Le Sénat adopte une batterie de mesures pour lutter contre l'obsolescence programmée

Bientôt dans les poubelles de l'Assemblée
Droit 9 min
Le Sénat adopte une batterie de mesures pour lutter contre l'obsolescence programmée
Crédits : Ejla/iStock

Initiation des collégiens à la réparation, introduction d’un « indice de durabilité » des produits, mises à jour obligatoires pendant dix ans pour les smartphones et tablettes, etc. Le Sénat a adopté de nombreuses mesures contre l’obsolescence programmée, la semaine dernière, dans le cadre du projet de loi « anti-gaspillage ». Explications.

« Avancées majeures », « dispositions essentielles », « petite révolution »... Les associations de protection de l’environnement, à commencer par Zero Waste France et Halte à l’obsolescence programmée, ont assez largement salué le texte adopté par les sénateurs, vendredi 27 septembre, après deux semaines de débats.

Et pour cause : les élus de la Haute assemblée ont voté, bien souvent contre l’avis du gouvernement, une batterie d’amendements destinés à allonger de la durée de vie des produits, notamment électroniques (téléphones, ordinateurs, électroménager, etc.).

En plus de l’indice de réparabilité, un indice de durabilité (à horizon 2024)

Suivant les préconisations de différentes associations, parmi lesquelles l’UFC-Que Choisir, les sénateurs ont souhaité qu’un « indice de durabilité » voit le jour – aux côtés de l’indice de réparabilité d’ores et déjà prévu par le projet de loi (voir notre article).

Dans la même logique, les fabricants « d’équipements électriques et électroniques » devront transmettre leur indice de durabilité « ainsi que les paramètres ayant permis de l’établir » aux vendeurs, bien entendu « sans frais ». À charge ensuite aux magasins d’afficher cette note de manière visible, y compris en cas de vente en ligne. Exactement comme pour l’étiquette énergie des produits de type frigos ou machines à laver.

Il appartiendra toutefois au gouvernement de définir, par le biais d’un décret, quels seront les critères permettant de définir ce fameux indice... Taux de retour auprès du service après-vente ? Délai moyen entre deux pannes ?

La secrétaire d’État en charge de la Transition écologique, Brune Poirson, a clairement laissé entendre que l’opération risquait de virer au casse-tête : « La durabilité d’un produit dépend notamment des conditions d’usage, qui sont très variables et surtout difficiles à objectiver », a-t-elle fait valoir, lors des débats en séance publique. Le gouvernement a ainsi tenté de s’opposer à cette réforme, invitant les sénateurs à se « concentrer sur la réparabilité des produits, parce qu’elle est objectivable et parce que cela permet a minima d’obtenir une forme de consensus entre les différentes parties prenantes ». En vain.

Si la mesure était maintenue par les députés, l’exécutif aurait néanmoins du temps pour préparer le terrain : en l’état, l’indice ne sera obligatoire qu’au 1er janvier 2024.

L’entrée en vigueur de l’indice de réparabilité a quant à elle été repoussée d’un an, soit au 1er janvier 2022.

Une information détaillée sur les pièces détachées des produits électroniques

En matière de réparabilité, la loi impose d’ores et déjà aux professionnels d’indiquer aux consommateurs la durée de disponibilité des pièces détachées de leurs produits. Le projet de loi « anti-gaspillage » prévoyait que celles-ci soient à l’avenir fournies dans un délai maximum de vingt jours, contre deux mois aujourd’hui.

Les sénateurs ont toutefois ramené ce délai à trente jours, afin de le faire coïncider avec le délai imparti aux distributeurs pour réparer un produit dans le cadre de la garantie légale de conformité.

Autre nouveauté : pour les équipements électriques et électroniques, les clients devront disposer d’informations détaillées. En clair, le consommateur pourra connaître la durée de disponibilité de chaque pièce détachée (batterie, écran, clavier, etc.).

Initiation des collégiens à la réparation

Les élus de la Haute assemblée ont ensuite adopté plusieurs amendements prévoyant une sensibilisation obligatoire des élèves à « la réduction des déchets, au réemploi et au recyclage des produits et matériaux, ainsi qu’au geste de tri ». Cette sensibilisation s’effectuera dans le cadre de leur formation (déjà vaste) à « l'utilisation responsable des outils et des ressources numériques ».

