Arcom : le futur visage de la lutte anti-piratage

#Anéfé2019
Droit 10 min
Arcom : le futur visage de la lutte anti-piratage
Crédits : Tero Vesalainen/iStock

La future grande loi sur l’audiovisuel va consacrer le mariage entre la Hadopi et le CSA. À l’occasion de cette fusion, le gouvernement entend aiguiser les outils de lutte contre le piratage. Tour d’horizon actualisé des principales mesures.

Le projet de loi sur l’audiovisuel est actuellement en phase d’analyse auprès des différentes autorités administratives. Il terminera ce parcours par un examen du Conseil d’État avant sa présentation en conseil des ministres puis son dépôt au Parlement.

Nos confrères de Contexte ont révélé la dernière mouture de l’avant-projet de loi. Le volet antipiratage s’inscrit dans le sillage du texte révélé dans nos colonnes cet été.

C’est donc bel et bien confirmé : la Hadopi, après dix longues années d’existence, s’apprête à disparaitre, fusionnée avec le CSA au sein de l’Arcom, future autorité de régulation des communications audiovisuelles et numériques. Sans surprise, elle récupère l’ensemble des missions de la Hadopi. Dans le Code de la propriété intellectuelle, toutes les mentions de l’actuelle autorité sont très logiquement remplacées par ce nouveau sigle.

Des avertissements envoyés sur Gmail

Elle disposera comme sa future ancêtre d’agents assermentés aptes à recevoir les saisines des sociétés de gestion collective, celles constatant une mise à disposition d’œuvres sur les réseaux P2P.

Ces saisines seront ensuite utilisées pour adresser, comme aujourd’hui, des lettres d’avertissements.

La tourelle pénale de l’Arcom pourra adresser son courrier non seulement aux adresses des FAI mais aussi aux « adresses électroniques » dont elle dispose. L’abonné qui n’utilise pas l’adresse de son FAI, mais un compte Gmail par exemple, pourra donc recevoir ce mail, si du moins cette adresse est connue d’une manière ou d’une autre.

Reste que lorsqu’un émetteur transfère des centaines de milliers d’avertissements à un gestionnaire de mails, encore faudra-t-il que celui-ci ne les considère pas comme du vulgaire spam.

Des agents assermentés qui pourront noyauter IRC

Autre nouveauté procédurale, ces agents seront en capacité juridique de constater sur Internet les faits de contrefaçon ou la fourniture d’un dispositif de contournement d’une mesure technique de protection. À cette fin, ils pourront « participer sous un pseudonyme à des échanges électroniques susceptibles de se rapporter à ces infractions », et donc noyauter des forums, les messageries ou des chats sur IRC.

Ils auront également le droit de copier des œuvres, conserver les traces à titre de preuve ou encore « acquérir et étudier les matériels et logiciels propres à faciliter la commission d’actes de contrefaçon ». Leur seule contrainte : ne pas « inciter autrui à commettre une infraction ».

Un seul titulaire de droit pourra initier la riposte graduée

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, comme aujourd’hui la commission de protection des droits au sein de la Hadopi, pourra être saisie par les organismes de défense professionnels (comme l’ALPA), les organismes de gestion collective (la SACEM, la SCPP, etc.) ou le CNC. Elle pourra encore agir sur la base d’informations transmises par le procureur de la République ou, nouveauté du texte, d’un constat d’huissier établi à la demande d’un ayant droit.

Intérêt ? Les ayants droit individuels pourront saisir directement l’Arcom en s’appuyant sur un constat d’huissier. L’idée avait d’ailleurs été soufflée par la Hadopi, au fil de ses rapports d’activités (voir p 89 du rapport 2015 par exemple).

Autre vœu entendu par la Rue de Valois : l’allongement de 6 mois à 1 an du délai pendant lequel les procureurs peuvent transmettre des faits de contrefaçon à l’Arcom, là encore en amont de la riposte graduée.

