Mi-septembre, Google signait une convention avec le parquet national financier. Elle acceptait de verser 500 millions d’euros pour mettre un terme au contentieux fiscal sur ses épaules. 500 autres millions sont prévus pour rattraper les impôts non payés. De fait, l'entreprise risquait une amende théorique beaucoup plus importante de 8,2 milliards d'euros.
Cette mesure transactionnelle a été rendue possible par la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale. L’entreprise qui accepte le « deal » doit alors « se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l'Agence française anticorruption, à un programme de mise en conformité ». L’accord passé entre les autorités et le redevable éteint ainsi les poursuites sans pour autant emporter déclaration de culpabilité.
Lors de l’annonce, le parquet national financier avait indiqué que la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), nom technique de cet accord, allait être publiée très prochainement sur le site de l’Agence française anticorruption. Ce document est désormais en ligne, comme nous avons pu le constater. Avec lui, on connait maintenant les ressorts de la procédure.
En 2012, la direction générale des finances publiques avait adressé à Google Ireland Ltd une proposition de rectification fiscale.
Un établissement stable en France, un impôt sur les sociétés éludé
Pourquoi ? La DGFIP estimait que l’entité disposait en France d’un « établissement stable ». Cette qualification avait pour effet de relocaliser dans nos frontières les revenus engrangés par la structure. En juin 2015, le directeur régional des finances publiques d’Île-de-France et du département de Paris a également déposé plainte devant le procureur de la République, cette fois pour défaut de souscription de déclarations à l’impôt sur les sociétés.
En avril dernier, la justice administrative déchargeait Google pour les exercices 2005 à 2010, expliquant que la structure ne disposait pas en France d’un tel établissement. La nouvelle enquête portant sur les exercices ultérieurs a révélé cette fois que les salariés de l’entité française « excédaient le cadre contractuellement défini » dans le contrat d’assistance marketing et commerciale passé avec sa sœur irlandaise.
Il est même apparu que Google France a joué un « rôle premier (...) dans les relations commerciales nouées avec Google Ireland LTD avec ses clients grands comptes situés en France ». Selon le procureur financier, elle a également effectué d’autres missions, toujours non prévues par l’accord contractuel. Toutes auraient dû être rémunérées par Google Irlande puis déclarées en France.
Dissimulation avec la complicité de Google Ireland LTD
En somme, en faisant plus que ce qui était prévu par le contrat d’assistance, Google France « a largement dépassé le cadre de simples prestations de service pour le compte de Google Ireland, mais s’est livrée à une activité commerciale auprès notamment de grands groupes de distribution en France », détaillait l’ordonnance de validation de la convention, rendue par le tribunal de grande instance de Paris le 12 septembre dernier.
Conclusion des magistrats : « Google France s’est soustrait à l’établissement de l’impôt sur les sociétés par dissimulation d’une part des sommes sujettes à l’impôt, avec la complicité de Google Ireland LTD ».
Devant les enquêteurs, les représentants de Google ont fait valoir avoir « reçu de nombreux conseils professionnels sur le bien-fondé de leur structure fiscale, confortés par les décisions des tribunaux administratifs, y compris en appel ». Mais ils ont surtout « pris acte » des conclusions tirées depuis par le parquet national financier : un transfert de la charge fiscale de Google France vers l’Irlande, pays à fiscalité moins lourde, « de nature à caractériser une fraude à l’impôt ».
Un tableau montre ainsi qu'à elle-seule, Google France a éludé près de 190 millions d’euros d’impôts sur les sociétés entre 2011 et 2016. Du moins selon l'enquête fiscale :
8,1 milliards d'amende d'intérêt public ramenés à 500 millions d'euros
Selon le Code de procédure pénale, le montant de l’amende d’intérêt public, réclamé dans le cadre de cette procédure transactionnelle, est fixé « de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel », sur les trois derniers exercices.
Avec un tel critère, la calculatrice s’envole. En cumulant les trois derniers CA de Google France mais aussi surtout ceux de Google Ireland LTD, le texte laissait planer une amende monstre de… 8,1 milliards d’euros ! Une amende toute théorique, et même limite mais qui révélait à elle-seule l'immensité des intérêts en présence.
Par un jeu de plafonds, sans oublier l'importante phase de négociations, le montant finalement mis à la charge des deux sociétés a fondu à 500 millions d'euros, dont 453 271 291 euros pour la seule société irlandaise.
Les calculs exacts, intimement liés au volet du rattrapage fiscal, n'ont pu nous être dévoilés par le PNF en raison du secret couvrant ces procédures.