Introduction de « compteurs d’usage », indice de réparabilité pour les smartphones, ordinateurs portables, télévisions... Face aux sénateurs, qui examineront bientôt son projet de loi sur l’économie circulaire, la secrétaire d’État Brune Poirson a défendu les projets du gouvernement en matière de lutte contre l’obsolescence programmée.
Présenté en juillet dernier en Conseil des ministres, le projet de loi « anti-gaspillage » sera débattu à partir de la semaine prochaine, au Sénat, en première lecture. Avec ce texte, le gouvernement entend faire évoluer les modes de production, et passer ainsi « d’une économie linéaire à une économie circulaire », en écho notamment aux remontées du « grand débat national ».
Afin de déminer le terrain, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a auditionné la secrétaire d’État à la Transition écologique, Brune Poirson, mardi dernier. L’intéressée a notamment été interpellée sur le dossier de l’obsolescence programmée, auquel l’exécutif dit vouloir s’attaquer, parce qu’il « pénalise à la fois l'environnement et le pouvoir d'achat des ménages ».
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le détailler, différentes réformes sont ainsi prévues en matière d’information du consommateur, avec notamment l’introduction d’un « indice de réparabilité » des produits électriques et électroniques. Les pièces détachées devront à l’avenir être disponibles sous vingt jours, contre deux mois aujourd’hui.
« Mais nous n'allons pas plus loin », a cependant regretté le sénateur Olivier Jacquin, pour qui il y aurait d’autres mesures à prendre, par exemple « en termes d'éco-conception ». L’élu socialiste a également plaidé pour un allongement de la garantie légale de conformité des produits.
L’obsolescence programmée « au cœur » des préoccupations du gouvernement
« On a déjà commencé à travailler, concrètement [sur le dossier de l’obsolescence programmée, ndlr] », a rétorqué Brune Poirson. La secrétaire d’État mise tout particulièrement sur l’article 2 de son projet de loi, qui prévoit l’instauration, à compter du 1er janvier 2021, d’un « indice de réparabilité » des équipements électriques et électroniques (sur le modèle de l'étiquette énergie).
« L'objectif, c'est d'avoir une note – a priori ça prendra cette forme-là – une note qui va de un à dix », a expliqué Brune Poirson. Alors que le gouvernement renvoie à un décret le soin de fixer les modalités de mise en œuvre de cette réforme, la secrétaire d’État a confié que le ministère de la Transition écologique et l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) travaillait d’ores et déjà sur un indice qui s’appliquerait à cinq catégories de produits :
- Les ordinateurs portables
- Les smartphones
- Les lave-linges
- Les téléviseurs,
- Les tondeuses à gazon
Chacun de ces produits pourrait ainsi se voir attribuer une note, obtenue à partir de cinq critères « pondérés de façon égale (20 % chacun) ». D’après Brune Poirson, ces critères seront :
- « La disponibilité de la documentation technique, notamment en ce qui concerne l'utilisation, la maintenance d'une part, et les opérations de réparation d'autre part.
- L'accessibilité et la démontabilité des pièces
- La disponibilité des pièces détachées
- Le rapport entre la pièce détachée essentielle la plus chère et le prix produit neuf (parce qu'on peut rendre une pièce détachée disponible, mais si elle est trois euros moins chère que le produit neuf... voilà !)
- Un critère spécifique à la catégorie de produits »
Pour l’heure, il est uniquement prévu que l’indice global soit présenté aux clients. Le gouvernement laisse néanmoins entendre – sans l’avoir formellement inscrit dans son projet de loi – que les consommateurs pourront demander à consulter la grille décomposant la note, critère par critère.
En pratique, il s’agira d’un mécanisme dit « en cascade », où les fournisseurs (fabricants ou importateurs) devront transmettre leur indice de réparabilité « ainsi que les paramètres ayant permis de l’établir » aux vendeurs, bien entendu « sans frais ». À charge ensuite aux magasins d’afficher cette note « de manière visible, y compris dans le cas de la vente à distance en ligne », expliquait le ministère dans son étude d’impact.
En cas de manquement, fabricants comme revendeurs s’exposeront à des amendes administratives pouvant atteindre 15 000 euros.