La Hadopi avait expliqué en 2015 qu’ « à la suite de la dénonciation de faits de contrefaçon par les ayants droit, des parquets ont, dans certains cas, décidé de [lui] transmettre ces dossiers (…), lorsque l’auteur des faits de contrefaçon n’avait pas été identifié ou qu’ils souhaitaient ordonner un rappel à la loi plutôt que de poursuivre ces faits devant le tribunal correctionnel ». Seulement, la procédure était peu utilisée, car trop limitée dans le temps.

Les avertissements mentionneront les titres des oeuvres

Dans son rapport de 2014, elle soulignait encore que « la majorité des personnes qui contacte la Commission, après la réception d’une recommandation, le font pour obtenir le nom des œuvres téléchargées ou mises à disposition à partir de leur connexion à Internet ».

L’autorité avouait ne pas comprendre « la raison pour laquelle cette information ne figure pas dans la recommandation et la raison pour laquelle elle est obligée de faire une démarche particulière pour l’obtenir ».

Pour connaître cette raison, il suffit de revenir aux travaux parlementaires de 2009. « Nous ne voulons pas que ce contenu apparaisse dans l’avertissement, car cela pourrait créer des problèmes importants dans les familles, par exemple s’il s’agit d’un contenu pornographique » expliquait le député et rapporteur Franck Riester le 31 mars 2009.

De fait, ces craintes disparaissent aujourd’hui, alors que Riester est maintenant ministre de la Culture : les avertissements porteront les titres des œuvres, même s’il s’agit d’un film porno à l’intitulé très explicite.

Des « spécifications fonctionnelles » aux « informations utiles »

La disposition qui obligeait la Hadopi à rendre publiques  « les spécifications fonctionnelles pertinentes » des moyens de sécurisation est revue à la baisse.

L’Arcom n’aura plus qu’à dévoiler « des informations utiles sur les modes de sécurisation permettant de prévenir les manquements ».

On passe donc de « les » à « des », et de « pertinents » à « utiles », des termes beaucoup moins musclés, sachant que la Hadopi avait abandonné cette mission impossible en cours de route.

Follow the money : l’intervention timide de l’Arcom

L’approche « Follow The Money » est officialisée. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique encouragera « la signature et évalue[ra] l’application d’accords volontaires entre les titulaires de droits et toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes au droit d’auteur et aux droits voisins ou aux droits d’exploitation audiovisuelle prévus à l’article L. 333-1 du code du sport sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne. »

En clair, l’autorité sera chargée de jauger les accords passés entre le monde de l’audiovisuel, ainsi que ceux du sport avec les intermédiaires de paiement et de la publicité.

Ces accords existent déjà, mais sont couverts par une chape de plomb. Le texte apporte donc une touche de coloration publique, sachant que l’intervention de l’Arcom se limitera à évaluer la bonne application de ces accords. Pas plus. Le ministère a donc pris soin de dépouiller l’autorité de pouvoirs particuliers sur ce terrain, laissant craindre la persistance des problèmes d’opacité rencontrés aujourd’hui. 

Jauger les mesures de protection sur YouTube

La loi en gestation va transposer en France l’article 17 de la directive sur le droit d’auteur, dédié au filtrage des contenus. On retrouve la quasi-totalité des informations déjà révélées dans nos colonnes en juillet et septembre derniers : un filtrage des contenus sur les plateformes dont les obligations dépendront de leur popularité, de leur âge et de leur chiffre d’affaires.

Selon les hypothèses, ces mesures prendront la forme d’une obligation de retrait à l’obligation d’éviter les réapparitions de contenus.

L’Arcom, dans ce schéma, sera chargée d’évaluer l’efficacité des verrous techniques apposés par les plateformes d’hébergement de vidéo.

Cette fois, la mesure est nettement plus nerveuse puisque YouTube et les autres devront lui adresser chaque année une déclaration « précisant les mesures mises en œuvre, les conditions de leur déploiement et de leur fonctionnement, leur niveau d’efficacité et les modalités de collaboration avec les titulaires de droits ».

Elle pourra dans le même sens « obtenir toutes informations utiles » auprès des plateformes, des titulaires de droits et des concepteurs de verrous « sans que puisse lui être opposé le secret des affaires » (notre actualité) .

