Facebook tenu de supprimer les contenus illicites identiques ou équivalents, à l’échelle mondiale

Facebook tenu de supprimer les contenus illicites identiques ou équivalents, à l’échelle mondiale

Ronronnements au CSPLA

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Marc Rees

Publié dans

Droit

03/10/2019 10 minutes
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Facebook tenu de supprimer les contenus illicites identiques ou équivalents, à l’échelle mondiale

La Cour de justice de l’Union européenne vient de juger que Facebook pouvait être enjoint à supprimer des contenus haineux identiques, mais provenant d’une autre personne. Elle étend cette décision aux propos équivalents. Mieux, ce coup de gomme peut être décidé à l’échelle mondiale. Explications, nuancées. 

Il n’est pas rare sur les réseaux sociaux qu’une personnalité soit trainée dans la boue. Insultes, injures, calomnies… Le droit actuel offre une ribambelle de solutions pour retrouver la personne et, le cas échéant, déployer une réponse au besoin pénale.

Attaquer l’auteur d’un propos est une solution. S’en prendre à l’hébergeur, à savoir le site qui a abrité et mis à disposition ces contenus litigieux, en est une autre. Tout aussi efficace, mais aux problématiques lourdes puisque ce tiers est appelé finalement à prendre une décision de suppression, potentiellement attentatoire à la liberté d’expression. D’où l’importance de l’encadrement de ce coup de ciseau. 

En avril 2016, Éva Glawischnig-Piesczek, députée autrichienne et membre du parti des Verts, est prise à partie par un internaute sur Facebook. Furibard contre ses positions sur la politique migratoire, il la traite de « Sale traîtresse du peuple », « idiote corrompue », membre d’un « parti de fascistes » et autres propos nauséabonds.

Le 7 juillet 2016, l’élue exhorte Facebook de supprimer ces contenus. Refus du réseau social. Et l’affaire prend la route des juridictions. Elle obtient une ordonnance de référé qui enjoint Facebook à retirer ces propos, mais également ceux équivalents en attendant que l’affaire soit tranchée au fond.

Le réseau social décide de rendre inaccessibles les premiers contenus en Autriche, mais pas au-delà. L’ordonnance est attaquée en appel. La cour décide que la suppression des contenus équivalents doit bien cesser, mais seulement s’ils sont portés à la connaissance de Facebook.

Devant la Cour suprême autrichienne, le dossier prend encore plus d’ampleur. Avant de trancher, celle-ci a déposé une série de questions préjudicielles pour savoir si la suppression de ces noms d’oiseau, outre l’effacement des contenus identiques (et donc venant d’autres personnes) pouvait être étendu aux contenus équivalents. Mieux, si ces mesures devaient être ordonnées à l’échelle mondiale.

Le cas est une première. La directive de 2000 sur le commerce électronique encadre la responsabilité des intermédiaires comme Facebook. L’article 15 interdit la surveillance généralisée et le 14 permet de mettre en cause l’hébergeur seulement s’il est informé de la présence d’un contenu déclaré comme illicite, mais ne fait rien ou ne le supprime pas rapidement.

Exiger de Facebook de supprimer un contenu, mais également de dénicher puis d’effacer ceux similaires ou équivalents change tout de même l’échelle du problème. La cour va se pencher sur ces dispositions en s’appuyant également sur l’article 18 de la directive de 2000 selon lequel :

« Les États membres veillent à ce que les recours juridictionnels disponibles dans le droit national portant sur les activités des services de la société de l'information permettent l'adoption rapide de mesures, y compris par voie de référé, visant à mettre un terme à toute violation alléguée et à prévenir toute nouvelle atteinte aux intérêts concernés. »

En cas de contenus illicites retrouvés chez un hébergeur, les États membres doivent donc mettre fin à toute violation, mais également prévenir toute réplique.

Suppression des contenus identiques à un contenu déjà déclaré comme tel

Dans une acception très basique de la directive de 2000, la logique voudrait que lorsqu’un contenu illicite est repéré chez un hébergeur comme Facebook, celui-ci reçoive une notification visant une adresse URL déterminée. À charge pour les prétendues victimes de notifier les autres contenus, les uns après les autres, dans une sorte de quêtes sans fin.

