La semaine prochaine, la Cour de justice de l’Union européenne rendra deux arrêts fondamentaux en matière de « droit à l’oubli ». Deux affaires nées en France, transmises par le Conseil d’État et concernant à chaque fois Google.
Peut-on exiger de Google qu’il efface ses traces personnelles en ligne pour se refaire une virginité numérique ? Épineux débat. Dans l’affaire Costeja du 13 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a en tout cas jugé qu’un moteur de recherche comme Google opérait bien un « traitement de données à caractère personnel » lorsqu’il indexe des données nominatives.
De cette qualité, naissaient plusieurs droits au profit des personnes physiques. La CJUE avait alors reconnu le droit à l’effacement (transformé en droit à « l’oubli », par facilité médiatique) sur Google et les autres.
Depuis, une personne physique peut depuis obtenir « la suppression de contenus lorsqu’ils sont inexacts, incomplets, inadéquats, non pertinents ou excessifs » ou bien, lorsqu’ils engendrent une intrusion disproportionnée face à l’intérêt du public à connaître ces informations. Un droit consacré formellement par l'article 17 du RGPD.
En 2014, l’affaire « Costeja » était presque simple sur le papier. Un Espagnol souhaitait effacer les traces de ses ennuis financiers, mis en lumière par une publication légale toujours présente dans les résultats Google des années plus tard. Ce traitement n’était donc pas illégal à l’origine.
Deux autres problématiques sont apparues depuis en France, objet de deux questions préjudicielles posées par la juridiction administrative.
Une ancienne condamnation pour pédophilie doit-elle disparaître de Google ?
Dans la première, une conseillère régionale d’Île-de-France s’est plainte de la présence sur le moteur d’un lien vers une vidéo satirique, évoquant des relations intimes avec le maire de sa commune.
Dans le deuxième cas, un ex-représentant de l'Église de scientologie a souhaité la suppression d’un lien vers un article de Libération de septembre 2008 repris par le site du Centre contre les manipulations mentales. D'après ces articles, il aurait proposé de l’argent aux enfants d’une défunte adepte de la scientologie pour qu’ils renoncent à toute action judiciaire.
Dans un troisième cas, un ancien conseiller de Gérard Longuet a souhaité la suppression de plusieurs articles évoquant sa mise en examen dans les années 90. Or, il a bénéficié en 2010 d’un non-lieu.
Enfin, un ex-animateur d'école reprochait à Google de référencer sept liens pointant vers des articles de presse et de blog consacré à sa condamnation en 2010 pour des actes de pédophilie.
Ces cas concernent des données sensibles, strictement encadrées par les textes en vigueur. Par exemple, les traitements de données relatives aux infractions ne sont réservés qu’à certaines catégories de personnes, non aux moteurs. « Dans cette affaire, résume les services de la CJUE, la question vise à déterminer si, compte tenu des circonstances de chaque cas particulier (personne célèbre, condamnation pénale, obsolescence d’une information, etc.), le droit à l’information doit l’emporter sur le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données personnelles ».
- Lire notre compte rendu d’audience au Consel d’État (2 février 2017)
- Nos explications des conclusions de l'avocat général
Un effacement sur Google... à l'échelle de la planète ?
Dans la deuxième affaire, toujours transmise par le Conseil d’État, cette fois la CNIL et Google n’ont pas été sur la même longueur d’onde. La CNIL soutient qu’en cas d’effacement, le moteur doit procéder à un déréférencement mondial, peu importe l’extension. Ce que conteste Google. Le moteur avait alors écopé d’une amende de 100 000 euros pour ce refus.
La CNIL estime qu’il en va de l’efficacité du droit à l’oubli, outre qu’à ses yeux, Google n’opère qu’un seul et même traitement de données, peu importe la voie d’accès (.fr, .de, .es, etc.).
« Notre raisonnement consiste à dire qu’en vertu de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, nous expliquait en ce sens Isabelle Falque Pierrotin, ce droit au déréférencement est offert aux personnes physiques européennes, dès lors que le responsable de traitement est soumis au droit européen. Or le traitement de Google est un traitement mondial. Les extensions .fr, .it, .com ne sont pas le traitement, c'est le chemin technique d'accès au traitement. Le traitement, lui, c'est le même pour tout le monde. Google a donc choisi d'avoir un traitement mondial, très bien. Mais dès lors que le déréférencement est octroyé, alors il doit naturellement être effectif sur l'ensemble des extensions liées à ce traitement ! »
Google, au contraire, affirme en substance qu’il existe autant de traitements qu’il y a d’internautes, au regard de la personnalisation de ses outils. Sur l’un de ses blogs, le moteur américain insistait : « aucun pays ne devrait avoir l’autorité de contrôler les contenus auxquels une personne peut accéder depuis un autre pays ». Il plaide pour une solution beaucoup plus centrée, limitée aux seules réponses à des recherches effectuées depuis les noms de domaine européens.
- Lire notre compte rendu d’audience au Conseil d’État (28 juin 2017)
- Nos explications des conclusions de l'avocat général
L’arrêt de la Cour de justice est attendu mardi 24 septembre à 9h30.