Starship vient de dépasser le stade d'une idée lancée à coup de slides lors d'une conférence. Elon Musk vient de présenter officiellement le premier prototype (baptisé MK1) de l'étage supérieur qui devrait décoller dans un ou deux mois. Le but est toujours le même : envoyer des humains sur la Lune, Mars, etc.
Après la conférence d'Elon Musk au pied du prototype MK1 de son vaisseau Starship en début de semaine à Boca Chica, SpaceX a mis en ligne une page détaillée sur sa prochaine fusée. Selon le constructeur, il s'agit du lanceur « le plus puissant au monde jamais développé, avec une capacité de transport de plus de 100 tonnes en orbite terrestre ». Le calendrier est pour le moins ambitieux puisqu'un vol habité est prévu pour 2020... c'est du moins l'espoir caressé par Elon Musk.
Pour rappel, Starship est composé de deux étages réutilisables : Super Heavy en bas (premier étage pour s'arracher à l'attraction terrestre), et Starship en haut. Oui, le même nom est utilisé pour la navette spatiale et la fusée complète, un peu comme font les Russes avec Soyouz qui désigne à la fois le véhicule spatial et la fusée. Le terme Starship est utilisé depuis fin 2018 à la place de BFR (Big Falcon Rocket).
11 years ago today, we launched our first successful mission. To date, we’ve completed 78 launches and have developed the world’s only operational reusable orbital class rockets and spacecraft—capable of launching to space, returning to Earth, and flying again pic.twitter.com/5L0q9PJ90P
— SpaceX (@SpaceX) September 29, 2019
Après plusieurs ajustements, la construction du prototype MK1 (50 m de hauteur tout de même) est enfin terminée et les tests vont pouvoir débuter. Nous en profitons pour faire un point d'étape sur le projet d'Elon Musk de coloniser d'autres planètes et son évolution au cours des années.
Après deux versions de BFR, voici Starship édition 2019
Ce projet n'est pas nouveau, loin de là. En septembre 2016, Elon Musk était au 67e International Astronautical Congress pour dévoiler les grandes lignes de son plan visant à « faire des êtres humains une espèce multiplanétaire ». Il annonçait la couleur sans détour : son objectif est de coloniser Mars.
À l'époque, il était question d'une fusée de 122 m de haut et de 12 m de largeur, avec pas moins de 42 moteurs Raptor de nouvelle génération rien que pour le premier étage. Le second étage en intégrait alors 9. L'année suivante, rebelote durant le 68e congrès international d'astronautique avec une mise à jour de son plan. La fusée ne mesure « plus » que 106 m de hauteur et 9 m de diamètre, avec « seulement » 31 Raptor pour le premier étage, et 6 pour le second.
Aujourd'hui, c'est encore une nouvelle version qui est présentée : 118 m de hauteur, mais toujours avec 9 m de largeur. Le nombre de moteurs grimpe à 37 pour le premier étage, tandis que le second reste à 6 Raptor. Starship édition 2019 dépasse donc de peu Saturn V qui ne mesure « que » 110,6 m de hauteur, mais qui a un diamètre légèrement plus important de 10,1 m.
Pour rappel, l’actuel lanceur lourd de SpaceX – Falcon Heavy, composé d'une Falcon 9 avec deux boosters latéraux – mesure 70 mètres de haut pour 12,2 mètres de large. Falcon 9 est pour rappel à 70 m de hauteur et 3,7 m de diamètre, contre environ 50 et 5,5 m pour Ariane 5 sans les boosters latéraux. Ariane 6 aura le même diamètre, mais une hauteur plus importante (70 m). Dans tous les cas, c'est sans commune mesure avec Starship.
Premier étage : 72 000 kN de poussée, trois fois plus que Falcon Heavy
Le premier étage dispose donc de 37 moteurs Raptor d'une poussée de 2 000 kN chacun, un nombre bien supérieur à celui de Falcon Heavy qui totalise 27 moteurs Merlin avec ses « trois » premiers étages. Tous ne seront pas forcément utilisés à chaque lancement, mais Elon Musk pense qu'au moins 31 Raptor seront allumés à chaque décollage.
