La décision de Google de supprimer les extraits des articles de presse n’a pas laissé insensibles ceux qui espéraient toucher la manne des droits voisins. Un épisode qui n’évite pas aux principaux intéressés de s'adonner à une lecture erronée des textes aujourd’hui en vigueur.
« J'appelle tous les éditeurs de presse européens et américains à rester solidaires face à Google ». Voilà ce que clame Pierre Louette, numéro un des Échos dans une interview accordée aux… Échos le 29 septembre.
L’article 15 de la toute récente directive sur le droit d’auteur consacre un droit dit « voisin » pour la reprise d’articles, au-delà des très courts extraits et des liens hypertextes. Selon la grille de lecture de Pierre Louette, le texte instaure « un droit à rémunération des éditeurs de presse pour l'indexation de leurs articles dans le moteur de recherche de Google ».
La décision prise par Google la semaine dernière de couper les extraits sur les parties moteur et actualités provoque sa colère, lui qui espérait toucher le pactole. De là, Louette s’entête : « Google fait preuve d'une rare arrogance en proposant un non-choix aux éditeurs de presse. Il nous dit : soit vous continuez à être visibles dans les résultats de recherche, mais dans ce cas, vous renoncez par avance à la rémunération qui naîtrait de la reconnaissance d'un droit voisin ».
De ces constats, les grands mots sont lâchés : voilà une « atteinte majeure à la démocratie », un possible « abus de position dominante », etc. L’intéressé y va également de son tweet rageur, depuis supprimé, exposant que « l’interprétation que fait Google de la loi nous semble (…) très sujette à caution ».
Pas de droit à rémunération pour l'indexation
De fait, les principales défaillances ne sont pas dans les interprétations du monstre américain, mais dans celles des éditeurs et agences. La directive sur le droit d’auteur, contrairement à ce qu’affirme le patron des Échos, ne consacre pas de droit à rémunération pour l’indexation des articles.
Ce n'est pas ergoter. L'affirmer est une erreur, pour ne pas dire une tromperie sur la marchandise, qui permet toutefois à son auteur de secouer tous les épouvantails avec un certain succès médiatique.
Pour revenir aux fondamentaux, le texte publié au Journal officiel de l’Union européenne, confère des droits aux éditeurs et agences « pour l’utilisation en ligne de leurs publications de presse ». L'expression est visée dès la première ligne de l’article 15.
L’acte de naissance de ces droits, pourrait-on dire, est donc « l’utilisation en ligne » non « l’indexation ». Ainsi, lorsque les sites en ligne utilisent des articles en totalité ou en partie, les éditeurs doivent être en capacité de percevoir une compensation selon des modalités à définir dans chaque État membre.
Le texte étant une directive, il a exigé une loi de transposition dans chacun des pays. En France, la loi du 24 juillet 2019 s’en est chargée en posant un grand principe :
« l'autorisation de l'éditeur de presse ou de l'agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne »
Traduction : quand un site veut utiliser un article de presse, il doit avoir l’autorisation de l’éditeur ou l’agence. Sinon ? Il risque une action en contrefaçon. C’est d’ailleurs à l’occasion de cette demande d’autorisation que peuvent être négociées les juteuses contreparties financières.
Toujours dans la loi française, il y aura « utilisation » quand un site reproduira (copiera) ou communiquera au public (transmettra sur demande) ces articles de presse. L’indexation n’est pas davantage prise en compte.
Les très courts extraits, une exception risquée
Que s’est-il passé avec Google ? L’entreprise a décidé de faire sauter à compter du 24 octobre les extraits associés aux liens vers les articles de presse. Le moteur aurait pu prendre le risque de profiter d’une exception qui l’autorise à utiliser des « très courts extraits ».
Seulement, cette exception ne fonctionne plus lorsque l’extrait se substitue à la publication de presse. Dit autrement, quand le lecteur peut avec ce petit passage connaître le cœur de l’article, elle n’est plus mobilisable :
Google va donc changer la présentation de ses résultats dans le moteur et les pages actus le 24 octobre prochain, date d’entrée en application de la loi française. Seuls apparaitront les titres avec un lien hypertexte, mais pas davantage.
Des extraits supprimés de Google News, mais réactivables sans contrepartie
Les éditeurs et agences ne sont pas démunis pour autant : dans les paramètres mis à disposition, ils pourront eux-mêmes choisir de réactiver les fameux courts extraits, mais cette fois gratuitement. Et toujours espérer que ces diffusions drainent des visiteurs de Google vers leurs sites financés par la publicité ou les abonnements.
Plus qu’une martingale, une entourloupe ou un abus de la directive européenne, Google adopte une solution d’une logique implacable !
- Ou bien, il communique ou reproduit des extraits (qui dispensent le lecteur de lire l’article) et doit payer
- Ou bien, il ne diffuse que le titre et un lien hypertexte, et ne doit rien payer
Si l’éditeur ou l’agence veut agrémenter cette diffusion d’un extrait, libre à lui, mais il ne peut dans le même temps toucher de compensation.
Que va-t-il se passer maintenant ? Bertrand Gié, président du groupement des éditeurs de services en ligne (GESTE), a écrit hier à ses membres, dont les Échos.
Celui qui est également directeur du Pôle News au Figaro les invite à ne pas répondre « précipitamment aux propositions de Google » et leur conseille de laisser « le temps aux organisations professionnelles de réunir les éléments nécessaires à la défense de nos intérêts ». On verra dans quelques jours si ces titres finissent par réautoriser les courts extraits sur Google News. Cette décision montrera à elle seule l’intérêt qu’ils ont à maximiser leur présence sur une telle plateforme.