Après l'attaque d'Orange sur les pouvoirs de sanction de l'Arcep et les déclarations fracassantes de Stéphane Richard, c'est au tour de Sébastien Soriano de répondre. Il reste ferme sur ses positions, tout en jouant la carte du dialogue. Nous avons demandé le point de vue d'acteurs des territoires sur cette bataille opposant l'Arcep et Orange.
Orange a récemment déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil d’État visant le pouvoir de sanction de l'Arcep. Ce n'est pas la première fois que le régulateur est ainsi attaqué. En 2013, suite à une procédure lancée par Numericable, la Conseil constitutionnel avait déjà épinglé ces pouvoirs. Un an plus tard, le gouvernement colmatait la brèche.
L'université d'été du THD, organisée par IdealCo, InfraNum et l'Avicca, était évidemment l'occasion pour Sébastien Soriano de revenir sur ce sujet brûlant, d'autant plus après la sortie de Stéphane Richard dans les Echos esquissant un « harcèlement juridique et médiatique » à l'égard d'Orange
Interviewé par Étienne Dugas devant un parterre d'élus locaux et d'entrepreneurs, le président de l'Arcep a défendu ses actions, expliquant suivre les directives dictées par les députés et sénateurs lors de ses auditions. Il s'étonne également du manque de communication d'Orange.
Soriano ne s'est pas réveillé avec l'« envie de jouer avec son bâton de gendarme »
« Il y a cette polémique autour du bâton du gendarme. On ne se fait pas plaisir à l'Arcep sur ce truc, mais quand je me fais auditionner par l'Assemblée Nationale et le Sénat [...] ce qu'on dit c'est : il faut plus contrôler et lancer plus de procédures, les opérateurs se moquent de nous ». Il évoque là les deux auditions à l'Assemblée nationale et au Sénat avant sa confirmation à la tête du régulateur. « On m'a dit très clairement qu'il fallait faire ces contrôles », ajoute-t-il pour enfoncer le clou.
Il ne compte pas réduire la voilure : « Aujourd'hui, ce n'est pas l'Arcep, hors de tout cadre, qui se réveille et qui a envie de jouer avec son bâton de gendarme. Ce sont les élus qui nous le demandent et on continuera évidemment à le faire, quoi qu'il arrive. Et s’il y a effectivement des engagements qui ne sont pas respectés, nous mettrons en oeuvre des procédures de sanction ».
Il ne s'arrête pas en si bon chemin : « C'est désagréable quand je rappelle que les amendes peuvent aller jusqu'à 3 % du chiffre d'affaires, 5 % dans le cadre du service universel [...], ça fait quelques centaines de millions d'euros [...] On me dit : comment l'Arcep peut brandir des menaces à quelques centaines de millions d'euros, ce n'est pas bon pour notre cours de Bourse. Moi, les élus de la nation ne m'ont pas demandé d'être gentil avec le cours de bourse d'Orange ».
Pas de concours de testostérone, mais du réseau
Il souffle ensuite le chaud et le froid : « Maintenant, je ne voudrais pas vous donner une tonalité guerrière. Ne comptez pas sur moi pour rentrer dans la chamaille, dans l'invective, dans les jugements, dans les mots avec des reliefs désagréables. Je ne renverrai pas la balle », lâche-t-il.
« Ce que les Français attendent ce n'est pas un concours de testostérone, c'est du réseau. Je tiens à dire que le dialogue est toujours ouvert. Je regrette toujours quand les opérateurs télécoms ne trouvent pas mon numéro de téléphone, c'est toujours les cordonniers les plus mal chaussés. En tout cas, ma ligne est ouverte ».
Alors que nous avions plusieurs questions à poser au président de l'Arcep, on ne peut que regretter qu'il soit parti juste avant le point presse qui se tenait après sa conférence.
Quand Orange sort « l'arme nucléaire »
Patrick Chaize, sénateur de l'Ain et vice-président de la commission de l'aménagement du territoire, était par contre présent. Pour lui, l'action d'Orange peut être comparée à une petite déclaration de guerre : « Ce dépôt de QPC aura de toute façon un effet, même si Orange la retire aujourd'hui. Ça donne à Orange le poids de dire : j'ai l'arme nucléaire ».
Même si l'opérateur ne va pas au bout et n'appuie pas « sur le bouton » cette fois-ci, il peut très bien la ressortir si une décision de l'Arcep ne lui plait pas. « Quand on commence à menacer avec des armes, c'est qu’on a des raisons de vouloir se défendre. Si on est dans un équilibre d'attaque/défense, ce n’est pas un équilibre de confiance », ajoute le sénateur.
Patrick Chaize rappelle qu'il avait déjà alerté de la « fragilité juridique » de l'article L.33-13 du CPCE au point de déposer une proposition de loi pour « écrire un article L33-14 qui s'appliquerait spécifiquement au fixe ».
Quatre sanctions, pour deux QPC, « c'est quand même incroyable »
« Dans l'histoire de l'Arcep, si je ne me trompe pas, il y a quatre sanctions, dont trois qui ont abouti, alors qu'il y a quand même eu deux questions prioritaires de constitutionnalité, c'est quand même incroyable ! [...] Ce n'est pas un régulateur aussi méchant qu'il y parait ».
Interrogé par nos soins, Patrick Chaize revient sur la déclaration de Stéphane Richard qui affirme qu'« on peut presque parler de harcèlement juridique et médiatique » : « La définition du harcèlement est toujours compliquée [...] c'est très subjectif. Avec un regard extérieur, je ne connais pas la vie cachée/intime de l'Arcep, dans la vie exposée je n'ai pas le sentiment que ce soit un harcèlement ».
Patrick Chaize pense qu'il aurait donné encore plus de sanction
Le président de l'Avicca ne s'arrête pas en si bon chemin : « Si j'avais un pouvoir de contrôle et de donner des sanctions à Orange, je pense que j'en aurais donné plus que ça ».
Même son de cloche chez Ariel Turpin, délégué général chez Avicca : « Une autre manière de répondre à cette question c'est qu'Orange cherche à être sur tous les sujets (RIP, AMEL, etc.). Comme il est sur l'ensemble des sujets, statistiquement, il est celui sur lequel pèse le plus de risques [...] Il reste un opérateur puissant sur le marché grand public et très puissant sur le professionnel ».
Il rejoint également Patrick Chaize sur les sanctions, qui lui semblent finalement peu nombreuses : « J'ai des sujets opérationnels de base sur la problématique d'Orange qui durent depuis quatre ans, qu'est-ce que j'aimerais que l'Arcep le sanctionne ».
De manière générale, les différents intervenants avec qui nous avons pu échanger sont sur la même longueur d'onde : « non, l'Arcep n'harcèle pas Orange ». La suite au prochain épisode. La QPC est entre les mains du Conseil d'Etat qui, s'il juge la question sérieuse et nouvelle, la transmettra au Conseil constitutionnel. Le cas échéant, celui-ci statuera dans les trois mois.
À noter :
Dans le cadre de la réalisation de cet article, nous sommes allés à l'université d'été du THD à Lille. InfraNum a pris en charge une partie de notre transport, hébergement et restauration sur place. Conformément à nos engagements déontologiques, cela s'est fait sans aucune obligation éditoriale de notre part, sans ingérence de la part d'InfraNum.