Suite aux trois appels à candidatures, le projet Make our planet great again a permis de recruter 43 chercheurs auparavant en poste à l'étranger. Les raisons de ce déménagement sont variées, mais les tensions outre-Atlantique sur le climat reviennent souvent sur le tapis.
Le 1er juin 2017, Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l'Accord de Paris dont l'objectif central « est de renforcer la réponse mondiale à la menace du changement climatique en maintenant l'augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels ».
La France s'érige en terre d'accueil des scientifiques du climat
Les réactions furent nombreuses, notamment avec une déception chez de grands groupes technologiques. De son côté, Emmanuel Macron s'était fait remarquer en lançant un appel aux scientifiques du monde entier, sous le slogan « Make our planet great again », paraphrasant le président américain. Une plateforme était lancée dès la semaine suivante.
L'appel à candidatures invitait « des scientifiques de haut niveau, établis à l’étranger, qu’ils soient expérimentés ou jeunes à haut potentiel, notamment américains », à venir travailler en France sur « des solutions concrètes pour le climat ». Les domaines suivants sont ciblés : sciences du climat, observation et compréhension du système Terre ainsi que les sciences et technologies de la transition énergétique.
Avant la première conférence sur le programme Make our planet great again (MOPGA) qui doit se tenir demain à Paris, nous avons regardé dans le rétroviseur afin de tirer un premier bilan d'étape, deux ans après les appels aux scientifiques du monde entier. Jean-Pierre Gattuso, océanographe au CNRS, revient aussi sur les conclusions « accablantes » du dernier rapport spécial du Giec sur les conséquences du réchauffement.
1 822 candidatures formelles et 18 lauréats en 2017
Le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'innovation a annoncé les premiers lauréats six mois plus tard : 18 chercheurs sélectionnés sur 1 822 candidatures formelles « en vue d’un séjour de recherche de courte ou de longue durée en France, d’un doctorat ou d’un post-doctorat ».
Dans le lot, 1 123 étudiants et chercheurs résidaient aux États-Unis, qui représentent donc la plus grosse source de demandes, suivie par le Royaume-Uni (53 dossiers) et l'Inde (51 candidats). Un premier écrémage sur le sérieux et la pertinence des candidatures « a permis de dégager 450 candidatures de qualité pour des séjours de recherche de longue durée ».
18 candidats de six pays sont finalement retenus, avec là encore une forte dominante américaine : 13 scientifiques ont quitté un poste outre-Atlantique pour s'installer en France. Les autres viennent d'Espagne, d'Italie, de Pologne, d'Inde et du Canada. Il y avait seulement 7 femmes pour 11 hommes.
Pêle-mêle; les sujets portent sur l'analyse des composés volatils organiques et de leur effet sur le climat, la quantification des gaz à effet de serre d'origine urbaine, l'impact du changement climatique sur les espèces, les matériaux et interfaces hybrides pour le photovoltaïque, le développement de la biomasse et la gestion circulaire du carbone associé, etc.
14 nouveaux lauréats en 2018, l'Allemagne rejoint le dispositif
En mai 2018, nouveau point d'étape avec 38 nouveaux projets déposés et 14 retenus par un jury international. Les États-Unis occupent une nouvelle fois le gros des recrutements avec 7 candidats. Les autres proviennent du Royaume-Uni, du Canada, de Suisse, du Pérou, d'Arabie Saoudite et du Japon.
Cette fois-ci, les travaux de recherches portent sur le « rôle des aérosols dans le climat », les « impacts du changement climatique à l’échelle du kilomètre en Europe », la « purification de l’air par de nouveaux absorbants hybrides », des « approches immédiates et à long terme pour la réduction du CO2 », etc.
L'Allemagne en profite pour faire son entrée dans ce projet : « 13 lauréats ont été sélectionnés par l'Allemagne [dont 7 provenant des États-Unis, ndlr]. L'animation scientifique de ce programme sera franco-allemande. En France, cette animation sera confiée au CNRS », explique ce dernier. « L'Allemagne et la France s'accordent dans leur volonté de proposer les meilleures opportunités de recherche aux scientifiques de renommée internationale », ajoutait alors Anja Karliczek, ministre allemande de l'Éducation et de la Recherche.
« Le budget dévolu à ce programme baptisé Make our planet great again-German research initiative (Mopga-GRI) s’élève à 15 millions d’euros pour la période 2017-2022 », explique Anke Stahl, du Deutscher Akademischer Austauschdienst (DAAD, office allemand d'échanges universitaires).