19 ans plus tard, la Cour souligne qu’« étant donné qu’un réseau social facilite la transmission rapide des informations stockées par l’hébergeur entre ses différents utilisateurs, il existe un risque réel de voir une information ayant été qualifiée d’illicite être ultérieurement reproduite et partagée par un autre utilisateur de ce réseau. »

De ce constat, elle estime donc légitime qu’une juridiction nationale « puisse exiger de cet hébergeur qu’il bloque l’accès aux informations stockées, dont le contenu est identique à celui déclaré illicite antérieurement, ou qu’il retire ces informations, quel que soit l’auteur de la demande de stockage de celles-ci. ».

Petite phrase, fortes implications. Si Facebook, Twitter, YouTube ou un hébergeur plus modeste doit supprimer les contenus identiques à un contenu déclaré comme illicite, cela lui le conduit finalement à constituer une empreinte numérique puis d'assurer, fusil à l'épaule, une surveillance de l’ensemble des mises en ligne ultérieures. De son guet, elle pourra alors déterminer, dans le flux, les possibles correspondances.

N’est-ce pas là une surveillance généralisée, justement prohibée par la directive de 2000 ? Non, anticipe la cour :

« Eu égard, en particulier, à cette identité de contenu des informations concernées, l’injonction délivrée à cet effet ne saurait être considérée comme instituant à la charge de l’hébergeur une obligation de surveiller, de manière générale, les informations qu’il stocke, ni une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 »

En clair, puisque cette surveillance est ciblée sur UN contenu, non TOUS les contenus, elle n’est par définition pas généralisée. Ce petit bout de phrase vient conforter les mesures de filtrage espérées par les partisans de la directive sur le droit d’auteur.

Dans la future loi de transposition de l’article 17 de ce texte, révélé par Next INpact, la France poursuit cette même logique : puisque le filtrage est concentré sur les seuls catalogues des ayants droit, il ne sera pas généralisé. 

Suppression des contenus identiques à un contenu déjà déclaré illicite

Sur cette lancée, Facebook & co. doivent-ils tout autant supprimer les contenus cette fois simplement équivalents ? Un contenu équivalent est celui qui « reste, en substance, inchangé et, dès lors, diverge très peu de celui ayant donné lieu au constat d’illicéité » explique laconiquement la cour.

La décision ne donne aucun exemple concret. Au regard des injures précitées, « Idiote corrompue » serait sans doute jugée équivalent à « petite idiote corrompue » ou « sale idiote corrompue ».

Il serait d’une certaine manière contreproductif d’imposer à la victime de refaire tout un round judiciaire en raison de quelques adjectifs en plus ou en moins.

C'est ce qu'explique la cour : « l’illicéité du contenu d’une information résulte non pas en soi de l’emploi de certains termes, combinés d’une certaine manière, mais du fait que le message véhiculé par ce contenu est qualifié d’illicite, s’agissant, comme en l’occurrence, de propos diffamatoires visant une personne précise ».

Ainsi, selon elle, une injonction visant à supprimer et empêcher la réapparition d’un contenu illicite doit effectivement pouvoir s’étendre à ceux véhiculant en substance le même message, formulés de manière légèrement différente.

Voilà pour les grandes lignes. La cour sait cependant qu’une telle approche nous glisse cette fois beaucoup plus dangereusement sur la pente de la surveillance généralisée, prohibée par les textes européens.

Au regard de la problématique des contenus haineux en ligne, elle tente de ménager les plateaux de la balance en dessinant une ligne de conduite : pour que les informations équivalentes puissent être dézinguées par une plateforme, encore faut-il que l’injonction de retirer et empêcher la réapparition embarque une série d’éléments « dûment identifiés ».

La liste de ces éléments n’est pas donnée exhaustivement, mais la cour cite en exemple :

  • Le nom de la personne concernée par la première violation
  • Les circonstances dans lesquelles cette violation a été constatée
  • Un contenu équivalent à celui déjà déclaré illicite

La CJUE apporte un éclairage important sur ce dernier point : « Des différences dans la formulation de ce contenu équivalent, par rapport au contenu déclaré illicite, ne doivent pas, en tout état de cause, être de nature à contraindre l’hébergeur concerné à procéder à une appréciation autonome dudit contenu ».

En clair, l’hébergeur n’aura pas à se demander, seul dans son coin et selon sa sensibilité rigide ou libertaire, si tel nom d’oiseau est équivalent à une première insulte. L’injonction devra mentionner en dur les contenus dits équivalents. Avec cette liste, la CJUE imagine que Facebook par exemple pourra « recourir à des techniques et à des moyens de recherche automatisés ». En somme, une solution de filtrage pour dénicher et effacer automatiquement une liste de mots interdits ou équivalents à ces interdits.