Avec cette réforme, le gouvernement entend passer à 60 % de pannes donnant lieu à une réparation d’ici à 5 ans, « contre environ 40 % aujourd’hui ». L’exécutif espère surtout que cela permettra de modifier le choix des consommateurs, et pousser par ricochet les entreprises « à intégrer dès la conception de leurs produits des critères de réparabilité, tendant ainsi vers des produits plus durables ».
« C'est une brique très importante du projet de loi », a insisté Brune Poirson, mardi, face aux sénateurs. Selon elle, la lutte contre l’obsolescence programmée est « au cœur » du texte que s’apprête à examiner la Haute assemblée.
Ce pas en avant pourrait cependant être jugé insuffisant par certains parlementaires.
Réparabilité vs durabilité
« Réparable, c’est bien, mais durable, c’est mieux » regrette Émile Meunier, avocat de l’association Halte à l’obsolescence programmée. « En l’état, l’indice permettra simplement au consommateur de déterminer dans quelle mesure il pourra procéder lui-même à la réparation de l’appareil » avait également jugé Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir, à l’annonce de cette réforme.
Pour Émile Meunier, « il faudrait mettre en place un indice de durabilité » qui tiendrait compte « des taux de retour, du temps moyen entre deux pannes... Les fabricants ont ces informations…pourquoi pas le consommateur ? » s’interroge l’avocat.
Ironie de l’histoire : Brune Poirson s’est quelque peu emmêlé les pinceaux en évoquant, à tort, mardi, un « indice de durabilité » des produits...
En août 2018, la même secrétaire d’État avait d’ailleurs clairement écarté cette piste, au motif qu’il serait particulièrement compliqué d’arriver à déterminer la « durabilité » des produits.
La loi pour la « croissance verte » de 2015 prévoyait en effet des expérimentations en faveur de l’affichage de la « durée de vie » des produits. « Ces expérimentations, testées par le Commissariat général au développement durable (CGDD) au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire, en collaboration avec le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) en 2016, se sont heurtées à des difficultés techniques pour évaluer objectivement la durée de vie d'un produit ainsi qu'à un manque d'entreprises volontaires », expliquait alors Brune Poirson.
Tout en soulignant que « l'allongement de la durée de vie des produits va à l'encontre de certains modèles d'affaires », l’intéressée poursuivait en affirmant que « la notion de durée de vie est délicate à manier en termes de communication, parce qu'elle peut être comprise par les consommateurs comme une promesse sur l'avenir, voire une garantie, alors que la durée de vie effective d'un objet dépend de nombreux facteurs, dont le comportement de l'utilisateur ».
Le gouvernement travaille sur les « compteurs d'usage »
Parmi les autres propositions de réforme poussées par l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP), figure notamment l’extension des durées légales de garantie. Le ministère de la Transition écologique a cependant fait savoir la semaine dernière au sénateur Yves Détraigne que cela « renvo[yait] clairement au droit communautaire applicable en la matière », et que cette piste n’était donc pas envisagée.
Brune Poirson a en revanche fait un pas en faveur de l’installation de « compteurs d’usage » sur les appareils de type télévisions, ordinateurs, lave-linges... À l’image des compteurs kilométriques, obligatoires pour les voitures, l’idée serait d’obliger les fabricants à informer les utilisateurs d’un produit sur le nombre d’heures d’utilisation, de cycles de charge effectués, etc.
« C'est compliqué, parce que l'usage du produit dépend aussi du comportement du consommateur. Néanmoins, on est déjà en train de travailler à un compteur d'usage, en parallèle à nos travaux sur la réparabilité » a déclaré la secrétaire d’État à la Transition écologique. « On y travaille vraiment », a-t-elle insisté.
Autre mesure évoquée : un meilleur encadrement de la publicité, pour éviter la surconsommation. L’association HOP préconise ainsi d’interdire tout spot « visant à inciter le consommateur à renouveler explicitement un produit en état de fonctionnement ou contribuant manifestement à l’obsolescence esthétique des produits ».
Brune Poirson a confirmé que le gouvernement avait récemment lancé une mission sur ce sujet, comme l’avait annoncé la ministre en charge des Transports, lors des débats visant à interdire les publicités pour les véhicules polluants (voir notre article).
Les discussions en commission débuteront le 17 septembre en commission, puis se poursuivront en séance publique à compter du 24 septembre. Le projet de loi « anti-gaspillage » sera ensuite transmis à l’Assemblée nationale.