Dans tous les cas, la société a déjà démontré son savoir-faire et sa capacité à gérer près d'une trentaine de propulseurs en même temps, avec déjà trois lancements réussis pour Falcon Heavy.
Le premier étage est réutilisable et dispose de six pieds pour venir se poser en douceur sur Terre. Il mesure à lui seul 68 m de hauteur et dispose de petites ailettes sur la partie supérieure pour l’aider lors de son retour sur le plancher des vaches.
Le réservoir de propergol affiche une capacité de 3 300 tonnes et SpaceX revendique une poussée impressionnante de 72 000 kN... soit trois fois plus que Falcon Heavy et ses 24 000 kN. Starship double la mise par rapport au record de Saturn V dont la poussée était de 34 000 kN.
Pour le moment, aucun prototype du premier n'a été présenté officiellement. Starship MK1 ne concerne pour rappel que la partie supérieure de la fusée.
Deuxième étage : 1 100 m³ d'espace et 100 tonnes de charge utile
L'étage supérieur, alias Starship, mesure 50 m de hauteur et possède un réservoir de 1 200 tonnes pour le propergol. Il dispose de six moteurs Raptor (les mêmes que sur le premier étage) pour assurer ses déplacements dans l'espace. Actuellement, il faut entre 8 et 10 jours à SpaceX pour construire un moteur Raptor. La cadence devrait s'accélérer prochainement, avec pour objectif d'atteindre un moteur par jour début 2020. Avec 43 Raptor par fusée Starship, il faut en effet suivre la cadence.
À titre de comparaison, le premier étage de Falcon 9 (utilisé pour décoller et se rendre dans l'espace) dispose de 9 moteurs pour une poussée de 7 600 à 8 200 kN (au niveau de la mer et dans le vide). Théoriquement, les six moteurs Raptor du second étage devraient avoir une poussée combinée de 12 000 kN environ, soit plus que Falcon 9.
Sa capacité de chargement est de plus de 100 tonnes pour une orbite basse, contre 22,8 tonnes pour Falcon 9 et 63,8 tonnes pour Falcon Heavy. C'est par contre toujours moins que le « monstre » Saturn V qui pouvait envoyer 140 tonnes sur une orbite basse.
Comme le premier étage, le second est « entièrement réutilisable ». SpaceX le présente comme « un grand vaisseau spatial long-courrier capable de transporter des passagers ou des marchandises vers une orbite terrestre, d'autres planètes et des vols intérieurs sur Terre ».
L'intérieur est aménageable pour pouvoir transporter du fret, un équipage ou un mélange des deux. Le volume aménageable pour la charge utile est de 1 100 m³. Autant dire que Starship ressemble à un palace sur ce point. Un des objectifs est évidemment de retourner sur la Lune pour y installer une base, puis de partir à la conquête de l'espace.
Starship peut aussi faire office de station-service de l'espace
Starship est également conçu pour pouvoir faire le plein en vol. Un second Starship spécialement conçu dans cette optique peut ainsi être lancé dans l'espace, puis venir s'accrocher à une autre navette pour faire office de station-service. « Ce système est conçu pour transporter jusqu'à 100 personnes sur des vols interplanétaires de longue durée », aussi bien vers la Lune que Mars, explique SpaceX.
Selon la société, le coût d'un lancement de satellite avec Starship serait sensiblement inférieur à celui avec Falcon 9. La société met en avant son compartiment de 9 m de diamètre pour la charge utile, qui serait « plus grand que tout autre carénage actuel ou planifié », permettant par exemple d'envoyer des télescopes spatiaux encore plus grands que le James Webb Telescope par exemple.