Le texte précise au passage que les collégiens devront être initiés « aux techniques de réparation, de mécanique et d’entretien des produits ». Une façon, selon les parlementaires à l’origine de cette proposition, de « donner à chacun les moyens et compétences nécessaires pour s’émanciper de l’obsolescence programmée ».

Le gouvernement a (vainement) tenté de s’opposer à ces dispositions, jugées « trop détaillé[es] et spécifique[s] pour figurer dans la loi », dixit Brune Poirson.

« Droit à la réparation »

Autre mesure-clé : l’interdiction de « toute technique, y compris logicielle, par laquelle un metteur sur le marché vise à rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’un appareil hors de ses circuits agréés ».

« Nous le savons, c’est devenu un sport international : certains fabricants mettent en œuvre des procédés qui rendent les biens qu’ils produisent absolument irréparables », a expliqué l’écologiste Joël Labbé, lors des débats. « Par exemple, les smartphones, ordinateurs ou tablettes numériques sont parfois conçus avec des composants collés ou soudés, ce qui empêche toute réparation, même par des professionnels. »

Les sénateurs ont ainsi voulu introduire une sorte de « droit à la réparation », destiné autant à protéger l’environnement qu’à doper les filières liées à l’économie circulaire.

Fait rare, cette réforme a été votée contre l’avis du gouvernement comme de la rapporteure, Marta de Cidrac. « L’infraction d’obsolescence programmée recouvre potentiellement ces pratiques, sans qu’il paraisse nécessaire d’insérer une disposition spécifique à ce sujet » a notamment objecté l’élue LR, les yeux rivés sur le délit d’obsolescence programmée en vigueur depuis 2015.

Brune Poirson a embrayé, ajoutant qu’il n’était « pas aisé de démontrer qu’une technique, surtout une technique logicielle, vise spécifiquement à empêcher la réparation hors des circuits agréés ». « Il est très difficile de prouver de façon irréfutable qu’un fabricant a intentionnellement rendu son produit irréparable », a prévenu la secrétaire d’État, avant d’être accusée par le communiste Pierre Ouzoulias de « protége[r] les intérêts de Microsoft ».

Téléphone, tablettes : obligation de proposer des mises à jour pendant 10 ans

Dans un registre proche, la Haute assemblée a adopté un amendement visant à lutter contre l’obsolescence logicielle des téléphones et tablettes. « Nous vous proposons un système intéressant qui renverse la charge de la preuve, a expliqué le sénateur Ouzoulias : il s’agit d’imposer aux constructeurs de logiciels la permanence pendant dix ans du système d’exploitation, de manière à assurer une durée de vie plus longue aux téléphones portables. »

Concrètement, les « fabricants de téléphones mobiles et de tablettes tactiles » (et donc pas d’ordinateurs, notamment) seront « tenus de proposer à leurs clients des mises à jour correctives du système d’exploitation utilisé par leurs appareils compatibles avec tous les modèles de leur gamme jusqu’à dix ans après leur mise sur le marché ».

Les constructeurs devront fournir « autant de mises à jour correctives que nécessaire », précise le texte, pour que chacun de leurs modèles puisse bénéficier de mises à jour « adaptées à sa puissance et à ses capacités de stockage tout en conférant à l’appareil des capacités et une performance suffisante, notamment en matière de sécurité ».

En cas de manquement, les fabricants s’exposeront à des peines pouvant atteindre deux ans de prison et 300 000 euros d’amende.

Une nouvelle fois, le gouvernement a essayé de faire barrage à cette réforme, jugée trop « drastique » par Brune Poirson. « Un tel dispositif imposerait aux constructeurs des solutions techniques de compatibilité dans le temps entre systèmes d’exploitation », a-t-elle mis en garde. Sans succès.