12... en fait 11 de plus début 2019
Il faudra ensuite attendre près d'un an pour que le troisième chevron soit enclenché. 85 nouvelles candidatures arrivent jusqu'au comité en charge de les étudier. 12 nouveaux lauréats sont désignés, mais cette fois-ci seulement trois viennent d’Amérique du Nord. L'Europe est en tête avec huit lauréats (dont trois du Royaume-Uni et trois d’Allemagne), et un d’Asie.
Parmi les sujets d'étude, nous retrouvons cette fois-ci « climat et risques financiers », « réponses évolutives rapides au changement climatique », « influence des plateformes web en matière d’information sur le changement climatique », « atteindre les objectifs en températures de l’Accord de Paris » et solutions de transformation vers la durabilité dans les Alpes.
Quand 18 + 14 + 12 donnent 42
Dans son communiqué, le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'innovation indique que cette nouvelle phase porte « le nombre total de lauréats de Make our Planet Great Again à 42 ». Or, le compte n'est pas bon : 18 + 14 + 12 = 44.
Interrogé, le ministère nous explique qu'ils sont en fait... 43 chercheurs à avoir profité de MOPGA. Ils devaient être 44 lauréats, mais une des personnes s'est finalement désistée pour des raisons personnelles, nous indique-t-on.
Au total, il y a 12 femmes seulement pour 31 hommes. 23 sont des chercheurs juniors, tandis qu'ils sont 20 séniors titulaires d'une thèse depuis plus de 12 ans. 12 chercheurs sont de nationalité américaine, 12 sont des Français qui étaient auparavant à l'étranger et « pour la plupart en poste aux États-Unis », précise le Journal du CNRS. 6 Canadiens, 3 Allemands, 3 Espagnols et un de Grèce, d’Italie, du Pérou, d’Angleterre, de Suisse, de Moldavie et du Japon complètent la liste.
Concernant la répartition des projets, « 19 portent sur les Sciences du système terrestre, 17 sur le changement climatique et la durabilité et 7 sur la transition énergétique ». Corinne Le Quéré, présidente du jury en charge de choisir les lauréats parmi les dossiers présélectionnés par le CNRS, explique que « les dossiers que nous avons eus à examiner la première année (2017) étaient plutôt portés vers les sciences naturelles du système terrestre, avec relativement peu de projets portant sur les sciences humaines et sociales et sur les enjeux associés au développement durable et à la transition énergétique, mais la tendance s’est inversée en 2018 ».
« Globalement, les dossiers étaient de très haut niveau. Toute la difficulté a été de répartir le financement entre de très bons projets seniors et des projets juniors [ayant obtenu leur doctorat il y a douze ans au plus, ndlr] très prometteurs. Par ailleurs, certaines propositions intéressantes, mais ayant besoin d’être renforcées, ont été retravaillées selon nos recommandations, soumises de nouveau au jury et finalement validées, ce qui est très satisfaisant », ajoute-t-elle.
Un budget de 60 millions d'euros, dont une partie « en nature »
Le projet Make Our Planet Great Again est doté d'un budget de 60 millions d'euros provenant de deux sources : une moitié par le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et géré par l’Agence nationale de la recherche (ANR), l'autre moitié par les établissements d'accueil.
Dans une interview au Journal du CNRS, Antoine Petit (PDG du CNRS) explique que « chaque euro apporté par ces derniers ne l’est pas nécessairement en “cash”. L’apport peut très bien se faire en “in kind”, c’est-à-dire en valorisant à sa juste mesure l’environnement humain et technologique (possibilité d’utiliser des instruments de pointe, accès à des plateformes…) dans lequel évolue le lauréat ».
Pourquoi changer de laboratoire ?
Concernant l'intégration de chercheurs étrangers en France, et en particulier les former aux arcanes de l'administration française, Antoine Petit se veut rassurant : « À notre connaissance, l’ensemble des établissements a fait le maximum pour aider les lauréats à monter des dossiers administratifs souvent complexes »... ce qui n'empêche visiblement pas certains couacs dans les rouages : « Nous sommes venus en France avec le programme #MOPGA promu par @EmmanuelMacron. Maintenant, ma femme @NoaB_555, après 8 mois en France, a été informée qu'elle ne pouvait pas avoir accès à la Carte Vitale en raison de son statut de "chercheur invité non salarié" », explique sur Twitter le mari d'une chercheuse ayant profité du MOPGA.
