Loi Mobilités : une « responsabilité sociale » renforcée pour les plateformes de VTC et de livraison

Loi Mobilités : une « responsabilité sociale » renforcée pour les plateformes de VTC et de livraison

De Paris à chartes

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

11/09/2019 7 minutes
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Loi Mobilités : une « responsabilité sociale » renforcée pour les plateformes de VTC et de livraison

Le projet de loi Mobilités, dont l’examen devant le Parlement touche à sa fin, entend renforcer la « responsabilité sociale » des plateformes de VTC et autres services de livraison de type Deliveroo. La copie que s’apprête à rendre le législateur n’est cependant pas du goût du Conseil national du numérique.

Si les grandes plateformes (Uber, etc.) ont d’ores et déjà différentes obligations vis-à-vis des travailleurs avec lesquelles elles sont en relation, notamment depuis la loi El-Khomri de 2016, la majorité souhaite introduire une batterie de nouvelles dispositions, destinées à « assurer un revenu décent aux chauffeurs VTC et aux livreurs », dixit la députée Bérangère Couillard, rapporteure du projet de loi Mobilités.

En juin dernier, lors des débats en première lecture, l’élue LREM a ainsi fait adopter un amendement prévoyant notamment que tous les individus travaillant par l’entremise de plateformes de VTC ou de livraison de marchandises (« au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non ») soient avertis, avant toute prestation, de « la distance couverte » et du « prix minimal garanti dont ils bénéficieront, déduction faite des frais de commission ».

Droit au refus d'une course, « droit à la déconnexion », etc.

La majorité espère ainsi que cette transparence conduira in fine à un rééquilibrage favorable aux nombreux indépendants, bien souvent auto-entrepreneurs, travaillant par l’entremise de célèbres applications. « Si les prix sont trop faibles, l’augmentation des refus de course qui pénalisera les plateformes conduira mécaniquement, on peut l’imaginer, à une hausse des prix », a ainsi fait valoir Bérangère Couillard, la semaine dernière, en commission, dans le cadre de la nouvelle lecture.

Il sera par ailleurs précisé que les chauffeurs et livreurs « peuvent refuser une proposition de prestation de transport sans faire l’objet d’une quelconque pénalité ». Même si ceux-ci ont décliné « une ou plusieurs propositions », indique le futur article L1326-2 du Code des transports, la plateforme ne pourra pas mettre fin à leur relation contractuelle.

Le projet de loi introduit en outre une sorte de « droit à la déconnexion » des chauffeurs et livreurs, y compris « durant leurs plages horaires d’activité ».

Chaque travailleur sera d’ailleurs expressément libre de choisir ses périodes d’activité comme d’inactivité. « Les plateformes ne peuvent mettre fin au contrat lorsqu’un travailleur exerce ce droit », insiste à cet égard le texte.

Autre mesure : les plateformes de VTC et de livraison devront publier sur leur site Internet, « de manière loyale, claire et transparente », différents « indicateurs » relatifs à la « durée d’activité » et au « revenu d’activité » de leurs utilisateurs, tels que perçus au cours de l’année civile précédente. Les modalités exactes de mise en œuvre de cette nouvelle obligation seront toutefois précisées ultérieurement, par décret.

Des chartes qui empêcheront de caractériser le lien de subordination

Dans une optique purement incitative cette fois, le projet de loi Mobilités invite chaque plateforme de VTC et de livraison à établir une « charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ».

Ces documents, qui seront donc pris sur la seule base du volontariat, pourront (entre autres) préciser :

  • Les « conditions d’exercice » des travailleurs, telles que les « règles » gouvernant la mise en relation avec les utilisateurs.
  • Les mesures prises afin d’améliorer les conditions de travail des indépendants.
  • Les modalités selon lesquelles les travailleurs sont informés de tout changement relatif aux conditions d’exercice de leur activité professionnelle.
  • Les éventuelles « garanties de protection sociale complémentaire négociées par la plateforme », et dont les travailleurs peuvent bénéficier.