« Il est particulièrement insupportable qu’un appareil parfaitement fonctionnel soit rendu inutilisable par une simple mise à jour logicielle », a notamment rétorqué le communiste Guillaume Gontard. « Les pratiques des constructeurs de téléphones en la matière sont tout à fait déloyales et honteuses : elles ont d’ailleurs valu à Apple et à Samsung, en Italie, des amendes de 10 millions et 5 millions d’euros respectivement ; en France, une enquête est en cours. Nous avons ici l’occasion d’agir ! »

Outre ces dispositions, les sénateurs ont souhaité que le gouvernement leur remette, dans un délai d’un an, un rapport sur « la durée de vie des appareils numériques, l’obsolescence logicielle et ses impacts et les options pour allonger la durée de vie des équipements concernés ».

Des compteurs d’usage, notamment pour les ordinateurs et smartphones

Suivant une nouvelle fois les préconisations de certaines ONG, les élus de la Haute assemblée ont imposé l’installation, sur les appareils électroniques et le gros électroménager, de « compteurs d’usage ». À compter du 1er janvier 2022, tout produit de type lave-linge, ordinateur, téléphone... devra disposer d’un « dispositif visible au consommateur qui enregistre de façon cumulative l’usage du produit en nombre d’unités ».

Concrètement, le nombre de recharges de la batterie pourrait être indiqué sur les ordinateurs portables, ou le nombre de cycles effectués par une machine à laver.

« De tels compteurs d’usage sont déjà en place sur un certain nombre de biens, mais ils ne sont pas visibles par le consommateur », a fait valoir l’écologiste Joël Labbé. Selon lui, chaque client pourra ainsi avoir « accès à une information lui permettant de mieux gérer l’entretien de son bien, et ainsi d’en prolonger la durée de vie. Ce dispositif permettra aussi de renforcer la confiance des acheteurs sur le marché des biens d’occasion. »

« À ce stade, imposer la mise en place d’un compteur d’usage me semblerait un peu prématuré », a néanmoins objecté Brune Poirson. « Si l’on veut bien faire les choses, il faut procéder par étapes », a martelé la secrétaire d’État, invitant une nouvelle fois à se concentrer sur l’indice de réparabilité des produits.

Les invendus devront être donnés ou, au pire, recyclés, sous peine de sanctions

Concernant l’interdiction de destruction des invendus, les sénateurs ont sensiblement modifié la copie du gouvernement. Les producteurs et distributeurs seront tenus de « réemployer », de « réutiliser » ou de « recycler » leurs produits non alimentaires neufs, mais en privilégiant le don (notamment aux associations). Le recyclage, qui reste une forme de destruction, ne sera ainsi possible qu’en dernier recours.

Des sanctions ont par ailleurs été introduites, puisqu’en cas de manquement, les entreprises contrevenantes s’exposeront à des amendes administratives pouvant atteindre 15 000 euros.

Pas d'augmentation des durées légales de garantie

Si les sénateurs ont refusé d’allonger la durée des garanties légales, ils ont en revanche adopté un amendement obligeant les vendeurs à indiquer, sur les factures à destination de leurs clients, que l’achat d’un produit « s’accompagne d’une garantie légale de conformité ».

La durée de cette fameuse garantie, en principe de deux ans, n’aura cependant pas à être précisée...

Les élus du Palais du Luxembourg espèrent malgré tout faire de la publicité à cette protection obligatoire (et gratuite). Certains consommateurs en ignorent parfois l’existence, et optent ainsi pour des garanties commerciales à l’intérêt limité.

Interdiction de certaines publicités

Enfin, le Sénat a interdit « toute publicité ou action de communication commerciale incitant à dégrader des produits en état normal de fonctionnement et à empêcher leur réemploi ou réutilisation ». Objectif : s’attaquer à l’aspect marketing de l’obsolescence programmée.

D’ailleurs, les spots visant à « promouvoir la mise au rebut de produits » devront quant à eux « contenir une information incitant à la réutilisation ou au recyclage ».

Toute la question sera maintenant de savoir ce qu’il restera de ces dispositions après l’examen du projet de loi « anti-gaspillage » par les députés, prévu pour le mois de décembre... Le gouvernement s’est en effet opposé à la plupart de ces réformes.

« Les attentes sont désormais très fortes envers les députés, en particulier de la majorité gouvernementale, pour ne pas détricoter ces avancées mais au contraire les renforcer dans l’intérêt des citoyens et de l’environnement » a fait savoir Laetitia Vasseur, de l’association Halte à l’obsolescence programmée.

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