Puisque cette quête aura un périmètre limité à des contenus de même couleur, les magistrats considèrent là encore qu’il n’y a pas de surveillance généralisée. 

Une injonction à portée mondiale

Enfin, quelle est la portée territoriale de ces suppressions ? Doit-elle être limitée au territoire d’un État membre, de l’Europe ou ordonnée à l’échelle mondiale ?

Sur ce point, la cour est moins tatillonne que sur le droit à l’oubli : rien dans la directive de 2000 sur le commerce électronique n’interdit pareille portée planétaire. Il faut simplement veiller à ce que l’injonction ne contrarie pas les conventions ou les grands principes du droit international. Mais, sans ces contraintes, la suppression peut être effectivement enjointe dans l’ensemble des pays, même hors UE.

Cette jurisprudence devrait évidemment retenir l'attention de Laetitia Avia, dans le cadre de sa proposition de loi contre la haine en ligne bientôt discutée au Sénat, déjà adoptée par les députés.  

Elle soulève tout de même de nombreuses interrogations.

Que se passera-t-il par exemple si une victime française constate que Facebook diffuse au Mexique des contenus qu'il avait lui déjà épinglé dans une notification ? Les intermédiaires techniques sont-ils astreints à une obligation de résultats ou simplement de moyens ? De même, la cour a été peu bavard sur les droits des autres internautes qui pourraient souffrir des solutions de filtrage recommandées par la décision. 

Écrit par Marc Rees

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Sommaire de l'article

Introduction

Suppression des contenus identiques à un contenu déjà déclaré comme tel

Suppression des contenus identiques à un contenu déjà déclaré illicite

Une injonction à portée mondiale

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Commentaires (21)


J’éprouve de très grandes difficultés à comprendre comment ce n’est pas une surveillance généralisée, dans la mesure où, pour trouver une copie d’un message, on doit parcourir l’intégralité des messages pour les comparer. Vraiment, quelque chose m’échappe.








Sans intérêt a écrit :



J’éprouve de très grandes difficultés à comprendre comment ce n’est pas une surveillance généralisée, dans la mesure où, pour trouver une copie d’un message, on doit parcourir l’intégralité des messages pour les comparer. Vraiment, quelque chose m’échappe.





C’est parceque la définition légale d’une surveillance généralisée contient 4 ou 5 points. S’il en manque 1 on sort du cadre donc c’est bon. Le filtrage ne concerne seulement qu’une personne alors c’est bon.



Mouais, elle a bon dos la “surveillance généralisée”, elle est systématiquement esquivée, avec une facilité déconcertante … Quand les dernières lois en date (AD, Avia, presse, et celle-là) commenceront à être appliquées, les réseaux sociaux vont en prendre un sacré coup … coup fatal ?


La CJUE qui croit que ses décisions peuvent s’imposer à des internautes non européens …Ils vont se manger une belle beigne de réalité, quand Facebook va attaquer ça devant une juridiction US (qui, elle, aura les moyens d’imposer ses décisions au reste du globe)… J’en salive d’avance (et pourtant, j’aime pas du tout Facebook) !


C’est l’avènement du plus petit dénominateur commun… si on censure n’importe qui dans le monde sur base de la législation de n’importe quel pays, la liberté d’expression va être belle… on va empiler la censure française, hongroise, russe, chinoise,saoudienne,australienne, …. et à la fin il restera quoi?


ça veut dire quoi équivalent ? Juste des synonymes de mots ou un discours équivalent ? cela ne va pas être simple à analyser.








spidermoon a écrit :



ça veut dire quoi équivalent ? Juste des synonymes de mots ou un discours équivalent ? cela ne va pas être simple à analyser.







La cjue donne des pistes mais on manque effectivement d’exemples…. la patate chaude dans les mains des juges nationaux encore et toujours



Est-ce que tous les dictateurs du monde pourront eux aussi faire supprimer à l’échelle mondiale les tweets qu’ils jugent injurieux à leur égard selon leur droit national ?


Peut-on encore considérer les médias sociaux comme des hébergeurs ?

Ce sont des outils de publication de contenu généré par l’utilisateur.

Ces contenus sont soumis à une charte d’utilisation appliquée par la plateforme via une modération qui a déjà un effet mondial.

Les contenus hors charte d’utilisation (et donc de publication) sont d’ores et déjà censurés de manière arbitraire et mondiale. Avec un recours quasi inexistant.