Avec ces chartes, la majorité espère « encourager les plateformes qui le souhaitent à prendre des engagements pour améliorer les conditions de travail des conducteurs VTC ou des livreurs », sans que celles-ci n’aient à craindre de requalification du contrat en salariat, dans le prolongement notamment d'un récent arrêt de la Cour de cassation (voir notre article).

Et pour cause : ces chartes pourront être homologuées par l’administration. Dès lors, les engagements pris par les plateformes ne pourront « caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs », précise le projet de loi.

Tout litige relatif à la conformité d’une charte, notamment aux nouvelles règles poussées par la majorité (interdiction des pénalités en cas de refus de prestation, etc.), relèvera de la compétence du tribunal de grande instance.

Le Conseil national du numérique appelle (vainement) au rejet de cette réforme

« Ce choix interroge », a réagi le Conseil national du numérique, la semaine dernière, au travers d’une lettre ouverte : « Est-il vraiment pertinent de laisser à des entreprises dont le développement est basé sur la disruption de décider presque seules des règles qui s'appliqueront ? »

L’institution craint que cette réforme créée non seulement « d’importantes disparités » entre travailleurs, mais surtout qu’elle ne pousse pas forcément les plateformes « à agir dans le sens de l’intérêt commun ».

« La négociation entre travailleurs et plateformes est la meilleure réponse au risque de désagrégation de notre organisation collective », plaide ainsi Salwa Toko, présidente du CNNum. Avant de poursuivre : « La rémunération, les conditions de travail ou la protection sociale ne doivent pas être un élément de communication du service de la responsabilité sociale des plateformes, mais doivent être le fruit d’une négociation collective. »

Estimant que la « menace de la requalification » conduit bien souvent les plateformes à revoir leurs pratiques, le Conseil en a solennellement appelé les parlementaires à supprimer les dispositions relatives aux chartes, « et en particulier la présomption de non-subordination des travailleurs aux plateformes lorsque ces chartes sont homologuées ».

assemblée députés
Crédits : Assemblée nationale

Il serait cependant très surprenant que la majorité revoit sa copie, d’autant que les seuls amendements de suppression ont été déposés par les députés des groupes communiste et LFI. En outre, si le Sénat s’était opposé à ces chartes en première lecture, la Haute assemblée ne disposera désormais que d’une marge de manœuvre extrêmement limitée. L’Assemblée aura en effet le dernier mot.

La rapporteure, Bérangère Couillard, s'est néanmoins voulue des plus rassurantes, hier, lors de la discussion générale : « [Cette réforme] n’empêchera pas le juge de pleinement exercer son office et de requalifier un contrat si, indépendamment de ces chartes, il détecte dans les pratiques des plateformes un faisceau d’indices l’amenant à conclure à l’existence d’un lien de subordination. »

Dans sa lettre ouverte, le Conseil national du numérique a malgré tout souligné que « les dispositions consacrant des droits aux travailleurs (droit au refus d’une course, droit à connaître le prix et la distance à l’avance) [allaient] dans le bon sens ».

Écrit par Xavier Berne

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Droit au refus d'une course, « droit à la déconnexion », etc.

Des chartes qui empêcheront de caractériser le lien de subordination

Le Conseil national du numérique appelle (vainement) au rejet de cette réforme

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

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Commentaires (18)


c’est clairement pour bloquer les actions des salariés auto entrepreneur pour des requalifications ou autre saisi judiciaire. C’est bien vu coté gouvernement, les plateformes lachent un peu coté  logistique et gagnent beaucoup coté financier et securité juridique.