Enfin, le Journal du CNRS est l'occasion d'avoir quelques retours des lauréats du MOPGA. Le Britannique Benjamin Sanderson, auparavant dans le Colorado et maintenant dans une équipe du CNRS, explique qu'il est « moins simple d’y travailler [aux États-Unis, ndlr] librement en raison des contraintes budgétaires qui pèsent sur les recherches en rapport avec les émissions de gaz à effet de serre et la décarbonisation de l’économie ».
Pour la Canadienne Lorie Hamelin, « l’ambition de ce programme et l’ampleur des moyens alloués aux lauréats (jusqu’à 1 million d’euros pour les chercheurs juniors et 1,5 million pour les seniors) ont achevé de [la] convaincre »... même si elle note quand même que les salaires en France sont « différents » et les lenteurs de l’administration « un peu usantes » ; des points réguliers lorsqu'il s'agit de parler science en France. Cédric Villani les avait également relevés dans son rapport sur l'intelligence artificielle (lire notre analyse).
L'Américaine Camille Parmesan décrit elle aussi un climat tendu : « Alors que j’entamais des démarches en vue de retrouver un poste aux États-Unis, Donald Trump a été élu. L’atmosphère scientifique s’est dramatiquement dégradée outre-Atlantique. Les conditions de travail dans les agences gouvernementales comme le Fish and Wildlife Service, l’organisme fédéral chargé de la protection des espèces menacées, sont devenues un enfer ».
Le Giec tire encore la sonnette d'alarme dans un rapport spécial
Hasard ou non du calendrier, le Journal du CNRS a mis en ligne un nouvel article ce matin même expliquant qu'il « faut respecter de toute urgence l'Accord de Paris ». C'est la conclusion que l'on peut tirer du dernier rapport spécial du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qui affirme que « les conséquences du réchauffement sur l'océan sont accablantes ». Le Centre national pour la recherche scientifique a ainsi interviewé Jean-Pierre Gattuso, océanographe au CNRS et coauteur du rapport.
Le scientifique commence par rappeler que ce rapport se focalise sur « les effets du réchauffement climatique sur les océans et la cryosphère », deux éléments « cruciaux pour la vie sur Terre » car « l’océan absorbe la majeure partie de l'excès de chaleur lié au réchauffement et stocke de grandes quantités de dioxyde de carbone ; la glace de la cryosphère réfléchit les radiations solaires vers l’espace et diminue ainsi le réchauffement. Ensuite, ils constituent des habitats essentiels pour la faune, la flore et les humains ».
Pour Jean-Pierre Gattuso, « les impacts du changement climatique sur l'océan et la cryosphère sont sans précédent. Quant aux projections pour l’avenir, certaines sont pires que celles annoncées par les précédents rapports du Giec ! Si rien n’est fait, les conséquences seront catastrophiques, en termes d’altération des écosystèmes, de mortalité des espèces et de risques pour l’humanité ».
Il se montre ensuite optimiste si les mentalités venaient à bouger : « Il faut respecter de toute urgence l'Accord de Paris. En effet, le rapport montre que si nous arrivons à réduire fortement nos émissions de GES, il sera possible de limiter les conséquences du changement climatique sur l'océan et la cryosphère et ainsi de préserver au mieux leurs écosystèmes et les populations qui en dépendent. L’avenir est donc entre nos mains ! ».
Éviter que les choses n'empirent, certaines conséquences inévitables
Mais l'avenir n'est pas rose pour autant : « Cependant, s’il est possible d’éviter que les choses n’empirent, nous subirons quand même les conséquences du réchauffement actuel. Notamment la montée inéluctable des eaux… ».
Quant à savoir si les rapports du Giec serviront à quelque chose, il reste optimiste : « le précédent rapport principal du Giec [ils sont publiés tous les 6 à 7 ans environ, ndlr] a servi de fondation à l’Accord de Paris : il a permis d’informer les décideurs sur les dangers du réchauffement climatique et les a ainsi incités à signer cet accord. Donc il a été utile ! Pour revenir au nouveau rapport, nous espérons qu’il permettra d’élever les ambitions des États en matière de lutte contre le réchauffement climatique, lors des prochaines COP25 et 26. Lesquelles se tiendront respectivement au Chili en décembre 2019 et à Glasgow en 2020 ».
Le prochain rendez-vous est dans à peine plus de deux mois à Santiago, nous aurons alors l'occasion de prendre la température.