A mes yeux, ce sont des éditeurs de contenu.


On est pas sorti de l’auberge si chaque pays demande à appliquer ses règles de censure à l’échelle mondiale…

(même si c’est malheureusement déjà le cas pour les USA)


Pareil, d’un côté technique je vois pas comment tu peux le faire sans faire une surveillance généralisée.


Effectivement.

Pour la portée (nationale, européenne, mondiale) de ce genre de loi, on avait le cas Yahoo! vs LICRA, mais ça remonte maintenant : la loi française contre la « haine » (en l’occurrence c’était celle sur le nazisme) est contrairement au sacro-saint Premier Amendement américain.


Au départ de l’affaire, quel est le motif de la demande de suppression ? Discours haineux ? Insulte envers une élue ?


C’est décrit au troisième paragraphe de l’article.


J’y vois bien les insultes, mais pas le motif de la plainte. Sur le lien vers la précédente actu, idem.


Faire cesser des campagnes de harcèlement, oui évidemment.



Mais brasser autant d’air parce qu’un mec pas content et pas d’accord avec vous vous heurte un peu, franchement ils ont pas autre chose à faire… Surtout si ça implique de réfléchir à mettre en place de la surveillance de masse. C’est un con il t’a insulté bah tu le bloques et tu passes à autre chose, quoi elle a été profondément meurtrie dans son ego ? Franchement si tout le monde faisait ça, mettre en branle tout le système judiciaire parce qu’UNE personne pas d’accord avec soi a été insultante (en plus sur Internet quoi…), on ne s’en sortirai pas (et les tribunaux encore moins, ils n’en ont toute façon pas le temps).



Après je comprends, c’est une élue, elle doit montrer l’exemple et montrer qu’on ne peut pas agir comme ça en toute impunité. Mais dans la réalité, qui attaque en diffamation ou en quoi que soit quelqu’un qui l’a insulté (ou juste à dit quelque chose qui ne lui a plus) à part les politiques - c’est d’ailleurs souvent leur seule réponse ?



Cette législation de la morale devient de plus en plus grotesque…


c’est assez magique ce texte. donc on instaure une surveillance massive, et il suffit de dire qu’elle n’est pas générale “au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 200031” pour que ça passe. ^^



un peu comme si je disais “Nextinpact c’est des escrocs”, et plus loin “mais pas au sens du Code pénal article 313-1”. <img data-src=" />


Pas fatal, quand même pas. Au pire ( mieux?), si les lois françaises et/ou européennes deviennent trop contraignantes, ils fermeront leurs filiales locales de manière à se mettre hors de portée des juges européens, et voilà tout (et ce sera transparent pour les utilisateurs locaux). Je me demande d’ailleurs pourquoi ils ne l’ont pas déjà fait.


il y a tout de même aussi une attaque insultante envers le parti, donc cela dépasse le simple cadre de l’attaque personnelle.



Te faire traiter d’idiot, ce n’est pas pareil que d’avoir sa famille traitée de fascistes. (oui, ici c’est une famille politique)








dematbreizh a écrit :



il y a tout de même aussi une attaque insultante envers le parti, donc cela dépasse le simple cadre de l’attaque personnelle.



Te faire traiter d’idiot, ce n’est pas pareil que d’avoir sa famille traitée de fascistes. (oui, ici c’est une famille politique)





Oui c’est vrai qu’il y a cette nuance, après on parle toujours d’attaques de la part d’une seule personne…



Ça me fait penser, c’est aux US (et pas que non ?) où tu peux pourrir d’insultes et de menaces une personne sans trop risquer, mais dès que tu t’attaques à un groupe de personne ça devient tout de suite du discours de haine, c’est la même philosophie.



Je persiste à dire que c’est quand même beaucoup d’efforts pour un seul blaireau qui s’est défoulé via Internet sur cette élue… Tu le bloques / signale et basta. Ces gens-là n’ont pas passé beaucoup de temps sur Internet aha x)









MarcRees a écrit :



La cjue donne des pistes mais on manque effectivement d’exemples…. la patate chaude dans les mains des juges nationaux encore et toujours





Clairement la CJUE se défausse et sur un sujet qui est au cœur de la liberté d’expression.



Il faut pas être grand clerc pour imaginer que l’on va partir d’un contenu initial illicite, pour en profiter pour charger la mule de l’injonction en mettant toutes les formules simplement critiques à l’égard du “nom de la personne”.



Les dommages collatéraux sont impossibles à évaluer tellement ils sont nombreux.