Berangère est très gentil de laisser le juge decider, il n’y en a plus … ou ce sera decider dans 10 ans après la saisi. <img data-src=" />

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“Des chartes qui empêcheront de caractériser le lien de subordination […]la présomption de non-subordination”



Mais c’est vraiment une honte, sous le prétexte fallacieux de protéger ces bagnards modernes, ils offrent un guide clef en mains aux plateformes pour modifier leurs contrats et tenter (j’ai bien dit tenter, car on est loin du compte) de contrecarrer la Jurisprudence de la Cour de cassation, celle-ci permettant enfin de requalifier en contrat de travail, d’obliger ces plateformes à assumer le risque social qu’elles font courir à leurs salariés de fait, et qu’elles contribuent aux caisses de solidarité sociale et donc à l’intérêt commun.



Optimisez vos impôts et ne payez pas de cotisations sociales, vous en serrez récompensés !








sscrit a écrit :



c’est clairement pour bloquer les actions des salariés auto entrepreneur pour des requalifications ou autre saisi judiciaire. C’est bien vu coté gouvernement, les plateformes lachent un peu coté&nbsp; logistique et gagnent beaucoup coté financier et securité juridique.



Berangère est très gentil de laisser le juge decider, il n’y en a plus … ou ce sera decider dans 10 ans après la saisi. <img data-src=" />

&nbsp;





Encore une fois j’ai du mal à voir la moindre cohérence dans tout ça.



On a pole-emploi, l’urssaf, les services sociaux qui ne pensent qu’a une chose, c’est à salarier les gens - pas pour des raisons idéologique, juste pour le pognon (le salariat c’est ce qui rapporte le plus à toute ces “agences”, c’est pas de l’altruisme).



Et d’un autre coté, le gouvernement montre ici que justement la précarité est la nouvelle référence, et que la france est un territoire d’accueil pour ces “platesformes” - qui certes embauche des ingénieurs mais pas des coursiers, et qui sont basés aux bahamas..



C’est pourtant la même administration, in fine…



&nbsp;



On est plus ultralibéraux qu’eux ! le gouverneur ; “soyons clairs : il n’y a rien d’innovant à sous-payer quelqu’un pour son travail”<img data-src=" />

http://www.businessinsider.fr/us/uber-lyft-fighting-ab5-california-senate-set-to…


Start up nation !








linkin623 a écrit :



Tartuffe nation !






(je la reprends à Marc )


Ça fait du bien d’avoir un gouvernement et une assemblée nationale favorables aux entrepreneurs. C’est un bel exemple de vertu que de renoncer volontairement à des cotisations sociales dont la société Française n’a nul besoin.



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Par contre, si les USA (puisque le texte pourrait être repris par d’autres Etats) enterrent enfin ce modèle, on peut espérer que d’ici quelques années on y mettra également un terme, déjà que d’entendre disruption, blockchain, scalable etc… et le dernier en date “upcycle” me donne l’impression d’avoir en face de moi une réincarnation du “jeune cadre dynamique avec son bibop” des années 90 !



D’ailleurs, mon canard régional fait des concours de startups, rien que ça ça démontre à quel point ce monde est vieux ! <img data-src=" />








Quiproquo a écrit :



Ça fait du bien d’avoir un gouvernement et une assemblée nationale favorables aux entrepreneurs. C’est un bel exemple de vertu que de renoncer volontairement à des cotisations sociales dont la société Française n’a nul besoin.



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C’est exactement ça !



Mieux ! “Ayez bonne conscience&nbsp; !&nbsp; La collectivité assurera la survie de vos salariés de fait lorsqu’ils se feront coupés en deux sur la route pour livrer une pizza sous vos couleurs ! Si on est pas grands seigneurs !”









Jarodd a écrit :



https://startuffenation.fail, c’est de lui ?





Aucune idée, il avait repris la formule dans un sous-titre.



J’en ai marre de voir des entreprises qui échappent aux paiements de leurs cotisations. Ou on les supprime pour tout le monde ou tout le monde les paie, il n’y a pas de demi mesure sinon cette concurrence déloyale va tuer l’entrepreneuriat en France.

