La cour d’appel de Bordeaux vient de confirmer le licenciement pour faute grave d’un comptable qui consultait régulièrement des sites pornographiques depuis son ordinateur professionnel, au vu et au su de ses collègues de travail.
Si la jurisprudence admet de longue date que le salarié a le droit d’utiliser son ordinateur professionnel à des fins personnelles, y compris sur son temps de travail, se pose toujours la question des limites à ne pas dépasser. Autrement dit, à partir de quand un petit écart, tolérable, se transforme-t-il en abus, passible d’un licenciement ?
Dans l’affaire que vient de trancher la cour d’appel de Bordeaux, le 5 septembre dernier, les magistrats se sont notamment appuyés sur des témoignages fournis par sept collègues du salarié mis en cause. Ces derniers attestaient tous avoir vu l’intéressé consulter des sites pornographiques, à plusieurs reprises, pendant ses heures de travail.
Un écran visible depuis le coin « café-repas » du bureau
Comptable d’une PME bordelaise depuis 2013, Monsieur X est remercié en septembre 2015, après deux années passées au sein de l’entreprise. Dans sa lettre de licenciement, l’employeur reproche au salarié d’être allé sur des sites X « de manière récurrente », « notamment durant les mois de juillet et août 2015 ».
« Outre le fait que de telles connexions n’ont aucun lien avec votre activité professionnelle, ces consultations n’ont pas manqué de heurter la sensibilité de vos collègues puisque toutes les personnes qui passent dans votre bureau ont accès à votre écran d’ordinateur et ont donc été témoin de vos 'pratiques' », poursuit le responsable de l’entreprise. Selon lui, l’appareil était facilement visible depuis le coin « café-repas » du bureau.
« Vous avez fait cela pendant votre temps de travail alors même que vous avez indiqué à plusieurs reprises ne pas disposer de suffisamment de temps pour effectuer le travail qui vous était demandé », déplore également l’employeur, tout en soulignant que le règlement intérieur de la société interdisait d’utiliser le matériel professionnel à d’autres fins que celles auxquelles il était destiné.
Estimant que le comportement « totalement inacceptable » du salarié empêchait son maintien dans l’entreprise, celui-ci a été licencié pour faute grave – c’est-à-dire immédiatement, sans préavis ni indemnité.
Le licenciement pour faute grave invalidé, puis confirmé en appel
L’affaire n’en est cependant pas restée là, puisque Monsieur X a contesté son licenciement devant la justice. Et pour cause, le salarié niait les consultations qui lui étaient reprochées, et faisait valoir que l’employeur n’apportait aucune preuve de ses accusations.
Face aux juges, il s’était aussi étonné qu’aucune sanction ne lui ait d’ailleurs été infligée, alors que ces visionnages de sites pornographiques duraient visiblement depuis plusieurs mois.
En janvier 2017, le comptable a obtenu gain de cause devant les prud’hommes, où son licenciement a été jugé « irrégulier dans sa forme et abusif sur le fond ».
Saisie par l’employeur, la cour d’appel de Bordeaux a toutefois infirmé ce jugement, et déclaré le licenciement pour faute grave « régulier et justifié » (voir la décision sur Doctrine).
Une consultation jugée régulière, mais non quantifiée
Pour en arriver à cette conclusion, les magistrats se sont tout d’abord appuyés sur les attestations de sept salariés ou anciens salariés, versées aux débats par l’entreprise, et faisant toutes état de « la consultation régulière de sites pornographiques par M. X pendant ses heures de travail », « sur l’ordinateur professionnel ».
Deuxièmement, la société avait fait appel à un prestataire pour identifier les consultations effectuées depuis ses différents postes de travail.
Problème : « aucun élément » du dossier ne permettait d’établir avec certitude que l’adresse IP ayant accédé aux sites pornographiques correspondait bien à celle de l’ordinateur de Monsieur X, reconnait la cour d’appel. Néanmoins, poursuivent les juges, c’est à partir de cette adresse qu’ont été consulté différents sites « en lien avec une activité comptable ».
« Il est également établi que c’est cette seule adresse IP qui a consulté régulièrement les sites pornographiques », ajoutent les magistrats, pour qui l’ensemble de ces éléments « permettent de justifier un licenciement pour faute grave ».
Cette décision n’est cependant pas une première, puisque la cour d’appel de Reims avait par exemple déjà jugé, en 2012, que « la consultation de sites à caractère pornographique en utilisant la connexion Internet de l’entreprise est constitutif d’une faute grave ».
L’année dernière, la Cour de cassation avait de son côté invalidé un arrêt, favorable à un salarié licencié pour avoir consulté près de 800 fois des sites pornographiques au cours d’un même mois (voir notre article). Un critère quantitatif qui fut curieusement non abordé par la cour d'appel de Bordeaux.