non surveillées, notamment à la campagne, pour passer entre les mailles du filet.
Restera désormais à voir si les députés maintiennent ces dispositions en l’état. Le gouvernement n’a pas manifesté d’opposition particulière à ces amendements, signe que cette réforme pourrait survivre au fil des débats.
L’Assemblée examinera le projet de loi « anti-gaspillage » en décembre prochain.