Elle formulera au besoin des recommandations sur les cadenas anticopies « au regard de leur aptitude à assurer la protection des œuvres et objets protégés ».

Une liste noire des sites pirates rendue publique

Autrefois présentée comme une option, la liste noire des sites massivement contrefaisants sera bien rendue publique. L’Arcom publiera « une liste des [sites] ayant fait l’objet d’une délibération du collège dans le cadre de laquelle aura été constaté que ces services portent atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteur ou aux droits voisins ».

Cette liste aura une première utilité : nourrir les accords privés entre titulaires de droits et intermédiaires de paiement ou de publicité, afin de couper les vivres à ces acteurs.

L’idée n’est pas nouvelle. Elle fut déjà proposée par Mireille Imbert-Quaretta dans un rapport présenté en 2014.

L’ancienne présidente de la Commission de protection des droits y voyait un autre avantage, comme elle nous l’expliquait : « tous ceux qui ont « connaissance », parce que c’est public, ne pourront plus dire qu’ils ne savent pas. S’ils continuent à faire comme s’ils ne savaient pas que des liens renvoient vers des sites massivement contrefaisants, leur responsabilité quasi délictuelle civile sera susceptible d’être engagée. On sera alors dans le droit commun : sur le terrain de la LCEN, dès qu’il y a publicité, ils ne peuvent plus faire comme s’ils ne savaient pas ».

En somme, la diffusion publique d’une liste noire des sites pirates, validée par une autorité indépendante, serait opposable aux tiers. Elle permettrait de mettre en cause directement la responsabilité des hébergeurs, tout en déchargeant le combat des sociétés de gestion collective et autres organismes de défense.

Pour établir cette liste noire, l’Arcom s’appuiera en tout cas sur les constats dressés et transmis par les agents agréés et assermentés de l’Alpa notamment.

Avant d’injecter un site sur la liste noire, l’autorité suivra une procédure contradictoire avec ses responsables. La décision leur sera ensuite notifiée sur la base des mentions légales trouvées sur les sites en cause. « Lorsque ces informations ne sont pas disponibles, l’Autorité informe le service concerné par l’intermédiaire de son site Internet ». Cette décision sera susceptible de recours devant le Conseil d’État.

Le S.A.V. des décisions de blocage

L’Arcom sera tout en autant en charge d’assurer le respect des décisions judiciaires de blocage, celles interdisant « la reprise totale ou partielle d’un contenu portant atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ».

Saisie par un titulaire de droit, elle pourra contacter les FAI, les fournisseurs de noms de domaine ou les moteurs en cas de réapparition de ces contenus, pour solliciter l’extension du blocage ou du déréférencement. Remarquons que le texte se soucie peu de la durée de ces mesures.

L’idée est en tout cas calquée sur la proposition de loi Avia contre les contenus dits « haineux ». L’intervention de l’Arcom se limitera à une simple demande. Si l’intermédiaire ne donne pas suite, l’autorité pourra saisir le juge pour ordonner ce qu’elle n’a pu obtenir « amicalement ».

Blocage de sites durant les compétitions sportives

Le secteur des compétitions sportives a été entendu par le ministère de la Culture. Des dispositions sont intégrées dans la future grande loi sur l’audiovisuel pour trouver des solutions contre les retransmissions pirates de ces évènements.

Lorsqu’un site diffuse régulièrement ces contenus sans autorisation, le titulaire de ce droit, une ligue professionnelle ou une chaîne pourra saisir le président du tribunal judiciaire, « aux fins d’obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

La justice pourra alors ordonner au besoin un blocage et un déréférencement durant le calendrier d’une compétition à venir. L’Arcom est placée sur le banc de touche puisqu’elle se limitera à élaborer « des recommandations sur les modalités d’identification et de caractérisation » des sites pirates. En d’autres termes, la case justice sera inévitable, du moins en l’état du texte, rendant donc impossible le blocage en temps réel suggéré au Sénat en février dernier.

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