Demain je fais quoi? Je supprime les CDI de mes 5 employés et je leur demande de devenir auto entrepreneur et de me facturer des prestations pour échapper aux cotisations salariales?

Il faut choisir le modèle de société dans lequel on veut vivre, c’est à ça que sert la politique et j’ai bien l’impression que certains ont perdu l’idée d’œuvrer pour le bien commun.


Maisnon. <img data-src=" />


Tout litige relatif à la conformité d’une charte, notamment aux nouvelles règles poussées par la majorité (interdiction des pénalités en cas de refus de prestation, etc.), relèvera de la compétence du tribunal de grande instance



Ce n’est pas mon métier mais le tribunal de grande instance c’est du pénal pas du droit civil ?


pénale = correctionnel








OB a écrit :



Encore une fois j’ai du mal à voir la moindre cohérence dans tout ça.



On a pole-emploi, l’urssaf, les services sociaux qui ne pensent qu’a une chose, c’est à salarier les gens - pas pour des raisons idéologique, juste pour le pognon (le salariat c’est ce qui rapporte le plus à toute ces “agences”, c’est pas de l’altruisme).



Et d’un autre coté, le gouvernement montre ici que justement la précarité est la nouvelle référence, et que la france est un territoire d’accueil pour ces “platesformes” - qui certes embauche des ingénieurs mais pas des coursiers, et qui sont basés aux bahamas..



C’est pourtant la même administration, in fine…







Pôle emploi existe parce qu’il y a des chômeurs. Si tout le monde est employé, ils ne servent plus à rien.

On ne peut pas compter sur une agence pour résoudre un problème qui justifie son existence.



Je ne sais pas quel est leur but, mais c’est pas le plein emploi.



Ah et : un auto-entrepreneur n’est pas considéré comme chômeur, même s’il gagne 0. Je sais de quoi je parle : j’ai touché ~800€ en 10 mois (dont 8 mois à mon compte et 2 mois après avoir quitté mon ancien taf), j’ai eu droit à… 0 € ! Même après avoir “cotisé” en France durant 5 ans ininterrompu juste avant.



(Oui désolé, je suis très critique concernant P-E : ils peuvent vous mettre à la rue d’un simple bouton, d’une simple erreur, et ce sont des murs qui ont toujours raison. Il est clair que je préfère (perso hein) m’en tenir le plus loin possible, quite à finir à la rue. Ils sont tout à fait capable d’empirer les choses encore plus. Les charges destinées à P-E, c’est du vol, c’est tout.)









De Compet a écrit :



Tout litige relatif à la conformité d’une charte, notamment aux nouvelles règles poussées par la majorité (interdiction des pénalités en cas de refus de prestation, etc.), relèvera de la compétence du tribunal de grande instance




Ce n'est pas mon métier mais le tribunal de grande instance c'est du pénal pas du droit civil ?








Non tu te fais des nœuds     





Le Tribunal de grande instance comprend le Tribunal correctionnel, donc civil (affaire familiale, construction, litige pour interpréter un contrat avec au moins un non commerçant etc…) et pénal (les délits).



En revanche, le Conseil de prud’hommes traite de tous les litiges liés à un contrat de travail.



Donc le gouvernement souhaite affirmer que sa charte, comme elle s’appliquera selon lui dans une relation de plateforme à indépendant, relèvera du Tribunal de grande instance en cas de problème, non du CPH.

Néanmoins, je peux te garantir que le Conseil de prud’hommes va rapidement en connaître aussi <img data-src=" />



Eh ben je ne suis pas le seul à s’être fait rouler. Ça m’avait laissé un goût amer à l’époque. Moi j’ai eu droit à 0€ par contre en 8 mois. J’avais trop bien négocié mon départ et on m’a lancé que j’avais 6 mois de salaire négociés dans ma rupture. Donc droit à rien… Je comptais utiliser ces sous pour investir dans mon activité en limitant à fond les emprunts… Ça a joué très fort sur ma décision de me barrer du pays…