Starship will use in-space propellant transfer to enable the delivery of over 100t of useful mass to the surface of the Moon or Mars pic.twitter.com/pzCUebidZg
— SpaceX (@SpaceX) September 29, 2019
Retour sur le prototype MK1 de Starship
Après la théorie et l'objectif de SpaceX, revenons à la réalité du terrain avec le prototype MK1, qui ne concerne pour rappel que la partie supérieure de la fusée. Il ne mesure ainsi que 50 m de hauteur, contre 118 m pour l'ensemble du lanceur, et n'exploite que trois moteurs Raptor, contre six pour la version finale.
La structure et les réservoirs du prototype MK1 sont en acier inoxydable, un matériau sur lequel Elon Musk n'a pas tari d'éloges : « C'est de loin la meilleure décision de conception que nous ayons prise », affirme-t-il durant la conférence. C'est d'ailleurs cette matière qui lui donne son aspect si particulier.
L'acier inoxydable est certes plus lourd que les composites habituellement utilisés, mais il possède des propriétés thermiques très intéressantes. Il n'est pas aussi fragile que les autres à de très basses températures et résiste beaucoup mieux à la chaleur, deux points importants lorsqu'il s'agit de se déplacer dans le vide spatial (il fait froid) ou de passer l'atmosphère pour revenir sur Terre (il fait chaud). Starship ne nécessiterait ainsi qu'un petit bouclier thermique sur le dessous.
Mais surtout, le coût est sans commune mesure : environ 130 000 dollars la tonne de fibre de carbone, contre 2 500 dollars pour de l'acier inoxydable, toujours selon le PDG de SpaceX. Ce n'est pas tout : « L'acier est facile à souder et résistant aux intempéries [...] La preuve, nous avons soudé ce prototype à l'extérieur, sans usine. Honnêtement, je suis amoureux de l'acier ».
MK2, MK3 et MK4 dans les tuyaux
Un autre prototype, Starship MK2, est en train d'être construit dans ses locaux en Floride, lui aussi avec trois Raptor. Les équipes travaillent de manière indépendante. Selon Elon Musk, cela devrait permettre d'améliorer le design final avec une compétition entre les deux équipes.
La construction d'un troisième prototype (MK3) devrait débuter d'ici un mois à Boca Chica (où se trouve MK1). Suivra ensuite un prototype MK4 en Floride, qui devrait être le premier vaisseau Starship à entrer en orbite et faire le tour de la Terre. MK3 et MK4 devraient intégrer six Raptor, comme la version finale de Starship.
Un des éléments à améliorer est le poids du vaisseau : de 200 tonnes pour MK1, SpaceX espère arriver à descendre à 110 tonnes seulement à terme, et ainsi augmenter la capacité de chargement à 150 tonnes pour une orbite basse (au lieu de 100 tonnes actuellement). 50 ans plus tard, Starship dépasserait alors enfin la capacité de chargement de Saturn V.
Le premier vol de MK1 à environ 20 km d'altitude est attendu d'ici un ou deux mois, tandis que le premier en orbite devrait se dérouler dans six mois. « Je pense que nous pourrions potentiellement voir des gens voler dès l'année prochaine », lâche, optimiste, Elon Musk. Comme toujours avec le dirigeant, il s'agit d'un calendrier pour le moins ambitieux, même s'il préfère généralement parler « d'espoir » pour les échéances plutôt que de dates butoirs.
Pour l'instant, deux vols ont déjà eu lieu avec Starhopper, une version réduite de Starship avec seulement un moteur Raptor. Un premier à 20 m d'altitude, suivi d'un second à 150 m il y a quelques semaines. Désormais, Starhopper a passé le relais à Starship MK1.
Pour rappel, le nom du premier touriste de l'espace à bord de Starship est déjà connu : il s'agit du japonais Yusaku Maezawa, collectionneur d'art et milliardaire. Il a payé des places pour être accompagné de six à huit autres artistes, pour un montant qui n'a pas été dévoilé, mais qui sert évidemment à développer Starship. Il devrait décoller en 2023.